En vérité, songea-t-elle, chaque mère juive, chaque père juif jouait la même comédie : il fallait présenter à ses enfants un visage neutre, voire optimiste, leur faire croire que tout allait bien, que leur existence était la plus normale possible.
Protéger les enfants de l'angoisse, de la peur, de l'exclusion, réussir à les nourrir, à les loger, c'était leur combat quotidien.
Mais retrouveraient-ils un jour leur vie d'avant ?
- Finalement, je ne sais pas si je suis faite pour vivre avec quelqu'un. Avant, on se faisait des soirées romantiques, maintenant on se fait des soirées télé, et en plus c'est lui qui tient la télécommande.
- Et il zappe tout le temps ?
- Comment tu as deviné ?
- Tu as déjà vu un homme regarder la télé sans zapper ? Il n'y a que pendant les matches de foot qu'ils s'arrêtent d'appuyer comme des malades sur les boutons pour changer de chaîne !
Oui, le monde est atrocement cruel, oui, on est en guerre, mais si on ne croit en rien, si on n'a aucun espoir, à quoi bon continuer ?
Parfois, je pense à tous ces enfants et ces petits-enfants qui n'ont pas pu naître parce qu'on a assassiné leurs aïeux.
"La vie était compliquée pour mes parents, mais nous, les enfants, on avait une vie libre, heureuse, une vie d'enfants de nos âges. Avec mes copines on voulait juste rêver et s'amuser, on voulait aller danser, tomber amoureuses."
"Comme le printemps pouvait être beau, même en temps de guerre, se dit-elle ravie. Au fond Hitler et son armée n'y pouvaient rien, l'amour avait cette capacité à naître partout, en toute circonstances."
Un cri déchire la nuit et la réveille en sursaut. La voix de Leah, sa mère, les appelle.
- Les enfants, debout, tout de suite ! On part. Maintenant !
Esther se redresse brusquement et jette des regards désorientés autour d’elle. Son cœur s’emballe. Elle bondit hors de son lit, affolée, incapable de se rappeler ce qu’elle doit faire. Dans ces moments de frayeur et d’angoisse, elle ne parvient plus à réfléchir ni à agir. Pourtant, tout ce qu’elle doit faire, c’est quitter sa maison, ce lieu qu’elle croyait son refuge.
C'est drôle, les français crevaient de faim et moi je crevais de peur. Tout le temps.
- Tu es retournée là-bas, après la guerre ?
- Une seule fois, oui. Mais c'était dur. Il y avait ceux qui étaient partis, ceux qui avaient disparu...
Je ne souhaite à aucune génération de revivre ça.
Voilà ce qu'une guerre est capable de faire sur plusieurs générations, détruire l'espoir et la confiance.
ces filles ont tout compris. Alors que nous avons donné notre vie pour notre travail, sans jamais compter nos heures ni protesté contre nos salaires minables, supportant stoïquement le manque de reconnaissance de nos patrons, ces filles qui aujourd'hui débarquent dans la vie active, avec dix ans de moins que nous et aucune expérience, savent se vendre, négocient de bien meilleurs salaires et prennent le temps de vivre. Aucune ne se fait exploiter par un boss tyrannique, non, cela est notre lot. Les nouvelles générations n'ont qu'une devise : profiter de la vie et de tout ce qu'elle offre.