(...)
A la fenêtre
Tiens, il fait tout noir de ce côté
Du miroir...
Oh ! mon humaine, tu te laves encore ?
Pourquoi ?
A quoi ça sert ?
Elle m'a mis dans la douche une fois
Elle m'a frotté avec un produit bizarre
Brrrrrrrrrrr...
J'aime pas, j'aime pas, j'aime pas !
...
Je suis roi sans le sou,
Seigneur en galère,
Poches aux larges trous.
Léo qui avait le malheur de n'avoir connu que le bonheur.
S'il y avait bien une sorte de gens que Célophée Polidori détestait par-dessus tout, c'était les vieux. Qu'ils fussent actifs ou égrotants, grincheux ou bons vivants, cloîtrés chez eux ou allant dans les villes à pas menus, elle ne les supportait pas. Ils étaient l'engeance la plus ennuyeuse qui fût.
Hélas pour Cléophée, les vieux pullulaient. La faute au baby boom devenu papy boom, la faute à des conditions de vie meilleures qui rallongeaient la date limite d'existence, la faute à la médecine qui n'était pas loin de pouvoir ranimer les momies de l'Egypte antique, la faute à un environnement plus favorable au développement de cette espèce à part entière, la faute sans doute aussi au réchauffement climatique ‑ car il semblait que cette tare propre au XXI ͤ siècle avait sa part de responsabilité quel que fût le désastre.
Bien qu'il en décédât en France chaque jour des centaines, il y en avait autant sinon plus pour entrer vaille que vaille dans l'ère tant redoutée qu'attendue du troisième âge. [...]
Oui, vraiment, Cléophée les haïssait, toutes ces braves têtes blanches qui emplissaient la sienne de bavardages inconsistants.
Le drame de Cléophée, c'était qu'elle-même avait 68 ans.
La révolte gronde dans les rangs des personnages qui, découvrant leur histoire et leur fin, s'en sont ouvertement offusqués. Déjà, on crie au scandale, on lui promet un procès.
"C'est indigne ! crie-t-on.
- C'est le concept", rétorque-t-elle.
Que répondre d'autre ? Elle ne fait pas dans le feel-good, elle a voulu son recueil terrible, ignoble, insolent.
Ô femme craignant la passion, douce hirondelle,
Dans mes bras captive, la passion te rend belle.
J'aime quand tes yeux se baissent sur mon corps nu.
il me restera si peu
de lui
des os des cendres
un vase
comment l’homme que j’aime
pourrait tenir dans un vase ?
La voilà projetée dans l'atmosphère calfeutrée de sa bibliothèque fictive. Installée dans un fauteuil matelassé de velours, elle saisit sa plume, la trempe dans l'encre.
De l'autre côté de la porte, les personnages s'impatientent. Certains commencent à trépigner, à souffler, d'autres regardent leur montre, d'autres encore dévisagent leur curieux voisins. [...]
Chacun se demande ce qu'il peut avoir en commun avec les autres. Chacun tente d'imaginer ce que lui réserve l'auteur.
Dans sa bibliothèque, celle-ci esquisse de sa plume un geste impérieux dans le vide et, avec des allures orgueilleuses de chef d'orchestre, s'exclame :
«En piste !»
Un à un, entrent les personnages.
Une carapace de soleil, et la neige dans le coeur. Voilà qui résumait plutôt bien Leïla.
Elle aurait aimé jeter sa peine et son ennui au visage des autres qui n’en avaient rien à faire. Balancer tout en vrac, s’autoriser à jouer l’enfant capricieux. Comme le font la plupart des gens.
À quoi bon ?
Ses vides n’en seraient pas moins présents en étant partagés.