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Critiques de L. L. de Mars (24)
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Tarzan : Seigneur des singes

Ne pas ennuyer.

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Ce tome contient un essai complet, indépendant de tout autre, une connaissance très superficielle de Tarzan suffit pour l'apprécier. La première édition date de 2017. Il s'agit d'une bande dessinée de 74 pages en noir & blanc, entièrement réalisées par LL de Mars.



Une page entourée de feuillage, avec 9 cases carrées bien tracées, chacune rapidement gribouillée pour la noircir, en surimpression une main qui tient un livre ou une bande dessinée ouverte, ainsi que des motifs de feuilles apposés au tampon sur la partie supérieure gauche. En bas le titre : Seigneur des signes. Une page découpée en trois cases de la largeur de la page. En haut un marin de dos qui semble dire quelque chose, mais seule une petite portion de son phylactère est incluse dans la case. Au milieu, deux hommes discutent de dos. En bas, l'eau est troublée par une embarcation. Sur la page de droite : la structure de 9 cases carrées disposées en 3 par 3, avec un texte qui court sous chaque bande. Celles-ci montrent la tête d'un chien, une sorte de pelage, et une roue en bois tombées à l'eau. Le texte évoque le premier et impératif devoir de tout bon narrateur : ne pas ennuyer. La page de gauche suivante comprend 4 cases dont une en insert sur celle inférieure, avec une femme dans un salon, et un navire qui fend l'eau. En vis-à-vis, les 9 cases, avec un angelot, des nuages, des farfadets sur une branche. Le texte continue d'évoquer les choix de l'auteur : une histoire dans un genre vulgaire, une réelle érudition. Par exemple, un personnage secondaire peut évoquer son goût pour Opicinus de Canistris (1296-1353, écrivain et artiste italien), ou pour l'iconographie du Devisement du monde (écrit par Rustichello de Pise, sous la dictée de Marco Polo).



Sur le bateau, un jeune garçon observe les oiseaux. Une bagarre éclate. Un coup de feu part. À droite, un visage prend forme dans les esquisses du dessinateur. Puis il effectue un travail d'étude graphique pour savoir comment une main tient une étoile de ninja. Enfin, il analyse comment placer 5 poissons identiques dans un cercle. Le texte continue de s'interroger sur la manière de s'y prendre de l'adaptateur des aventures de Tarzan : des références culturelles, mais légères pour ne pas indisposer le lecteur qui ne les connaît pas, surtout ne pas assommer le lecteur d'ambitions idéologiques, ne pas l'abreuver de références historiques, d'exemples édifiants, de métaphores appuyées car ce serait de la pire inconvenance. Page de gauche, le coup de feu retentit, une exclamation retentit, un homme pleure. Page de droite, la première bande explique comment fixer deux crochets sur une tige pour y faire passer une cordelette. La bande médiane montre un drapeau à tête de mort sur fond noir, sur lequel est scotché un dessin de tibia, puis un deuxième. Enfin dans la bande du bas, un tibia dressé semble prononcer des propos inintelligibles. Le texte évoque la possibilité d'intégrer de petites pauses pédagogiques, pour constituer un répertoire d'anecdotes prêtes à l'emploi pour discussion entre lecteurs adultes.



Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Le lecteur ne remarque peut-être pas tout de suite le léger décalage du titre : l'inversion de la lettre N et de la lettre G faisant passer Tarzan de seigneur de singes à seigneur des signes. En revanche il se rend compte dès la première page que ça va être plus compliqué que ça. Il y a quelqu'un qui tient un livre ou une bande dessinée entre les mains, même si on ne voit que la droite, et le dessin de l'une des cases sort de la bordure, comme s'il se trouvait sur la page du livre tenu par l'individu qui lit : mise en abîme, le lecteur tenant lui-même la bande dessinée dans laquelle un lecteur invisible tient sa BD avec une case à cheval sur deux plans d'existence narrative. Pour autant, pas sûr que les autres éléments dessinés fassent sens : le motif imprimé de feuilles, ou les 8 cercles en haut à droite de la page. On passe en page 2, numérotée 3, et là 3 cases de la largeur de la page qui raconte peut-être quelque chose, mais pas sûr. En page 4 (numérotée 2, faut pas chercher), le lecteur reconnaît une lampe avec son abat-jour, une coiffure de dame, et un navire. En page 6 (numérotée 4), un enfant et une bagarre qui éclate. En page 8 le coup de feu, en page 10 la bagarre généralisée. Cela s'avère un brin compliqué à suivre car les dessins semblent mal cadrés, ne montrant qu'un détail d'une vision que l'on devine être plus grande. En plus il apparaît des éléments de construction (gommage, hachures, noir non rempli) comme si tout n'était pas fini. Il faut un peu de temps pour que la lumière se fasse : ce sont des éléments iconiques de l'histoire de Tarzan. En fait sur les pages de gauche, l'auteur raconte l'histoire bien connue sous forme de dessins évocateurs, n'explicitant à chaque fois qu'un détail. Le lecteur qui connaît bien le roman retrouve chacune des étapes de la vie de John Clayton III, Lord Greystoke, esquissées et vues par le petit bout de la lorgnette, avec des cases en cours de finition, cadrées sur détail.



Bon, quelques cases des pages de gauche sont parfois indéchiffrables, mais le lecteur retrouve l'histoire de Tarzan, sous réserve qu'il la connaisse déjà. Ça se gâte un peu avec la page de droite. Elles se présentent toutes sous la même forme : 3 bandes comprenant chacune 3 petites cases carrées de dimension identique. Page 1 : 8 cases mal noircies, gribouillées, et une case avec 3 formes géométriques qui sont décalées hors cadre comme si elles se trouvaient sur la page de la BD dans la BD. Les 3 bandes de la page 3 semblent sans rapport avec le moment du roman d'Edgar Rice Burroughs sur la page de gauche. Elles aussi donnent l'impression ne pas être finies, en particulier avec des traits de crayon non effacés, et un bout de scotch transparent. Page 5 : ça ne va pas en s'arrangeant : une première bande dont on ne sait pas trop quoi faire, une deuxième avec des nuages et un truc inidentifiable dans la troisième case, une troisième avec une sorte de tige végétale et deux petits personnages surnaturels. Au secours. Tout du long, le lecteur ne peut pas deviner le rapport logique entre la page de gauche et les 9 cases de la page de droite. Il voit passer des éléments aussi hétéroclites qu'un Hira Shuriken, un tibia qui parle, une maison en ruine, un phylactère noirci, des traits non figuratifs, un homme en train de balayer, des panneaux d'interdiction de signalisation routière, un homme qui se fait sauter le caisson en nettoyant son fusil, une photographie d'une poêle à frire avec des œufs sur le plat, une case avec un Schtroumpf, un code barre, etc.



Laissant de côté les cases de la page de droite, le lecteur s'intéresse au texte. Pour la majeure partie des pages de droite, le texte court sous les 3 cases d'une bande plutôt que case par case. L'auteur a laissé les lignes tracées pour écrire droit, comme il a laissé des bouts de ruban adhésif semi transparent sur certaines cases, ou comme on peut voir la main du dessinateur en train de réaliser une case. Ce texte est écrit au conditionnel indiquant une éventualité. Il a pour objet ce qu'aurait fait un potentiel bédéaste pour adapter le roman Tarzan seigneur des singes (1912) d'Edgar Rice Burroughs. L'auteur se montre assez taquin en passant en revue les différentes facettes d'une telle entreprise narrative. Il estime qu'un tel narrateur aurait bien pris garde à ce que les personnages restent les mêmes tout du long du récit, pour être facilement identifiables, et qu'ils parlent tous la même langue, qu'ils soient le plus neutre possible pour que tout le monde puisse s'identifier à eux. Il pointe ainsi du doigt des conventions romanesques bien pratiques. Il faut qu'il garde bien à l'esprit de s'en tenir à l'essentiel : un héros, une arme, une mission, une femme. Il rappelle que l'enjeu pour l'auteur est de se montrer divertissant, et surtout pas de faire réfléchir, encore pire de heurter la sensibilité de ses lecteurs. Il continue avec les trucs et astuces pour donner du goût à l'adaptation : intégrer quelques éléments pédagogiques facilement assimilables, utiliser des signes conventionnels connus de tous qu'ils soient connotatifs, allusifs ou structurels, donner de nouveaux noms à de vieilles choses, écrire un texte descriptif pour ménager le lecteur et rester dans le distractif, mettre en place une distance ironique, utiliser des éléments rassurant renvoyant à des cadres familiers, pour éviter de surprendre le lecteur de manière désagréable, c’est-à-dire en fait briser toute surprise.



