Angkar utilisait la faim comme une arme. Sur les chantiers, les jeunes recevaient une ration œ nourriture par journée de travail, mais, s'ils tombaient malades ; ils ne recevaient plus qu'un peu de bouillon clair, ce qui les incitait à travailler jusqu'à l'épuisement. De temps en temps, à l'occasion d'un travail plus pénible, était organisée une distribution de bouillon sucré, dont l'effet non seulement physique mais psychologique était considérable sur les corps affaiblis. La faim hantait toutes les pensées, mais on se culpabilisait de le reconnaître, même intimement.
L'élimination des filières reposait sur les "aveux et confessions" rédigés par les accusés. Chaque accusé devait retracer sa vie, en reconstituer les événements et énumérer les noms des personnes connues, rencontrées ou contactées. C'est ainsi que des listes de cent ou deux cents noms étaient chose courante. Une même personne figurant sur les listes de trois "traîtres" était arrêtée. Plus tard, devant le nombre impressionnant d'arrestations que cette méthode impliquait, le nombre fut porté à cinq. [...] La logique de la détection des coupables était un mélange de pseudo-psychanalyse et d'ordalie. Celui qui n'avait rien à se reprocher faisait tout bien, sans faute. Les coupables étaient forcément amenés à faire quelque chose de révélateur de leur turpitude.
A la cantine, garçons et filles, hommes et femmes mangeaient en deux groupes bien distincts. Beaucoup de couples vivaient séparés.[…] Depuis toujours Angkar conseillait la séparation des époux. "Alors que le peuple souffre mille maux, disait-elle, et que le pays est dans le malheur, vous ne pouvez,en tant qu'éléments d'avant-garde, penser à votre bonheur personnel. Il est bon que les couples vivent séparés." Aux nombreux célibataires on tenait un discours analogue : "Attendez que les conditions s'améliorent" leur disait-on," Angkar pense à vous. Au moment voulu, elle vous mariera.
Histoire d'une française mariée à un cambodgien au moment de la prise du pouvoir par les Khmers Rouges.