À l'occasion de la sortie du livre audio « Ce que disent les silences » de Laure Manel, nous avons eu le plaisir de recevoir l'autrice ainsi que Noémie Bianco, la lectrice de ce roman bouleversant. le live a été brillamment animé par Carobookine !
Encore un grand merci à toutes les trois pour ce très beau moment de partage.
J'ai toujours été un peu transparente, aussi volatile qu'un parfum qui ne tient pas une journée.
Je mange tout seul en bas, et je me sens con. Pourtant, je mange tout seul tous les jours, ou presque. C'est de savoir qu'elle est là-haut et qu'elle sait que je suis en train de manger en bas. Je suis allé la voir tout à l'heure. Enfin, voir… Pas vraiment : je lui ai demandé à travers la porte si ça allait, si elle voulait quelque chose. Elle a juste dit : " ça va, non merci ", d'une toute petite voix qui ment un peu. Plus de vingt-quatre heures qu'elle n'a rien mangé. A moins qu'elle ait des réserves dans son sac à dos, je ne sais pas.
Aimer, c’est aussi ça : vouloir que l’autre soit heureux, même de loin, même si ce n’est ni avec ni grâce à nous.
Je ne suis rien... pour quiconque, et ce depuis toujours. Je ne compte pas. Je n'ai jamais compté, je n'étais pas assez, ou bien j'étais trop... mais jamais comme il l'aurait fallu. Jamais. Je suis au monde, m.ais je ne suis rien. J'existe mais je ne vis rien. Et ici, dans cet univers reculé où j'ai choisi d'échouer, je suis, encore une fois, une moins que rien, celle qu'on ne retient pas, qui ne compte pas. Invisible, aussi inutile et transparente que l'écume foulée par les sabots d'un cheval.
Je regarde ses mains pendant qu'il coupe les légumes, et je ne le pense plus du tout à la cuisine. Je les imagine sur moi.
–Devant ce panorama aussi, vous êtes blasé ?
–Pourquoi dis-tu cela ? demande-t-il, étonné.
–Vous ne regardez pas…
–Je le connais par cœur.
–Ah oui ? Mais ces nuages en troupeau, là-bas, par lesquels le soleil fuse difficilement, ils n’étaient pas là la dernière fois que vous êtes venu, si ?
Il trouve sa remarque étonnante plus qu’insolente, et regarde ce qu’elle lui désigne avec son doigt.
–Et ces oiseaux qui tournoient ? Et ce tapis de fleurs violettes ? Est-ce que ça sentait la même odeur ? Est-ce que vous entendiez aussi siffler les marmottes ?
Antoine n’a même pas prêté attention à tout cela.
–Vous qui n’avez jamais le temps… Pourquoi ne le prendriez-vous pas maintenant pour apprécier ce qui vous entoure comme il se doit?
C’est facile de juger a priori. C’est comme les grandes leçons sur l’éducation donnée par ceux qui n’ont pas encore d’enfants. C’est drôle comme le discours change, après… On fait ce qu’on peut, comme on peut, avec ce qu’on a !
La vie est faite de désir, d’envies, de projection dans l’avenir. Sinon l’esprit se meurt et le corps s’assèche.
La solitude, quand elle est pleine et vivante, est aussi un cadeau... bien plus qu'une vie de couple bancale et insatisfaisante.
Il se met à pleurer en revoyant le moment où il s’est assis à son bureau et qu’il a vu le cadre avec la photo de Rapha qui lui sourit. Elle le lui avait offert quelque temps après leur rencontre. Sur la photo, elle tient une ardoise d'écolier où il est écrit « Est-ce que tu m’aimes comme je t’aime ? ». Il lui avait répondu par un cadre photo qu’elle avait à son tour posé sur son bureau, où il tenait le même type d’écriteau et où il y avait écrit : « Oui…pour toujours. » Un truc idiot de jeunes amoureux…