En lisant le texte, le lecteur peut commencer à établir des liens logiques avec ce que montrent les 3 cases juste au-dessus. Elles ne sont ni explicatives ni redondantes, elles fonctionnent par association d'idées. En fait LL de Mars fait travailler l'esprit de son lecteur, l'oblige à utiliser ses neurones pour que l'ensemble prenne un sens. D'ailleurs, le lecteur se rend vite compte que le texte constitue une puissante mise en abîme de ce que l'auteur est en train de faire. Il réalise une adaptation de Tarzan, tout en se tenant à l'écart de toutes les recettes narratives toutes faites pour réaliser une adaptation. Il va beaucoup plus loin car, une fois passés les ingrédients d'une recette d'adaptation, il envisage la réception d'une telle œuvre et les potentielles critiques vite écartées comme étant de simples malentendus, ou un mépris congénital pour la bande dessinée en général. Du coup, le texte agit comme une autoanalyse de sa propre démarche, mais aussi comme une critique d'une adaptation postmoderne qui viendrait couronner toutes les autres en piochant dans chacune une analyse systémique de conseils d'écriture prêts à l'emploi, pour aboutir à une œuvre consensuelle, gentille et prévenante. À l'opposé se trouve Tarzan seigneur des signes qui relève à la fois d'une bande dessinée et d'un essai sur la bande dessinée, qui contraint son lecteur à réfléchir sur les liens de causalité, en évoquant tout ce que cette adaptation n'est pas.



Cette adaptation est à la fois une vraie adaptation très personnelle du premier roman consacré à Tarzan, à la fois un exercice de mémoire sur les moments de l'œuvre inscrits dans la mémoire collective, à la fois un essai sur les techniques mécaniques d'adaptation d'une œuvre, à la fois une bande dessinée dépassant toutes ces techniques postmodernes devenues artificielles, à la fois une réflexion par l'exemple, sur les interactions entre images et texte dans une bande dessinée. Il s'agit donc d'un essai en bande dessinée sur la bande dessinée consensuelle, réalisé de main de maître, et s'adressant à un lecteur consentant avec du temps de cerveau disponible, prêt à accepter de ne pas recevoir toutes les réponses clé en main, et de bousculer ses idées reçues plutôt que d'être douillettement conforté dans ses idées reçues avec prévenance.
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Le secret

Nous au moins, on participe, on fait notre part.

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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Le premier tirage date de 2016. Il a entièrement été réalisé par L.L. de Mars : scénario, dessins, couleurs. Il contient 52 pages de bande dessinée.



Deux oiseaux annoncent le titre du premier chapitre : nourrir les hommes. Deux employés de maison espionnent ce qui se passe dans la maison des patrons, l'un faisant remarquer à l'autre qu'il prend des risques. D'ailleurs Georges finit par se faire repérer par le propriétaire qui le met à la porte sur le champ. L'employé le supplie de le garder car ce boulot, c'est tout ce qu'il a. Philippe, le patron, revient sur sa décision et se retourne vers ses deux invités. Il demande à sa bonne de lui apporter une boîte rouge de la réserve. Les deux autres lui demandent s'il fait encore confiance à cette employée de maison. Philippe explique qu'il peut se méfier de tout le monde, mais que s'il liquide tout son personnel à la première pétouille, il ne va pas tarder à n'être entouré que par des larbins incompétents, et dont il n'aurait que plus de raison de se méfier. Marguerite indique à Georges que Monsieur lui a clairement dit qu'il ne voulait plus le voir fouiner. Marguerite tue Georges, puis va s'occuper du deuxième zozo sur les ordres de Monsieur. Ce dernier appelle Marcel pour le servir, en se demandant s'il est encore vivant. Marcel se présente mais il n'est pas très sûr de vouloir brûler les corps, car tant que ces deux-là restent à la surface il est sûr ne pas les rejoindre. Philippe le congédie et demande à Gilles s'il veut faire le boulot, et combien il veut.



Gilles répond que qu'il ne sait pas trop : mille fois le salaire de Marcel ? Sans plaisanter, il ne sait pas pourquoi il aiderait Monsieur. Son fauteuil, oui à la limite, ça l'intéresserait, mais il a peur qu'il dévalue encore plus vite que son pognon. Philippe lui fait une autre proposition : si le pognon ne lui dit pas plus que ça, peut-être qu'il serait plus intéressé par un peu du secret ? Son interlocuteur accepte. Le propriétaire demande à son ami présent de faire le guet, et le rassure car il sait ce qu'il fait. Si ces ahuris savaient ça, ils ne feraient jamais tourner les usines. Il remet un morceau de secret à Gilles, en lui indiquant qu'il comprendra vite comment ça marche, et de surtout de ne pas en parler avec ses potes. Gilles sort de la pièce et croise l'employé de maison Lothark à qui il remet quelques piécettes, tout en lui annonçant qu'il a été promu majordome. Lothark espère bien que maintenant que Gilles a été promu, il va peut-être pouvoir apprendre la générosité avec les copains. Marthe vient de se faire poser un nouveau nez, et vu le résultat insatisfaisant, elle se dit qu'il va lui falloir un nouveau chapeau. Elle voit arriver un monsieur qu'elle ne reconnaît pas : il s'agit de Gilles qui a été obligé de changer de tête, en rapport avec son nouveau job. Il lui demande d'aller chercher des pelles à la cave. Les employés discutent entre eux : il paraît que Georges s'est fait dessouder, peut-être qu'en haut ils n'ont plus besoin d'eux, parce que le secret les renforce de plus en plus. Entendant ça, un jeune garçon dit à sa petite sœur Betty que leurs parents sont fichus.



S'il a déjà ne serait-ce qu'une seule bande dessinée de cet auteur, le lecteur sait qu'il s'apprête à vivre une expérience de lecture peu commune. Il rapproche la forme narrative à celle de Comment Betty vint au monde (2011) : des peintures assez lâchées, un lettrage irrégulier pour lequel il reste parfois les traits horizontaux dans les phylactères, ou des mots qui débordent des bulles, voire sont en dehors, des illustrations couvrant le spectre du figuratif à l'abstrait au point d'être incompréhensibles pour certaines quand elles sont détachées de la trame narrative, c’est-à-dire celles qui les jouxtent, ou le texte, sans oublier des propos tout en ellipse et en sous-entendu. S'il n'a jamais lu une seule BD de Mars, le lecteur se demande sur quoi il a bien pu tomber : un artiste qui semble composer ses planches à la va comme je te pousse, qui abuse de la licence artistique pour peindre comma ça lui chante sur le moment sans souci de cadrage, de composition ou d'intelligibilité. Bref : une véritable épreuve de lecture pour comprendre de quoi ça parle, pour rétablir des liens plus que distendus entre image et texte, d'une image à l'autre, pour déterminer ce que viennent faire des éléments visuels aussi incongrus qu'un plan masse cadastral, la photographie d'une installation industrielle de raffinage, des tampons d'animaux sur une portée verticale, des individus à tête d'animal, des pages jaunies d'un article avec illustration sur le puzzle de Graf. Alors, oui, il faut du temps de cerveau disponible, ainsi qu'un goût pour le jeu, pour effectuer une lecture participative.



