Citations de Louis-C. Thomas (55)
Tout commence par une voiture tombant le long d'un ravin.
Lorsqu'il se réveille quinze jours plus tard, après avoir frôlé la mort, George se rend vite compte qu'il n'a plus aucuns souvenirs. Toutefois, il est persuadé de ne pas se nommer Romery mais Campo et de n'avoir pas de femme, ce que les circonstances et ses proches semblent contredire...
Louis C. Thomas reprend ici le thème au combien usé de la machination et s'en tire avec brio, puisque le lecteur jusqu'au bout va s'interroger sur le bien fondé des propos du personnage central.
Un court roman très agréable, que l'on pourrait rapprocher de certains films d'Hitchcock ou Chabrol, et adapté en 1967 par Julien Duvivier sous le titre Diaboliquement vôtre.
— Patron, je…
L’inspecteur principal Lémoz étudiait un dossier. Sans interrompre sa lecture, il guigna du coin de l’œil son jeune subordonné :
— Qu’y a-t-il, Léo ?
— Il y a que... Vous savez, ma tante de La Ciotat, elle est un peu malade en ce moment...
— La pauvre femme !
— Oui ! Il faudrait peut-être que j’aille la voir... ce soir, par exemple. Je passerai la nuit et reviendrai demain matin.
Lémoz voyait venir Léo de loin. Il fit durer le plaisir :
— C’est très bien cela !
— Je crois, patron. Alors... si ça ne vous dérangeait pas trop... vous... vous pourriez peut-être me prêter la voiture.
Sans relever la tête, l’inspecteur approuva :
— Bien sûr, voyons î Je t’accompagnerai même.
— Oh ! non...
L’exclamation s’était échappée malgré lui des lèvres du jeune homme. Il corrigea :
— Pas la peine, vous savez. Il y aura toute la famille; et puis ça ne sera pas bien gai...
Lémoz rit de bon cœur :
— Allons, vieux farceur, quel âge a-t-elle ta vieille tante ?
Le garçon rougit, fourragea à pleines mains dans sa tignasse, d’un air embarrassé.
— Vingt-cinq ans, patron, finit-il par avouer.
— Il y a longtemps que tu la connais ?
— Une semaine ! Elle s’appelle Josiane. Je lui ai promis une balade en voiture au clair de lune... C’est la chance de ma vie !
- Si un type est là-dessous, il n'aura plus jamais mal aux dents
Elle était belle, elle avait toujours été belle, encore plus belle aujourd’hui
avec, dans le regard, cette naïveté qui n’existait pas auparavant. Les hommes
se retournaient sur elle et il n’en était pas peu fier.
Le fait d’être passé à l’action et surtout l’espoir qu’il nourrissait avaient calmé sa nervosité. Il avait chassé de son esprit l’obsession du poison. Néanmoins et presque malgré lui, il ne toucha aux mets qu’après que ses commensaux y eurent déjà goûté et examina le fond de son verre propre avant de se servir à boire.
" Ce qu’on vise, c’est l’accident, un accident vraisemblable, sans bavures, d’une évidence telle qu’il n’entraînera aucune complication policière. Donc, pas le poison… "
Pire que celle de Damoclès était sa situation car il savait maintenant que, tôt ou tard, l’épée s’abattrait sur lui. Alors, est-ce qu’il allait attendre ainsi, passivement, le bon plaisir de l’assassin ? Il fallait agir, se protéger, faire quelque chose…
Georges ne pouvait plus ne pas voir les choses en face : il était condamné à mort. À quoi bon les « pourquoi » et les « comment » ?… Il était condamné a mort… sans recours. Il se noyait et on lui appuyait sur la tête sous prétexte de le tirer hors de l’eau.
Le bon sens l’obligeait à reconnaître la vérité… Mais pouvait-on parler de bon sens dans cette extraordinaire aventure en plein domaine de l’absurde ?
Il y avait tant d’éléments contradictoires. L’un d’eux pourtant, scientifique, indiscutable, emporterait bientôt la partie : le test de l’écriture!
Communiquer avec l’extérieur, voir d’autres têtes, parler a des gens qui ne le traiteraient pas en malade mental… Cette idée l’avait hanté toute la soirée jusqu’à ce qu’il s’endormît et l’avait repris au réveil pour ne plus le quitter.
Un amnésique, un fou, ne doit-on pas le protéger contre lui-même ?
« Une oreille à l’écoute du monde », proclamait l’étiquette encore attachée à l’appareil. Mais qu’importait cette communication à sens unique si le monde, lui, était sourd ?
L’instinct de l’animal ne se trompe pas : Mikado n’avait pas reconnu Georges parce que Georges n’avait jamais été son maître… parce que Georges n’était pas Romery !
Sa combativité s’émoussait. N’était-il pas bien soigné, dorloté, bichonné et n’avait-il pas à sa portée une femme qu’il désirait ? Que souhaiter de plus ?
N’était-ce pas folie que de refuser tout ça ? Oui, elle était là, sa seule folie. Pourquoi ne pas accepter cette convalescence agréable sans chercher midi à quatorze heures ?
Pour l’instant, il ne pensait qu’au plaisir de s’appuyer sur Christiane qui l’aidait à faire quelques pas. Il avait hâte d’explorer enfin les êtres.
Vêtue d’un pantalon blanc étroitement ajusté et d’un pull-over noir soulignant la poitrine agressive, elle était mince, parfaitement proportionnée. Son corps ondulait harmonieusement au rythme de sa démarche. Ses boucles d’un roux ardent faisaient ressortir la profondeur de ses yeux verts… Pour la première fois, Georges voyait en elle la Femme. Sa femme s’il le désirait. Ses instincts se réveillaient, son imagination travaillait : il suffirait sans doute qu’il le voulût pour qu’elle vînt le retrouver cette nuit !
Il y a des moments où c’est aussi affolant pour nous que pour toi, tu sais… C’est un peu comme si nous étions d’un côté d’une muraille de verre et toi de l’autre, nous tournant le dos. Nous te voyons, nous t’appelons et tu ne nous entends pas.
Déjà, la redoutable perspective de l’hôpital psychiatrique se profilait à l’horizon. Il ne savait plus, il était si faible… Le passé, le présent et le futur s’entremêlaient en un magma de pensées informes dont il n’était plus le maître. Les noms brésiliens voisinaient avec les noms indochinois… Et ces photos qui dansaient devant ses yeux… Et puis encore, comment savait-il que sa femme était rousse ?… Non, pas sa femme !… C’était à en perdre l’esprit ! Christiane devina-t-elle les affres qu’il endurait ? Il l’entendit demander au Dr Mars : — S’il reste calme, sera-t-il absolument nécessaire de consulter un… Elle laissa sa phrase en suspens comme si elle aussi appréhendait le pouvoir maléfique de certains mots. Mais le praticien enchaînait avec une autorité toute médicale : — Un psychiatre ? Rien ne presse.
— Vous voulez dire un « psychiatre » ?
— J’hésite souvent à prononcer le mot… Il effarouche encore certaines gens… Bien à tort, d’ailleurs… Les psychiatres sont des médecins comme les autres… Nous pourrions consulter celui-là.
En vérité, vous êtes votre propre médecin : bien manger, bien dormir et ne penser à rien d’autre qu’à vous retaper physiquement. Le physique d’abord, le reste suivra automatiquement.