La dixième édition des "Rencontres Recherche et Création" organisées par l'Agence nationale de la recherche, dont Philosophie magazine est partenaire, s'est tenue les 10 et 11 juillet dans le cadre du Festival d'Avignon.
Durant deux jours, des chercheuses et des chercheurs de différentes disciplines sont intervenus pour présenter en une quinzaine de minutes leurs travaux, et ils ont dialogué avec les artistes programmés au Festival autour du thème retenu cette année : "La fabrique des sociétés".
Parmi eux, deux philosophes ont répondu face à la caméra aux questions de Cédric Enjalbert, rédacteur en chef adjoint de Philosophie magazine qui a pris part à ces rencontres. Il s'agit de Kate Kirkpatrick et de Souleymane Bachir Diagne.
Kate Kirkpatrick est directrice d'études en philosophie à Regent's Park College, à l'université d'Oxford. Spécialiste de Simone de Beauvoir, elle braque le projecteur sur un concept majeur bien que peu connu du corpus de la penseuse existentialiste : le "possible" !
Et pour voir la vidéo de Souleymane Bachir Diagne, c'est par ici :
https://www.youtube.com/watch?v=Hu0JP9x1vo4
Journaliste : Cédric Enjalbert
Réalisation : Sébastien Cotterot
Montage : Ariane Nicolas
Retrouvez toutes les vidéos des Rencontres Recherche et Création, et les ouvrages des éditions précédentes en libre accès sur :
https://www.recherche-creation-avignon.fr
+ Lire la suite
Mais nombre d'hommes se récrièrent: Comment ose-t-elle traiter d'un tel sujet sans être mère elle-même?
Ce à quoi elle répliqua: cela ne les en avait jamais empêchés, eux.
Je me suis agacée parfois au cours de discussions abstraites d'entendre des hommes me dire: "Vous pensez telle chose parce que vous êtes une femme"; mais je savais que ma seule défense, c'était de répondre: "Je la pense parce qu'elle est vraie", éliminant par là ma subjectivité.
Un homme est la somme de ses actes : tel est le précepte le plus célèbre de l’existentialisme (229)
Mais ensuite, après réflexion, elle se dit que non, qu'elle se trompait. Dans son journal, elle s'exhorte à ne pas avoir honte de vivre: il lui a été fait don de la vie, et son devoir est de vivre du mieux possible. Renoncer entièrement à soi serait en réalité un "suicide moral". Et une solution de facilité, car il est plus difficile de décider quelle part de soi donner et quelle part garder. Ce qu'il fallait, c'était trouver un "équilibre": réussir à se donner sans "anéanti[r] pour servir autrui la conscience de soi-même". Pratiquer le don de soi sans abandon de soi: voilà ce qu'elle décide de mettre en œuvre dans sa vie.
Beauvoir n'ignorait pas combien il est difficile de recueillir la parole des femmes, l'une des caractéristiques de leur oppression étant précisément qu'elles ne disposent pas des mêmes moyens - qualitatifs comme quantitatifs - que les hommes pour témoigner de leur vécu. La voix des femmes est moins audible que celle des hommes dans l'espace public, et si malgré tout elles se font entendre, ces témoignages sont souvent dénigrés comme étant tendancieux ou mensongers, malveillants ou immoraux. Or, précisément, Beauvoir s'en remettait, pour analyser la soumission de la femme, à l'expérience personnelle de femmes singulières, donnant ainsi voix à une source inédite sur une situation jusqu'alors structurellement et systématiquement réduite au silence.
Pendant plus de dix ans, Beauvoir a discuté avec Sartre du concept de liberté et tenté de mener sa vie en accord avec la philosophie à laquelle elle croyait, tout comme jadis elle avait vécu pour le Dieu qu'elle aimait. Mais cela ne fonctionnait pas: c'était inapplicable. L'année même où Sartre écrivait dans Huis clos cette ^phrase restée célèbre: "L'enfer, c'est les autres", Beauvoir publiait une réfutation philosophique de sa théorie. Non seulement nous ne sommes pas seuls au monde, mais soutient-elle contrairement à Sartre, nous serions malheureux si nous l'étions, car nous avons besoin des autres pour mener à bien nos projets.
Voilà qui clarifie les choses: la philosophie de la liberté élaborée par Sartre ne convenait pas à Beauvoir. Pour elle, la liberté n'est pas sans bornes: nos choix sont limités par les choix des autres, et inversement nous limitons leurs choix. Par conséquent, s'efforcer d'être libre n'est pas suffisant: quiconque accorde du prix à la liberté doit, s'il est honnête, en accorder aussi à celle d'autrui et agir de façon à exercer sa propre liberté moralement.
En juillet [1939],le gouvernement français adopta le "Code de la famille", une loi nataliste qui incitait les femmes à rester chez elles pour élever leurs enfants et interdisait la vente de contraceptifs. Le Code Napoléon, datant de 1804, avait déjà conféré aux hommes - maris et pères - l'autorité sur les femmes. Il restera en vigueur jusque dans les années 1960, où Beauvoir contribuera, avec d'autres femmes, à le démanteler.
Affranchir la femme, c'est refuser de l'enfermer dans des rapports qu'elle soutient avec l'homme mais non les nier.( phrase citée à la page 20 et extraite du Deuxième sexe )