Sous réserve d'être prêt à cette interaction participative, le lecteur peut alors commencer à jouer. Le titre et la couverture ne lui donnent aucune indication sur la nature du récit ou sur le thème, ni la citation extraite de l'ouvrage sur la quatrième de couverture : des hommes qui n'ont jamais rien monté ont, seuls, pu imaginer que nous manquerions un jour de monture. Il se lance alors dans l'inconnu. Il commence par découvrir le titre du chapitre 1 Nourrir les hommes, et constate à la fin qu'il n'y a que deux chapitres, le second étant intitulé Nourrir les bêtes. Difficile d'effectuer une supposition plausible sur la signification à attribuer au fait que ce titre soit énoncé par deux oiseaux. La deuxième page montre la silhouette de deux hommes dont le visage est effacé, dans des teintes rose et jaune, très joli. Les phylactères permettent de comprendre leur situation : deux employés de maison épiant leur maître. La page suivante demande un peu de temps pour saisir ce qui est montré : une paire de jambes avec une silhouette gribouillée au-dessus du bassin, et coupée au-dessus des épaules, une autre silhouette plus éthérée lui faisant face, avec un rapport de proportion étrange entre les deux, et trois cases en dessous, la dernière étant blanche, vide de tout. Le lecteur tourne la page et comprend que la discussion se poursuit entre le propriétaire et ses invités, deux ou trois peut-être, sur le thème des employés de maison. Tout du long, le lecteur va ainsi jouer à expliciter en son for intérieur les liens logiques sous-entendus d'une case à l'autre, entre les images et le texte, tout en se demandant s'il ne fait pas fausse route, s'il a bien décodé l'intention de l'auteur.



Il est possible que le lecteur soit hermétique à ce mode communication, et qu'il abandonne rapidement cette œuvre trop sibylline. Il comprend bien que c'est une volonté de l'auteur que de l'obliger à faire l'effort de comprendre. Il peut aussi considérer cette manière de faire comme une façon d'engager un dialogue. Les pages ont été créées et façonnées par l'auteur, mais elles sont bien évidemment incomplètes sans quelqu'un pour les lire, et chaque lecteur en fera une lecture différente. L.L. de Mars les rend ainsi sciemment polysémiques, intégrant dans sa façon de raconter qu'il y aura autant d'interprétations que de lecteurs, faisant en sorte de laisser la place à ce qu'apporte le lecteur à l'œuvre. Une fois son attention en éveil, le lecteur se rend compte que l'effort à fournir n'a rien d'insurmontable. En fait, l'auteur se montre plutôt prévenant. Pour commencer, il donne un nom au personnage principal et le répète assez régulièrement pour qu'il puisse être assimilé naturellement, et que le personnage soit identifiable à chaque apparition sans avoir à effectuer un enchaînement de quatre déductions hasardeuses. Disposant de cet ancrage humain dans le récit, le lecteur éprouve un ressenti émotionnel car il peut se projeter, même si Gilles change de tête en cours de récit, même si sa représentation est floue ou conceptuelle.



Au bout d'une demi-douzaine de pages, il apparaît que la situation et la dynamique de l'histoire sont simples et accessibles. Gilles est un employé et par un concours de circonstance sortant de l'ordinaire, son employeur lui propose de lui confier une partie du secret. De page en page, le lecteur relève le registre de langage, ou plutôt le domaine qu'évoque certains mots ou expressions : patron, larbin, bonniche, incompétence, job, gosse de pauvres, usine, participation, fabriquer, machines. Même si les illustrations évoquent vaguement l'industrialisation de la fin du dix-neuvième siècle, il apparaît que le champ lexical évoque la lutte des classes, la domination de l'élite propriétaire sur les employés qui sont considérés comme du bétail, de la main d'œuvre bon marché, anonymes et remplaçables. Le lecteur relève également les mots qui vont avec le principe du secret : confrérie, cérémonie, intronisation. Il se retrouve déstabilisé par le fait que ce secret n'est jamais explicité, semble une évidence visible de tous, mais remarquée que de l'élite.



Finalement le fil rouge est facile à déceler et à appréhender, et le lecteur se rend compte qu'il tourne la page à chaque fois certain de découvrir des visuels inattendus, sans plus ressentir de crainte d'être perdu. En surface, il éprouve la sensation que l'artiste pratique une sorte d'illustration libre sans s'imposer de plan préétabli, en laissant libre cours à son inspiration du moment. Tiens, là, je vais passer en mode expressionniste total pour un effet barbouillis qui exprime la colère du patron. Tiens, là, ce personnage précis aura une tête de vache. Ici ce sera un crâne perché au sommet d'une colonne vertébrale mais plutôt sous forme de serpent que de succession d'os. Et maintenant passage à des contours peints, sans mise en couleurs, puis des contours aux crayons pour une case de la page suivante, avant de passer à l'encre traditionnelle dans la case du dessous. Etc. Le lecteur peut trouver ça épuisant et vain, esthétisant dans le mauvais sens du terme. Il peut également y voir l'expression de la sensation ou de l'état d'esprit de l'artiste pour exprimer son ressenti à une situation du récit. Il ne se limite pas à composer un tableau par case en fonction de sa fantaisie, il établit également une continuité esthétique sur une page, une logique d'évolution dans une séquence, d'une séquence à l'autre. Le lecteur saisit peut-être plus facilement avec le texte des phylactères : sous-entendus, ellipses, effets de style, association d'idées par un registre de vocabulaire, etc. Il se rend compte que l'artiste se livre exactement à ce même genre de jeu et de construction avec les images, ce qu'il représente et la manière dont il le représente. Mais il n'impose pas au lecteur une interprétation : il l'invite à formuler son interprétation. S'il ne joue pas le jeu, le lecteur se retrouve avec des visuels surprenants, souvent poétiques, tout en éprouvant une forme de distension, de manque de cohésion superficielle, mais celle-ci est bien présente en profondeur.



Comme à son habitude, L.L. de Mars réalise une œuvre unique en son genre qui, de prime abord, semble défier l'entendement, un exercice intellectuel et esthétisant, artificiel et vain. Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à cette forme de communication, le lecteur se rend vite compte que l'auteur est beaucoup plus prévenant à son endroit que ne le laisse supposer les apparences, et qu'il se lance dans une expérience sensorielle, s'apparentant à un dialogue avec l'auteur qui a fait en sorte qu'il puisse projeter ses idées, ses émotions, qu'il doive le faire pour qu'il se produise un partage de sens, pour trouver du signifiant parmi ces drôles de signes. Il peut alors savourer une histoire engagée et amusante, un point de vue critique et un humour singulier.
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Henri, le lapin à grosses couilles

Des glaouis, des roubignolles, des joyeuses, des coucougnettes, des boules, des roustons, des burnes, des noisettes, des roupettes, des testicules, des gonades, des valseuses, des bourses, Henri en a deux grosses. Deux très grosses. Et bene pendentes, comme on dit chez les papes.



Mais trop, c'est trop. le petit lapin est bien embêté : il ne peut pas jouer comme les autres lapins, car ses attributs l'handicapent au quotidien. « Et en plus, toutes les mamans lapins le détestaient : quand il passait dans la rue, tous les lapinots disaient des tas de gros mots (essaie de les deviner. Y en a plein, c'est assez poilant). » Mais il n'est pas le seul lapin en difficulté à Rebonville : Héliette Rabinovitch est aussi affectée d'une différence physique. Dans l'adversité, ces deux pauvres lapinous vont se trouver des points communs.



Le titre de cet album (peut-être pour la jeunesse, mais à vous voir) annonce le ton : ça va être graveleux. Mais pas que ! Il est surtout question d'acceptation de la différence et d'apprendre à tirer le meilleur parti de ce dont on dispose. Ou, pour reprendre et détourner un proverbe anglais, si la vie te donne de grosses gonades, fais-en de la limonade !
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Vies de la mort

Cette œuvre d'un Label indépendant est présenté dans un format à l'italienne. C'est une série de strip mettant en scène le personnage de la mort. Je préfère prévenir que c'est très morbide comme humour. Généralement, je n'aime pas le genre mais là, c'est un peu différent.



La mort a par exemple des réflexions du genre : "Je me demande pourquoi les jeunes s'imaginent toujours que je ne m'intéresse pas à eux..." On voit un accident de la route ayant coûté la vie à un enfant. Bref, c'est glauque mais tellement vrai.



