Les eaux-fortes d'Henri Leys, exécutées un peu comme de savants et prestes croquis à la plume, ont beaucoup de saveur en raison de leur puissance et de leur netteté de facture, ainsi que par une certaine étrangeté mêlée de sérénité qui prêtent un caractère particulier à des scènes évocatrices de temps lointains.
Une femme assise sur un coin de yacht, abritée du soleil par la toile grise de la tente, le buste érigé, les genoux recouverts d'un plaid, vêtue d'une chemisette claire, monochrome; le cou sanglé, le chignon jaune, lourd et bas, coiffé d'un minuscule canotier qui exagère la mode... Derrière la rampe ouvragée du bastingage, la mer bleue, d'un bleu sourd, vaguement laiteux, où quelques sinuosités blanches indiquent le mouvement des vagues... et le ciel pointillé du même bleu et de blanc à l'horizon... Un steamer vogue au loin, empanaché de fumée noire.
« Cela n'a pas de titre ; mais l'attitude hautaine de cette lemme sur le décor simple, le profil de ce visage où l'oeil marque une petite tâche d'un bleu dur, cette silhouette nue parle et synthétise le roman.
« Oh ! pas de regard loin ! pas de songerie ailée vers le rivage qui disparait où celui qui va naitre. vers le vaisseau de là-bas qui charrie des attentes, des regrets, des vies humaines !.,. Cette femme tout près d'elle-même, dressée dans son égoïsme orgueilleux, reine du yacht, dominatrice de celui qui le possède et le gouverne, dédaigneuse des paysages ; cette princesse, c'est la maîtresse grande dame, la maitresse sans entrailles, mais d'élégance noble, d'orgueil et de luxe.
Cette vie si belle, ce temps si laborieusement occupé n'ont pas trouvé grâce devant la mort ! Notre ami est décédé le 9 novembre 1927, après deux années de maladie durant lesquelles, l'inquiétude morale, causée par la constatation de son invalidité, prédomina sur la souffrance physique.Au moins, avait-il eu la consolation d'avoir pu mettre le point final, avant sa grande crise, au manuscrit du Catalogue de l oeuvre gravé de Daumier, d'en avoir ordonné la présentation complète. Il considérait cet ouvrage comme devant être le summum de sa carrière, il le demeure pleinement. Car il paraîtra dans son entier tel qu il l' avait arrêté, sans qu'aucune main étrangère, quelque pieuse fut-elle, n'ait eu à intervenir.
A quelle date Camille Pissarro revenu des Antilles en France, à l'âge de 23 ans, a-t-il commencé à graver? Nous ne croyons pas qu'il faille remonter au-delà de 1863. Les documents précis manquent sur cette première partie de sa production peinte ou gravée,puisque tout ce que l'artiste possédait chez lui en 1870, à Louveciennes, où il vivait avec sa femme et son fils aîné depuis deux ans, fut pillé et certainement détruit lors de l'avance allemande sur Paris. L'eau-forte que nous considérons comme sa planche de début, en raison de l'incertitude du métier: Au bord de l'eau et dont il fit une réplique, est imprégnée du souvenir de Corot, son maître.
La majeure partie des œuvres gravées et lithographiées de Degas demeurées inédites sont fort rares; plusieurs sont à peu près uniques et presque toujours chaque épreuve constitue un nouvel état rendant la moindre d'entre elles, très précieuse; une seule planche a été publiée en 1877, dans le Livret du Salon des Amis des Arts de Pau : Sur la scène. Degas avait gravé une autre planche en vue de sa publication' dans une revue d'art; c'est le Musée des antiques, au Louvre. Cette revue qui se serait appelée BLANC ET NOIR, devait avoir pour collaborateurs artistiques en outre de Degas, Bracquemond et Desboutin.
En 1883, Besnard quitta Londres et vint habiter cette petite rue Guillaume Tell si calme et si tranquille qu'on dirait un coin de province oublié aux confins de Paris. C'est là qu'en 1883 Paul Gallimard vint lui demander d'illustrer l'Affaire Clémenceau d'Alexandre Dumas. Cette interprétation à l'eau-forte de ses propres aquarelles allait le libérer complètement de l'influence d'Alphonse Legros. Il dut abandonner, en effet, la technique linéaire de ses débuts pour chercher dans la variété des morsures une évocation plus directe de la couleur.
Eugène Carrière a tout à la fois — constatons-le dès maintenant pour n'y plus revenir — des admirateurs passionnés l'exaltant et le proclamant un maître exceptionnel de sa génération, et des détracteurs qui vont jusqu'à nier son indiscutable originalité, en la qualifiant dédaigneusement de « procédé ».
Une telle disparité dans les jugements est faite pour surprendre; elle n'est en tout cas, nullement justifiée. Il semblerait en effet, que l'art de Carrière tout de tendresse et tout en nuances — qu'il s'agisse de ses peintures ou de ses lithographies — dût réunir l'ensemble des suffrages des connaisseurs. On s'imagine difficilement l'indifférence de l'homme de goût, en présence de ses meilleures œuvres d'une volonté et d'une émotion si pénétrantes dans leur gamme quasi-monochrome.
Jean-François Millet
Le maître robuste, dont l'oeuvre gravé va être décrit pièce par pièce, est né en Normandie, au hameau de Gruchy, commune de Gréville (Manche), le 4 octobre 1814; il était le cadet d'une famille de huit enfants, issue de J. L. Nie. Millet, cultivateur, et de Aimée IIe Adélaïde Henry, sa femme. D'abord et tout naturellement destiné aux travaux des champs, Millet révéla, en diverses circonstances, une telle aptitude pour l'art, que son père, ne voulant pas entraver une vocation qui lui paraissait si nettement accusée, se rendit à Cherbourg avec son fils et le confia, pour l'instruire, à un peintre du nom de Bon Dumouchel, dit Mouchel.
Après la guerre franco-allemande, Degas confiné dans un cercle d'amis, déserta les Salons et c'est fort rarement, bien que sa célébrité s'étendît de plus en plus, qu'il consentit à exposer; l'on ne le trouve guère son nom qu'aux expositions organisées par les Impressionnistes en 1874 et en 1886, puis chez Durand-Ruel, en 1893 notamment. Faut-il rappeler que Degas, décédé le 27 septembre 1917, connut dans les dernières années de sa vie toute de travail, de dignité et d'isolement volontaire, une demi-cécité qui exacerba son caractère impressionnable et porté par nature à la misanthropie et à la causticité?
Mais l'artiste est en recherche d'autres figures devant lesquelles s'exerce sa bonhomie ou sa malice, sa finesse de vision, sa pénétration des catégories sociales : femmes au saut du lit, au tub, à leur toilette, l'actrice en voyage parmi ses malles et ses caisses, ses corsets et ses chapeaux, l'actrice sur la scène, gantée, empanachée, prompte au jeu de l'éventail et à la répartie, femmes qui lisent un livre, une lettre de deuil. En voilà une d'un autre genre, l'horrible créature qui peut être une chanteuse de bas-concert, ou pis encore, si l'on en croit une annotation de Raffaëlli lui-même.