Le Qhapaq Nan a survécu au temps, révélant sporadiquement des segments monumentaux. Ce trésor du patrimoine mondial existe bel et bien, sur plus de 6000 kilomètres du Sud de la Colombie à l'Aconcagua en Argentine, et paraît attendre une seule chose : renaître pour jouer à nouveau son rôle historique d'unificateur des Andes.
La pyramide cérémonielle de Curamba est idéalement située face à la cordillère enneigée, la terre des apus, ces dieux des montagnes qui contrôlent le climat et la destinée des êtres humains. Une des rares sections visibles du Qhapaq Nan dans la région permet d'atteindre le site.
Dans le petit hameau de Culcapampa, nous fêtons le Premier de l'an : un mouton est tué, l'aguardiente, l'alcool de canne à sucre, coule à flots et à minuit nous dansons autour d'un muneco en flammes, une poupée ridicule, symbole de l'année écoulée.
Notre marche en Equateur nous a prouvé combien le Qhapaq Nan pouvait être difficile à dépister. Souvent visible dans les zones isolées et à de hautes altitudes, il a disparu partiellement ou dans sa totalité dans les zones les plus basses, effacé par la construction des routes et des infrastructures modernes.
En revanche, comme les régions du Nord du Pérou sont moins développées, nous franchissons la frontière avec la ferme conviction d'y repérer des sections toujours intactes.
Nous nous sentons terriblement seuls ce soir. Blottis l'un contre l'autre dans notre petite tente, la pluie ruisselle contre les parois et les gouttes d'eau clapotent sur la toile, seul bruit dans cette immensité sauvage qui nous entoure.
Des chevaux galopent vers une destination connue d'eux seuls alors que les troupeaux de lamas paissent tranquillement.
Le réseau des routes incas, dont la longueur totale est évaluée à plus de 45 000 kilomètres est composé d'un chemin principal du nord au sud, le Qhapaq Nan et d'une multitudes de routes transversales d'est en ouest. Ce réseau secondaire permettait de relier le Qhapaq Nan à la côte pacifique et au bassin amazonien.
Depuis le lac Junin jusqu'à Tarmatambo, la Route Inca change de physionomie, s'adaptant aux différentes topographies : elle brave les eaux comme les reliefs accidentés, se métamorphosant d'une chaussée pavée au-dessus du lac en une plate-forme escarpée soutenue par d'impressionnants murs de soutien.
La Route s'élève vers le col de Waga Punta, imprimant le passage de son empreinte colossale.
Cettefois-ci, la Grande Route Inca est devant nos yeux. Elle atteint dix mètres de large -- sur un plan incliné -- en remontant le col d'une colline en forme de cône appelée La Plaza del Inca. Au sommet se trouvent les fondations de deux murs concentriques. Dénicher la Route, après l'avoir arpentée d'est en ouest de nombreuses fois, a été une grande satisfaction pour nous. Mais cela n'a pas duré car nous n'avons plus retrouvé de telles sections avant d'arriver au Pérou.
Ricardo Espinosa, La Gran Ruta Inca, 2002