Bien entendu, les dépressifs et ceux qui n'ont pas le moral ne doivent pas lire cette œuvre un peu singulière.
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Bandes dessinées : manuel de l'utilisateur

L. L. de Mars aime nager à contre-courant. Donc quand il s'attaque à faire un ouvrage pédagogique à destination des lecteurs sur la bande dessinée, cela ne pouvait qu'être singulier. Donc il ne faut pas s'attendre à quelque chose qui se rapproche de ceux de Scott McCloud. En voyant le format et l'épaisseur, nous avions là un gros indice. Puis le dessin est assez particulier et très loin du classicisme. L'histoire est loufoque à souhait et interroge un peu sur nos pratiques. On nous distille quelques données réalistes sur le monde de l'édition, la place des libraires, des critiques par exemple. Et cela se fait grâce à une galerie de personnages assez loufoques et attendrissants. La lecture déroute et nous montre qu'il est possible de raconter des aventures de bien des façons différentes. Des auteurs s’interpellent d’une fenêtre à une autre. Et attention, il ne donne jamais de nom pour régler des comptes. Ces expérimentations sont aussi réalisables grâce à l'auto-édition ou via des petites maisons d'édition. Alors il peut laisser libre court à sa créativité.
Lien : https://22h05ruedesdames.com..
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15 Jours avant la fin du monde

On se dit qu'avec un titre comme cela, on va avoir droit à un récit catastrophe. Cela ne sera pas le cas car on va assister à un dialogue de deux hommes s'entraînant ardemment à la musculation dans une salle de sport. La couverture montre des altères qui écrabouillent un visage. Là encore, on est tout de suite intrigué. C'est encore trompeur car il ne se passera rien. Il s'agit tout simplement d'assister encore et encore à un dialogue insipide entre ces deux musclors. Et comme vous pouvez vous l'imaginer, cela ne vole pas très haut.



L'un d'eux est raciste mais il ne s'en rend pas compte. Du coup, il est convoqué par "des fonctionnaires à la con qui ne ratent aucune occasion de faire chier" comme il dit. Son fils est convoqué par le Directeur de l'Ecole pour avoir proféré des propos racistes. On ne s'étonnera pas ! Vraiment puant...



Bon, j'ai compris où l'auteur voulait en venir car il y a un deuxième degré de lecture non dénué d'humour. Cependant, cela ne m'interpelle pas plus que cela.
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Je m'appelle Erik Satie comme tout le monde

Quand on pense à Satie, on pense Gnossiennes et Gymnopédies, on pense au parapluie noir, au costume de notaire, au canon qu'il tire avec Picabia dans Entr'acte de René Clair. Et la musique de Satie n'est jamais ennuyeuse, elle est au contraire pleine de surprises, de parodies, de citations, d'explosions. Tout en se permettant au passage, d'inventer la musique répétitive et le concept de Musique d'ameublement...



« Je m'appelle Erik Satie comme tout le monde » est une bande dessinée qui réunit les contributions d'auteurs issus de la BD alternative, tels Bé, Réjean Dumouchel, le Lièvre de Mars, Benoît Preteseille, Ivan Brunetti, Hélène Coudray, Sébastien Liénard-Boisjoli et Mandragore. Ils réalisent une biographie dessinée de Satie permettant de pénétrer dans l'univers foisonnant et Loufoque du compositeur né en 1866 qui va croiser Flaubert, Debussy, Suzanne Valadon, Ravel ou encore Cocteau.



C'est donc passionnant mais j'ai deux critiques à faire : d'une part la BD n'est pas très accessible aux néophytes et d'autre part, la ville d'Arcueil n'est pas suffisamment évoquée notamment parce que Satie accompagnait les cours de danse des petits du Patronage laïque et qu'il y a passé la fin de sa vie.

Ceci-dit, j'admets qu'il est touchant de faire le portrait d'Erik Satie et qu'il est délicat aussi de faire le tour de sa personnalité.



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Comment Betty vint au monde

Cet album contient une histoire complète indépendante de tout autre. Il est initialement paru en 2011, entièrement réalisé par L.L. de Mars.



L'histoire ? C'est l'histoire d'une jeune demoiselle prénommée Betty. Dans le prologue, il est évoqué sa première leçon de peinture, le rapport entre Dieu et les artistes, de l'anus de son chien, de l'horreur de vider de leur sens des mots comme Mort ou Angoisse, en les mettant en chanson. Dans le premier chapitre, Betty éprouve l'envie de devenir un poisson, ou plutôt une grenouille, mais surtout pas expert-comptable. Problème : il n'y a pas de ventricule de grenouille caché dans son cœur.



Par la suite il est encore question de Dieu, mais aussi du fait que sa mère ne faisait plus caca depuis 26 ans. Elle doit devenir, devenir quelque chose, devenir ce qui est en elle, devenir une artiste, et surtout elle ne doit pas cacher ses ratures et ses ratages. Elle doit éviter de devenir une esthète stérile, comme l'envisage sa mère. Mais il lui faudra bien gagner sa vie, or la vie d'artiste ne garantit rien.



À l'évidence, il s'agit d'une bande dessinée d'artiste, et peut-être d'un ouvrage difficile. La couverture pose bien la difficulté et la dichotomie de la lecture. D'un côté, il s'agit d'une peinture, essentiellement de nature abstraite, où il est possible de reconnaître un morceau de silhouette (le tronc, les bras, les mains) noyé dans un tourbillon de couleurs, vraisemblablement expressionniste. Mais même intimidé, le lecteur se dit qu'il ne s'agit jamais que de 58 pages de BD, sous une forme très traditionnelle, avec cases et phylactères. Au pire, il aura perdu une demi-heure (il n'y a pas tant de phylactères que ça) et n'y aura rien compris (mais il n'est pas obligé de l'avouer), au mieux il aura vécu une expérience enrichissante sortant de l'ordinaire.



De fait il découvre une histoire avec un déroulement chronologique, plutôt intelligible. Betty est une jeune fille au début du récit. Elle reçoit l'enseignement de diverses personnes dont son oncle qui est artiste. Elle souhaite devenir une artiste elle-même. Elle se confronte aux envies de sa mère, aux exigences de son père, à l'envie d'être grenouille. Les phrases échangées sont courtes et souvent elliptiques. La graphie du lettrage évolue en fonction des sentiments exprimés, plus ou moins grande en fonction du volume de la voix, changeant parfois de couleur en fonction des émotions exprimées. Curieusement, l'auteur a parfois laissé les traits tracés pour écrire droit, sans raison apparente ou explicite.



Comme le laisse supposer la couverture, l'approche graphique est très personnelle, et ne se restreint pas à un registre figuratif. Le lecteur de bande dessinée classique peut retrouver des traits de contour, réalisés au pinceau avec des déliés très élégants, évoquant des gestes sûrs et précis. Ces contours peuvent être très précis pour représenter un chien, un être humain avec son visage, un soldat de l'empire romain. Ils peuvent être plus lâches préférant s'attarder sur l'allure d'une silhouette, sur la composition générale d'un cheval pour en souligner le mouvement ou la direction. Comme pour le lettrage, les traits de contour sont parfois tracés avec une couleur autre que le noir, pour insister sur une caractéristique globale de l'élément représenté, ou pour le faire ressortir par rapport aux autres. Dans une poignée de cases, il n'est pas possible d'identifier la forme représentée. Le contraste est alors total quant au détour d'une case apparaissent des logos reconnaissables comme ceux d'Ikea, de Carrefour ou de Super U.



Dès la couverture, et à chaque page par la suite, la couleur remplit une fonction expressionniste. Il en s'agit pas de mettre les formes en couleurs pour refléter les couleurs elles qu'elles peuvent être perçues par l'œil humain. Elles viennent souligner une partie de contour, rendre compte d'une ambiance, ou donner forme à des flux pouvant évoquer des émotions, des tensions psychologiques, des élans du cœur, etc. Il appartient alors au lecteur de les interpréter en fonction de sa sensibilité.



