Lily Borg

J'ai l'impression d'avoir un arbre qui pousse à l'intérieur ; au rythme de nos rencontres, il grandit, puis fleurit. Elle l'arrose de son sourire et de ses confidences.

Ma sœur et moi avons pris la décision de couper tout contact avec nos amis et petits amis. Cela nous paraît plus sain de nous éviter la déception. Il est bien connu que lors d’une telle séparation, nous nous promettons fidélité et nous jurons de nous retrouver très vite, mais qu’au final, il ne reste rien que le manque de l’autre.
Loin des yeux, loin du cœur.

Pourquoi suis-je venue jusqu’ici ? Mon seul noir secret est mon attirance pour lui, et ça, je refuse de lui en faire part. Je suis persuadée que tout ça n’est qu’un jeu pour lui. Il cherche à me séduire pour mieux me briser le cœur. Mais je ne me laisserai pas faire. Pourtant, je vois en lui un peu de bonté dont personne autour de moi ne semble faire cas. Peut-être ont-ils tous raison, et lui aussi. La voix du majordome me tire de ma rêverie. Trop tard, je ne peux plus faire demi-tour. — Monsieur Aaron vous attend dans ses quartiers. Sortez par le grand salon, traversez le jardin intérieur et vous y serez. — Merci… — Uriel, répond-il sans sourire. Cet homme est impassible. Modèle de maîtrise parfaite de ses expressions. J’emprunte le chemin indiqué. À travers une fenêtre, je peux encore apercevoir une autre pelouse, avec une piscine à l’arrière de la demeure. Arrivée à une large baie vitrée, je la fais coulisser pour entrer. Une sorte de petit salon – en son sens initial cette fois – se trouve devant moi. Un canapé, une télé avec jeux vidéo, un billard… Sur la droite, une seconde pièce abrite tout un tas d’instruments musicaux. Contre l’un des murs, une immense bibliothèque emplie de disques et vinyles, une chaîne hi-fi et une platine impressionnante forment un coin « écoute ». Éblouissant ! Revenant sur mes pas, je m’apprête à pousser une autre porte lorsque je l’entends derrière moi.

C’est trop dur, les larmes coulent sur mes joues de nouveau, en cascade. Je suis incapable de les contrôler. Ma sœur se précipite vers moi pour me prendre dans ses bras. Elle ne dit rien, et j’ai l’impression de la retrouver enfin. Blottie contre elle, je laisse libre cours à mon chagrin. Elle me berce et me chuchote qu’elle est désolée de s’être emportée.

En toute sincérité, j’adorais mon petit ami, je savais pourtant que je ne finirais pas ma vie avec lui. En revanche, lui était bien plus amoureux. Cela me déconcertait souvent d’ailleurs, et me mettait mal à l’aise parfois. Voir cet amour si fort, mais ne pas pouvoir lui offrir une réciprocité aussi intense me brisait le cœur pour lui. Il n’est pas naïf, il devait le sentir, mais s’en contenter, imaginant que c’était sans doute mieux que rien. Selon ma vision du véritable amour, nous n’avons qu’une âme sœur. Et je ne l’ai pas encore trouvée. Mais j’ai le temps, après tout.
Malgré nos différences, Lucy et moi sommes complémentaires et fusionnelles. Un regard suffit pour que le sens de nos pensées soit saisi par l’autre. Un seul souffle, un seul geste, et la seconde sait ce qui va se produire, ou ce qui vient de l’être. Il est rare, et je dirais même presque impossible, que nous nous cachions quelque chose.

L’émotion fait trembler ma voix, mais l’expression de mon petit ami à l’instant où je prononce cette phrase vaut tout l’or du monde. À mesure qu’il réalise que ce n’est pas un rêve, il se rapproche de moi jusqu’à frôler ma bouche de la sienne, toujours les yeux dans les yeux.
— Répète-moi ça, supplie-t-il.
— Je t’aime...

J’entends des bribes de conversations de mes amies, mais n’en comprends pas le sens. Tout ce que je me demande, c’est : que projette-t-il ? Il m’a peut-être menti hier, quand il me disait qu’il n’était pas du genre à draguer pour une nuit ? Il m’a semblé expert en la matière, comme s’il pratiquait cela comme un sport. J’espère juste ne pas être tombée dans le piège.
Les autres cours de la matinée subissent un sort identique. La sonnerie annonçant le déjeuner me ramène à la réalité. Je rejoins les filles et ma sœur au réfectoire. Elles n’ont pas eu le même prof que moi, en dernière heure, et m’attendent à la table de la veille, discutant joyeusement. Une boule de stress se forme dans mon ventre lorsque je me rends compte que les Pegasus occupent déjà leur place. Je décide de ne pas faire attention à eux, pour être sûre de ne pas croiser le regard de Bradyn.

 — Cette fois, je me montrerai à la hauteur, lui certifié-je.
L’émotion brille dans ses iris. Puis il me serre dans ses bras, ses mains dans mes cheveux. Il me chuchote des mots doux et je fais de même. Nous restons là des heures, blottis l’un contre l’autre. Plus rien – ni personne – ne nous sépare. 

Mon visage se retrouve si près du sien que je peux le détailler. Il semble si parfait… Il dessine de son pouce le contour de ma bouche, faisant naître en moi le désir de la sienne. Puis, il pose ses lèvres contre les miennes, m’offrant un baiser plus tendre que personne ne l’a jamais fait. Quand nous nous séparons, je m’octroie un temps pour reprendre mon souffle, puis plonge mes yeux dans les siens.
— Tu es expert en la matière, dis-je, un peu plus sèche que je ne l’aurais voulu.
— Je n’aurais pas dû te presser, s’excuse-t-il, sentant le malaise dans ma voix.
— Pardonne-moi. Ce n’est pas ça, dis-je en m’approchant. Je n’ai juste pas besoin d’un dragueur professionnel qui m’aura oubliée une fois qu’il aura obtenu ce qu’il désire.

Notre histoire est gravée dans mon cœur. Ce que nous avons vécu tous les deux est précieux. Je suis riche de son affection, de ma relation avec lui et de tous ces moments partagés. Je devrais m’estimer heureuse d’avoir connu un tel bonheur, aussi court fût-il.