Au fil des pages, le lecteur comprend que le thème principal du récit est la vocation d'artiste de Betty et la manière dont elle va pouvoir s'exprimer en fonction de l'éducation à laquelle elle est soumise. Il court un discours sous-jacent de refus de se soumettre à tout formatage imposé par les personnes enseignantes (qualifiées de maître dans les phylactères) et contre tout formatage socio-culturel. Betty refuse la morale judéo-chrétienne et doit prendre position par rapport aux attentes de ses parents, en particulier d'avoir une bonne situation.



En ce qui concerne les cases, l'artiste respecte le principe de causalité d'une case à l'autre, que ce soit la temporalité (une scène se déroulant après l'autre) ou même 2 moments successifs dans une séquence. Le regard du lecteur apprécie les couleurs plutôt gaies, ainsi que les dessins facilement lisibles (à une demi-douzaine d'exceptions). Le résultat est très agréable à l'œil. L'approche graphique subit des variations de genre, de la gravure de la fin du dix-neuvième siècle, à l'art abstrait, en passant par l'aquarelle, évoquant parfois le fauvisme. Le lecteur se laisse porter par ces dessins qui ressemblent parfois à des illustrations de livre pour enfants de par leur degré de simplification, ou la manga d'Hokusai, avec ces tracés de pinceaux si élégants. Cette impression est encre renforcée par les expressions des visages, franches et simples évoquant les illustrations des romans de la collection Bibliothèque Rose des années 1970.



Le lecteur se laisse embarquer dans ce conte sur la maturation d'une individualité se destinant à la carrière d'artiste. Cette impression de conte est à a fois donnée par ces dessins gentils et expressifs, et par une forme de narration décousue. Le récit passe d'une scène à une autre, sans donner de précision de lieu ou de date. Il convoque des images servant d'allégorie, une fois un chien, une fois un cheval, sans que ces animaux ne soient reliés à des éléments matériels, comme une niche, un panier, ou une écurie. Il voit une jeune fille pleine de caractère, soumise à la forme éducative décidée par ses parents, soumise aux états émotionnels de ses parents, qui tombent de manière arbitraire, castratrice, des contraintes l'obligeant à se conformer, une éducation ne sachant pas l'aider à développer ses talents personnels, mais lui imposant façons de voir préformatées.



Au fil des pages se dégage une leçon de vie un peu étrange, rendue encore plus bizarre par la fin inéluctable du récit. Au travers des séquences l'auteur évoque la question de la vocation artistique et de la manière dont elle doit s'affirmer contre les enseignements imposés, contre les idées reçues, contre l'ordre établi. Il s'agit d'une posture de type politique au sein d'une société établie. Le lecteur ressent à la lecture toute l'implication de l'auteur dans ce récit et y voit son credo ainsi que son intention d'artiste.



En première lecture, il apparaît que ce récit n'a pas usurpé sa réputation d'œuvre difficile et artistique, mais que ça ne la rend pas impénétrable ou insurmontable. Cette lecture n'est pas pour autant une épreuve. Certes le lecteur ne peut prétendre tout comprendre du premier coup. Certes il reste coi devant certaines bizarreries narratives (c'est quoi cette histoire de ratés ?). Certes plusieurs images décontenancent et semblent plus gratuites qu'indispensables à la narration (pourquoi un soldat romain ?). Mais il y a bien une intrigue linéaire, avec une fin en bonne et due forme, des dessins agréables à regarder et des remarques qui font mouche. Tout ça pour ça ?



En fait, L.L. de Mars jouit d'une réputation de créateur ambitieux dans le milieu de la bande dessinée, et sa bande dessinée présente un aspect artistique et expérimental caractérisé. Il est possible de consulter une interview en ligne sur le site Du9 dans laquelle il explique à que point ses œuvres souffrent d'une forme de prophétie auto-réalisatrice. Concrètement comme les éditeurs considèrent qu'il produit des œuvres à destination d'une élite, il en est réduit (également par choix) à travailler avec des maisons de publication confidentielles qui ne disposent pas d'un budget suffisant pour promouvoir une œuvre de ce type (= qui ne se vendra pas par palettes entières). En conséquence de quoi, ces BD sont tirées à faible exemplaire, et distribuées sporadiquement dans des petites librairies spécialisées qui ne les mettent pas forcément en avant. Dans les faits, elles sont difficiles à trouver, et il est même difficile d'en avoir entendu parler.



Suite à cet entretien avec Xavier Guilbert se trouve un long texte dans lequel L.L. de Mars parle de ses œuvres dont Comment Betty vint au monde. Il commence par établir que ses commentaires ne constituent pas une clef d'interprétation permettant d'accéder au sens caché de l'ouvrage. Il précise qu'il parle de ses intentions, mais encore plus des thèmes qu'il souhaitait aborder, ce qui n'obère en rien la validité de la lecture qui en est faite par chaque lecteur. En cela, il fait preuve d'humilité, mais aussi il intègre les travaux de l'École de Constance sur le caractère éphémère, inventif, pluriel, plurivoque de la lecture. Il établit qu'une fois l'œuvre livrée au public, elle n'appartient plus à son auteur et les différents sens donnés par les lecteurs présentent tous un degré de validité recevable.



Toujours dans le même texte, L.L. de Mars évoque la manière dont il a procédé pour réaliser ces pages. Il voulait absolument atteindre une autre manière de construire ses dessins, une façon de délier sa main pour la libérer des gestes appris devenus des automatismes génériques, sans réflexion vis-à-vis de l'œuvre en cours de réalisation. Il évoque le recours à des hallucinogènes naturels pour se libérer de ses habitudes graphiques. À partir de là, le lecteur peut commencer à ironiser au choix sur le délire artistique, la prétention artistique, ou la posture artistique, ayant à charge contre l'auteur des dessins non figuratifs à l'intention peu claire, produits sous influence. L.L. de Mars continue lui-même de s'enfoncer en indiquant qu'il a laissé des erreurs dans ses pages (en termes visuels), sans chercher à les corriger. Il estime vaniteux de vouloir recouvrir ses ratages, de les masquer, ou pire encore de les laisser, tout en laissant subsister en dessous des traits de construction attestant de l'évolution de la page. Mais arrivé à ce niveau-là du commentaire de l'auteur, le lecteur se rappelle la page sur laquelle une voix adjoint à Betty de ne surtout pas essayer de masquer ses ratages par des faux repentirs malhabiles, et de les assumer totalement.



Effectivement, au fur et à mesure de la lecture du commentaire de l'auteur, le lecteur établit le lien avec ce qu'il vient de lire et reconnaît les thèmes abordés dans la bande dessinée. Assumer ses erreurs fait partie intégrante du processus d'amélioration personnelle de Betty, tout comme de celui de l'auteur lui-même. Il apparaît que Betty est un avatar bien plus proche de l'auteur que ne le laissait supposer le récit. Lui aussi assume ses ratages ou ses ratures en fonction des pages. Le lecteur ne peut que reconnaître l'honnêteté de la démarche artistique, mais quand même laisser des erreurs sciemment, c'est un peu proposer un produit mal fini. Bien malin qui saura dire quelle case souffre d'un ratage. Chaque lecteur avec sa sensibilité peut estimer que telle ou telle case lui parle moins, mais rien n'est moins sûr qu'il s'agisse de la même que celle pointée par le voisin. Chaque case correspond à une composition plus ou abstraite, engageant la sensibilité de celui qui la contemple, il n'y a donc pas de règle universelle.



Quand bien même une case reste muette pour le lecteur, cela ne compromet jamais la compréhension de l'intrigue. De la même manière, une ou deux répliques peuvent faire tiquer le lecteur. Par exemple, le narrateur informe que "La mère de Betty était redevenue une petite dame sous une cloche de verre sur la commode du serpent.". Ce constat semble renvoyer à un élément culturel ou à une association d'images incompréhensible pour le premier venu. De même, quand Betty déclare qu'elle veut juste une heure ou deux ; un moment seule pour s'enfoncer dans la terre, pour prendre deux ou trois centimètres de chair de Betty-sans-nom-de-famille, le sens de la phrase, du souhait reste cryptique. Et pourquoi diantre, apparaît-il un empereur romain le temps d'une page ? Quel rapport avec la choucroute ?



Il faut dire que L.L. de Mars est un poète accompli et qu'il manie également l'ellipse et le sous-entendu avec habileté. Quand une grenouille déclare à Betty qu'il n'est pas sûr que le devenir chenille soit plus excitant que son devenir adulte, il évoque le champ des possibles qui s'ouvre à elle, que la vie d'artiste offre des horizons beaucoup plus larges et gratifiants que ceux d'emplois non créatifs. Quand la grenouille effectue le constat que Betty ne veut pas du tout être grenouille, mais qu'elle veut une vie de grenouille, le lecteur comprend que Betty recherche une position (sociale ou professionnelle) usurpée, en décalage avec sa nature profonde qu'elle souhaite conserver. Enfin quand sa mère lui indique qu'elle ne perd rien au change parce qu'il n'y a pas de grenouille d'exception, elle sous-entend que Betty deviendra une personne d'exception sous réserve qu'elle réalise son plein potentiel.



Finalement en 58 pages, l'auteur aborde de nombreux sujets. Ils peuvent sembler un peu hétéroclites au départ, mais son commentaire éclaire le fait qu'il s'agit avant tout pour lui de parler de la condition d'artiste, de sa propre exigence envers lui-même. Vu sous cet angle, les séquences et les observations prennent tout leur sens. Le lecteur revient sur le thème qui court tout au long du récit relatif à l'éducation comme moyen de faire se conformer les enfants à des conventions préétablies, à des dogmes, à un académisme présenté comme universel, comme un chemin obligatoire. Il pousse ce raisonnement jusqu'au bout avec la mère déclarant à Betty que les gens comme eux ne jouent pas de violoncelle. Pris à froid cela ressemble à une boutade gratuite. Replacé dans le contexte, il s'agit d'une phrase péremptoire obligeant de se conformer à un comportement de classe, fermant une possibilité qui pourrait se révéler la vocation réelle de Betty. Le lecteur comprend que cette déclaration fait écho au credo de l'artiste de ne rien s'interdire en termes de moyens narratifs, de mode de création, d'outils d'artiste, de mode opératoire pour créer.



Cette volonté d'être ouvert à tout conduit à rejeter tous les dogmes. L.L. de Mars dépeint le Christ comme un brave type vaguement opportuniste et totalement incongru dans la démarche de Betty, donc il faut rejeter la religion et ses dogmes. Betty bénéficie de leçons de peinture données par son oncle. Elle relève que ses conseils sont en décalage avec la vie qu'il a menée, ce qui la conduit à rejeter son enseignement. De la même manière, elle doit se protéger des projections de sa mère qui la voit en ceci ou en cela, mais surtout pas en ce qui ne se fait pour des questions de bonnes manières ou d'étiquette. C'est peut-être le thème le plus délicat à entendre dans ce récit. L.L. de Mars l'applique à son œuvre avec honnêteté en ne se pliant pas aux diktats normatifs et validés par l'usage de ce qui se fait en bande dessinée. Mais ses dessins portent la marque d'un artiste maîtrisant des techniques, quand bien même il affiche la volonté de les désapprendre. Le lecteur comprend bien cette soif de liberté de manœuvre pour pouvoir exprimer le plus profond de son être sans subir les idées reçues (au cours des années de formation), mais ce n'est rendu possible que par les techniques apprises et la conscience qu'on en a acquise.



En prenant cette bande dessinée comme un manifeste de l'auteur qu'il applique à ses propres créations, il ne se produit pas une mise en abyme vertigineuse et révélatrice, mais plutôt une modification du regard du lecteur. Il comprend que chaque case est porteuse des idiosyncrasies de l'auteur, exprime une partie de sa personnalité à sa manière. Cette bande dessinée devient un témoignage de sa recherche, de sa quête d'une expression absolue, personnelle, débarrassée des automatismes et enseignements prédigérés. Cette démarche ne relève pas du n'importe quoi. L'histoire se tient avec un début, un milieu et une fin, et le narrateur exhorte Betty en cours de route à faire attention au scénario, à le construire pour rester intelligible. L'auteur n'a pas pour objectif de rendre son œuvre la plus absconse possible, pour adopter la posture de l'artiste incompris. Mais il refuse de transiger, quant au fait de la rendre la plus vraie possible.



Le lecteur ressent que l'artiste veut assumer l'entière responsabilité de sa façon d'agir, de réagir et d'interpréter le monde, il le revendique même. Il développe sa capacité à se mettre au diapason de ses sensations authentiques comme le suggère Fritz Perls dans sa théorie de la Gestalt. Il est indéniable qu'il y a une forme révolte contre les idées reçues, mais il y a aussi la volonté d'atteindre une forme d'anti-déterminisme.



Au fur et à mesure des pages, Betty va, vit et devient (elle-même). C'est une démarche d'apprentissage qui ne souffre aucun compromis. L'œuvre qui en résulte met en pratique le credo exposé dans l'ouvrage. Pour conclure sur cet ouvrage hors norme, le plus simple et le plus vrai est encore de reprendre les mots de l'auteur : enfant, ce qui nous grandit et qui nous habitera au point de nous constituer, ce n’est pas ce qu’on nous destine, ce qui est prétendument fait pour nous, mais ce qui nous est impénétrable, inintelligible, ou interdit. Adulte, cette sensation forte, vertigineuse, que provoque la rencontre d’idées, de productions humaines vraiment autres, insoupçonnables, déstabilisantes, qui ne se donnent pas à nous du premier coup, se fait trop rare.
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Pingouins

Pour les curieux !
Lien : http://www.sceneario.com/bd_..
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Frank Zappa Comics Tribute : Vingt auteurs ..

Je suis très contente d'avoir trouvé une bande dessinée sur Frank Zappa pour l'anniversaire de mon mari chéri qui est fan et qui a quasiment tout sur lui.

J'en ai profité pour la lire et je reste satisfaite mais un peu mitigée. le noir et blanc est appréciable mais, comme il y a vingt propositions, ça donne des planches un peu décousues : parfois il y a des textes, parfois il n'y en a pas, ils sont en français ou bien en anglais, ce sont des histoires ou bien des tableaux.

Si on ne connait pas déjà un peu la vie du Franky, on ne comprend pas grand-chose mai au final, ça lui va bien ce côté délire.

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Comment Betty vint au monde

critique de Jérôme LeGlatin publiée ici : http://www.du9.org/chronique/comment-betty-vint-au-monde/



Il existe une chanson de mort. Une chanson de mort à laquelle opposer une voix, multiple, qui témoignera de la vie comme source prodigue d’inventions, abondance des possibles. Une voix qui viendra contrarier tout ce que le vivant culbuté se retrouve forcé d’engendrer et de soutenir sous la contrainte. Ceux qui récitent la chanson de mort se reconnaissent à ce qu’ils sont statues de marbre articulées, marionnettes du bois le plus dur, figures animées d’un temps pétrifié (XIXème, capital et bourgeoisie, le sale cauchemar qui n’en finit plus de s’accomplir), enceintes de béton mobiles sur lesquelles sont hâtivement peints, en termes interchangeables, Papa, Maman, Citoyen, Ecole, Eglise, Superette, Cinéma ou bien Cimetière. On ne s’étonnera pas d’apprendre que «la mère (de Betty) ne faisait plus caca depuis 26 ans» : écoulement interrompu, vie stoppée net, corps disciplinaire claquemuré. Il y aura donc un combat de chaque instant pour faire émerger une voix multiple : un combat de l’écoulement, un combat du devenir ; il faudra combattre à chaque instant pour établir les conditions d’apparition du devenir.



Betty, l’héroïne forcément tragique de la nouvelle bande dessinée de L.L. de Mars, comprend cela dès son plus jeune âge, touchée par la grâce d’un anus de chien qui cause (car tout cause à Betty). Et ce savoir est puissant, de conversion. Betty alors sera toujours du plus jeune âge (ce qui n’a absolument rien à voir avec l’Enfance, comme on le précisera plus bas). Du plus jeune âge en tant que — leçon essentielle : on ne cesse, vivant, de venir au monde.



Mais la chanson de mort réfute cette évidence, elle veut imposer un être-là insurpassable qui réussirait à contenir tous les épanchements. Et en effet, il y a ce que les autres désirent autour de Betty, ce qu’ils désirent de Betty (puisque leur désir sera toujours désir d’emprise, de possession, d’appropriation). Le piège qu’ils édifient consiste à essayer de replier Betty, âme vive du plus jeune âge, sur une identité stable et déterminée, à la rendre aussi figée qu’ils le sont, à faire d’elle une enceinte de béton avec écrit dessus Betty (auquel on pourra aisément ajouter plus tard Maman ou bien Comptable). Le piège consiste à essayer de faire de l’esprit de Betty et du corps de Betty un piège apte à contraindre tous les possibles de Betty (naissance de la culpabilité autophagique). Le piège consiste en premier lieu à essayer de faire de Betty une Enfant. La restriction est d’envergure et le piège infernal : une Enfant sera toujours le plus sévèrement punie de n’être qu’une Enfant. Autrement dit, il lui sera reproché d’être ce qu’on lui impose d’être ; l’ordre contradictoire est fait pour rendre fou. Et nul geste neutre, nulle phrase anodine dans cet assaut de chaque instant : «Mais les gens comme nous ne jouent pas de violoncelle, Betty» enseigne la douce grand-mère ; entendez la chanson de mort, la langue de crâne des faux-vivants qui coupe court à la fuite de Betty, à son écoulement, à son devenir de Betty-violoncelle.



Seulement voilà, Betty est indocile, Betty résiste et file comme l’eau entre les doigts, échappant à toute résolution. Betty prolonge le miracle infini de la vie à chaque instant de son existence : elle cherche conseil auprès des chiens, des grenouilles, des cailloux, du caca, des tâches faites avec les doigts et du Jésus qui est amour des ratures. Tout ce qui ne résonne pas de la chanson de mort est bon à l’oreille de Betty, tout ce qui lui permet de ne pas se figer, de ne pas se retrouver piégée. Tout est bon qui, à chaque instant de la (brève et longue) vie de Betty, peut contrer l’Empire qui lui veut du bien. L’Empire désire-t-il Betty en princesse rose ? Betty sera du plus jeune âge, celui du devenir, jamais princesse, jamais rose, ou bien plutôt : princesse, rose, un instant, pourquoi pas, mais aussi une foule d’autres choses, une myriade de couleurs, un infini d’états. Femme et palourde, monde et robe à fleurs, Betty-sans-nom-de-famille peint les mille-et-un états de Betty qui se cherche.



Et parmi tous ces états, le livre lui-même, Comment Betty vint au monde, qui incarne Betty autant que Betty l’incarne. Car il ne faudrait pas s’y tromper : les mots qui précèdent auront tout autant traité de l’œuvre, de ce qui la constitue à ses différents niveaux, que du personnage qui y réside et la traverse et l’irrigue. C’est qu’on ne saurait démêler aussi aisément Betty-personnage de Betty-livre. Ainsi, à chaque case, à chaque page de son être, la bande dessinée qu’est Betty se désengage-t-elle — avec violence puisqu’il le faut — de toute velléité de stabilité, de toute restriction, en une succession d’assemblages provisoires, de chaînes d’associations volatiles. Que serait une œuvre de vie qui emprunterait sa rhétorique à la chanson de mort ? (on en connaît malheureusement des tonnes de bandes dessinées comme-ça, qui claironnent à l’indépendance en déroulant tous les signes de la soumission). Non, Betty-livre et Betty-personnage font corps, âmes-sœurs et frères d’armes composites, machines de combat siamoises, et Betty sera de déflagration, du premier au dernier instant de sa vie, de la première à la dernière page.



Ainsi dès la couverture, rouge sang, tourbillons de sang et tourbillons de flammes d’où émerge un corps incertain. La tête même de ce corps est un tourbillon sanguin halluciné, la proie d’une épiphanie brutale. Et dedans le sang, dedans la tête, dedans le livre ? Exploration détonante de la langue, laminée, rénovée, Betty payant de retour les mots qui assaillent. Réappropriation de la langue pour aussitôt s’en délester ; ne pas être propriétaire de la langue. Etrange impression que l’auteur est penché sur le livre lu, qu’il y écrit, qu’il y dessine, qu’il y peint, qu’il y rature, là, maintenant, sous nos yeux. Une déflagration est en cours, on l’a dit, un livre en devenir dans ces mots qui achoppent, ce dynamitage des couleurs. Tête chercheuse. L’Empire sera rose et bleu et violet, lilas. Les chiens écarlates naissent d’un aboiement bleu sous un ciel jaune renversé. Sexe turgescent rouge pointant hors l’uniforme paternel orange. Tâches, gouttes s’étonnant elles-mêmes d’exister, autant d’humeurs du dessin qui s’épanchent à même la page, qui suintent et qui giclent. Prégnance de l’orange et du rouge, sang et feu qui foisonnent. Peinture ardente et champignon atomique jaune citron. Un trait bleu incongru file hors la page, le nom propre Betty se conjugue. A-t-on le droit ? s’interroge le lecteur déboussolé (provoquer la chanson de mort pour mieux s’en dégager). Betty-livre-personnage répond d’elle-même : «Tout plutôt que des saloperies de petites façons colorées», tout plutôt que la chanson de mort.



Drôle d’entreprise donc que ce saut très sûr dans l’inconnu : L.L. de Mars relègue ce qu’on nommera son devenir-Caniff (jamais aussi prégnant, peut-être, qu’en la page d’ouverture du Quelques prières d’urgence à réciter en cas de fin des temps paru chez Les Rêveurs) aux oubliettes, quand tant d’autres auraient/auront capitalisé dessus et mené avec des carrières qu’on dira brillantes. C’est qu’il faut démordre de ce qui tente («colère lisible» pour «éditeur esthète» dira Betty) et, plus largement, se défendre de tout ce qui menace l’écoulement des possibles, la somme ouverte des devenirs. Echapper au trait qui séduit, fuir la précaution qui dissuade, pour que la bande dessinée elle-même ne devienne pas un piège à Betty.



Ultime remarque (histoire d’en rester là, quand le livre lui, comme il se doit, est inépuisable) : comment s’impose au regard le plus remarquable des blancs, la plus impressionnante des réserves. Sans doute les teintes saturées qui hurlent et tempêtent forceront-elles l’attention, mais ne pas oublier de s’attarder sur le blanc de la page, les zones vierges qui habitent les planches de Betty, absence primordiale et territoire d’émergence, ne pas oublier d’observer ce qu’ose en faire L.L. de Mars, la retenue savante dont une main peut faire preuve au cœur d’un orage polychrome.



Alors bien sûr, oui, au final, déflagration oblige («Merde ! Elle a sauté !»), Betty meurt. Du balcon s’étant jetée ? Ayant été poussée ? Assassinée, Betty ? Suicidée ? Quelle importance ? On n’échappe jamais impunément à ses bourreaux, et le devenir-compost fut envisagé dès le début comme ne se prêtant pas à la ritournelle. Donc nul requiem pour Betty, puisque ce serait la trahir au dernier instant, venir clôturer son existence d’une chanson de mort. Serait-on tenté d’ajouter autre chose ? «Insiste pas, j’te dis…». Dont acte.



Amusons-nous plutôt, récréation de fin de parcours, à comprimer le livre jusqu’à n’en plus conserver que la première et la dernière phrase : «Betty, c’est le grand jour… Betty est morte». Que découvre-t-on en ce nouvel arrangement ? Que si Betty infinie se déploie autant qu’elle le veut dans sa quête d’elle-même (est déjà prévu, nouvel état, un Comment Betty vint au discours à paraître chez The Hoochie Coochie), il ne faut cependant pas ignorer ceci : il n’y a bel et bien qu’un seul jour durant lequel s’incarne la voix multiple du devenir. Un seul jour ; le jour accompli de la vie de Betty ; le jour en cours pour chacun d’entre nous supposés vivants. Ce jour, aussi bref que démesuré, est celui où l’on vient au monde avant de le quitter. Du matin jusqu’au soir, et sans qu’il n’y ait de lendemain à cette affaire.



Peut-être alors saura-t-on, comme Betty nous y invite, en tirer toutes les conclusions qui s’imposent.
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Tarzan : Seigneur des singes



« Tarzan, seigneur des signes», tresse trois récits, trois formes que pourrait prendre un livre appelé «Tarzan, seigneur des signes»

Le premier est un livre naufragé, émietté, dont la lointaine beauté muette réveille l'origine du récit de Burroughs : la naissance de Tarzan, la mort de ses parents, la substitution par une guenon de cet enfant humain au bébé qu'elle a perdu, histoire déroulée jusqu'à la mort du singe dominant de la horde que Tarzan viendra remplacer.

Le second est un récit satirique qui voit peu à peu un mode d'emploi (celui d'une adaptation idéalement adaptée au marché d'un Tarzan contemporain) se colorer de voix multiples et dissonnantes : c'est la mise en branle agitée et bavarde d'un monde d'éditeurs, de collectionneurs, de journalistes, de maniaques de toutes sortes, tourné vers cette nouvelle adaptation de «Tarzan» et les implications poétiques, politiques, esthétiques qu'elle entraine, malgré toutes les précautions prises pour en faire LA bonne adaptation du moment.

Le troisième est celui que vous avez entre les mains qui, par le mode impressionniste des relations établies entre les pages de gauche et celles de droite et par l'autonomie des images qui les composent, raconte une toute autre histoire, celle des liens puissants de la bande dessinée contemporaine avec son passé, avec les grands récits mythiques dont elle fait son socle et sa propre histoire de l'art, modeste et grandiose.





Notice de l'auteur :



Dessiner un Tarzan. Se replonger dans le premier récit : naissance de Tarzan, mort de ses parents, substitution par une guenon du petit humain au bébé qu'elle a perdu, ceci jusqu'à la mort du singe dominant que Tarzan remplacera. Travailler avec l'arrière-plan de Johnny Weissmuller que je regardais avec mon père cogner des crocodiles et des lions, avec les bandes dessinées furieuses de Hogarth, mais aussi avec les médiocres adaptations surnuméraires de Sagedition.



Mon Tarzan retrace autant la genèse de Tarzan que la découverte d'une vieille adaptation, muette, à moitié détruite, parcellaire, de cette genèse. En parallèle, dans une constellation de commentaires en strips, se déroule l'histoire éditoriale d'une nouvelle version de Tarzan qui fait un scandale miteux. Il fallait au moins autant de voix pour revenir au monde la bd, à ses lecteurs, ses auteurs, se déchirant sur des questions aussi stupides que bd populaire/bd pas populaire, avant-garde/ringardise, sérieux du message/nécessité de la distraction etc. De bien inutiles et inféconds couples d'opposition pour penser quoi que ce soit...

Tout en conduisant — sans soucis de savoir si mon Tarzan est un récit populaire ou pas — un récit classique muet, pour cette histoire mille fois racontée, je déroule une autre histoire en regard, qui l'éclaire de façon bavarde et agitée, sur un mode burlesque ; jouer entre le mode explicatif et sa singerie, entre le sérieux et le ridicule, le profane et le sacré.
Lien : https://vimeo.com/lldemars/t..
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Sous les bombes sans la guerre

À la fois grave et ironique, angoissante et attractive, c’est une œuvre hybride et paradoxale qui sont aux éditions Tanibis, que seule une lecture attentionnée peut véritablement rendre.
Lien : http://www.avoir-alire.com/s..
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Sous les bombes sans la guerre

"L’ouvrage édité en mars par les Editions Tanibis est encore plus personnel et plus impressionnant. Personnel car il relève de l’intime, en évoquant la disparition inéluctable d’un père malade. Impressionnant car le graphisme se déploie cette fois-ci en couleurs et dans un format ample. Sous les bombes sans la guerre est un livre grave et douloureux, comme le parcours de quelqu’un en quête d’apaisement.



Il n’est pas seulement question de "faire le deuil" - l’expression est d’ailleurs devenue bien convenue. L.L. de Mars nous montre - et sa démonstration est aussi subtile, presque subreptice, que son dessin est brillant - qu’il s’agit moins d’oublier notre chagrin que d’accepter notre finitude. En réunissant confusément des éléments disparates qui ont fait la relation entre le père et son fils, l’auteur tente d’admettre ce qui paraît inadmissible. La disparition d’un être cher, qui plus est dans la souffrance et l’iniquité - injuste fatalité de la maladie -, est une déchirure qui ne disparaît jamais, et avec laquelle il faut apprendre à vivre.

Le père et le fils, figures centrales de Sous les bombes sans la guerre, sont pudiquement masquées par deux icônes de la bande dessinée populaire. L.L. de Mars reprend en effet les personnages de José Cabrero Arnal : Top le père (créé en 1935) et Pif le fils (créé en 1948). Nous retrouvons également Placid et Muzo (créés, eux, en 1946). Outre un léger effet de distanciation permettant de supporter la dureté du propos, ce choix correspond aussi à la mythologie familiale de L.L. de Mars. Son père avait en effet vendu dans sa jeunesse des journaux communistes sur les marchés, tandis que lui-même était lecteur du magazine Pif.



Sous les bombes sans la guerre tient à la fois de la bande dessinée et du livre d’art. Son tirage est d’ailleurs limité à quelques centaines d’exemplaires du fait du façonnage artisanal de la jaquette. Sous un aspect faussement brouillon, il cache ainsi un travail majestueux mêlant le noir profond à la couleur. "J’espère que vous trouverez, à sa lecture, un peu de l’intensité dans laquelle je l’ai réalisé." nous dit L.L. de Mars dans un court texte accompagnant son livre. C’est le cas, et le terme d’intensité sonne comme une évidence."



Frédéric HOJLO
Lien : http://www.actuabd.com/Le-pr..
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Vies de la mort

une utilisation de la forme strip qui ne se soucie pas autant de l'humour ni de la chute que de multiplier les approches de son sujet. Certaines pages sont de purs poèmes, d'autres des grimaces noires, d'autres des méditations métaphysiques. Un travail d'aquarelle' tout en camaïeu de feu et de terre.
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Sacro Monte

Lecture savante truffée de noms inconnus ou oubliés en dehors des cercles d’initiés, impressionnant travail graphico-narratif triturant le ressenti, Sacro Monte arrive à dépasser son statut de méditation purement intellectuelle pour aller toucher le cœur de son sujet : «Chaque trajet apporte une rencontre, une œuvre.» Pour les plus aventureux, le livre pourrait très bien servir de guide lors d’une prochaine excursion à vocation culturelle.
Lien : https://www.bdgest.com/chron..
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Henri, le lapin à grosses couilles

Un album déjanté pour adultes qui mêle histoire trash à des jolis dessins tous mignons. C'est marrant et surprenant. Mais à ne mettre entre les mains que de gens pourvus d'un sacré second degré.
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Bandes dessinées : manuel de l'utilisateur

Qui eût cru que L.L. de Mars se pique de réaliser une bande dessinée pédagogique ? Lui qui aime nager à contre-courant et expérimenter dans divers champs artistiques livre chez Ab Irato un petit manuel digne de Scott McCloud. À moins que...
Lien : https://www.actuabd.com/Band..
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Tarzan : Seigneur des singes

C’est donc quitte ou double : soit on se laisse emporter par cette expérience de lecture qui réveille les neurones, soit on reste dubitatif devant un tel ovni.
Lien : http://www.bodoi.info/tarzan..
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Tarzan : Seigneur des singes

Un encouragement à ne pas prendre (trop) au sérieux aussi bien nos mythologies modernes que "l'art de la bande dessinée".
Lien : http://www.actuabd.com/Tarza..
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Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

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Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur cet auteur

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