Luigi Lanzi

Cette époque produisit un excellent peintre de perspectives, duquel il a été fait mention dans l'histoire de l'école romaine , où il apprit son art : il a même laissé à Rome quelques peintures ; ce fut Giovanni Chisolfi , élève de Salvator Rosa. Je dois ajouter ici que, de retour à Milan, outre les vues d'architecture , pour les quelles on le place au premier rang , il entreprit de faire aussi de grands sujets d'histoire et des tableaux d'autel, et produisit des fresques d'un fort bon goût dans la Chartreuse de Pavie, puis dans le sanctuaire de Varese.

Michel-Ange Buonarroti, dont les mémoires furent publies pendant sa vie par deux de ses disciples, naquit ving-trois ans après Léonard. Il eut comme ce dernier un esprit supérieur, et avait de ces saillies heureuses que l'on peut comparer à celles des anciens peintres grecs, dont on lit les célèbres réparties dans le Dati II fut même, plus qu'aucun d'eux, orateur brillant et dialecticien habile. Mais il n'était point né comme le Vinci pour le genre aimable et gracieux; son génie était plus vaste , et d'un caractère plus décidé. Aussi excella-t-il dans les trois arts que plusieurs de ses prédécesseurs avaient cultivés à la fois; et il laissa dans chacun d'eux des modèles qui auraient suffi pour immortaliser plusieurs artistes, si ses tableaux, ses statues et ses édifices , eussent appartenu à trois auteurs différents. A l'exemple de Léonard il donna , dès son enfance, des preuves de talent, qui obligèrent Domenico Ghirlandaja son maître à convenir qu'il en savait moins que lui. Domenico , ne pouvant supporter la supériorité que son propre frère Benedetto avait sur lui en peinture, envoya celui-ci en France, et, ne redoutant pas moins le brillant génie de Michel-Ange, le dirigea vers la sculpture. Ce fut alors que Laurent le magnifique, voulant faire refleurir dans sa patrie la sculpture, qui y tombait en décadence, et ayant rassemblé dans ses jardins de Saint-Marc un grand nombre de statues antiques, dont il avait confié le soin à un Bertold, élève de Donatello , demanda au Ghirlandaja un jeune homme qu'il crût capable de devenir un bon statuaire.

Parmi ceux qui prirent Carrache pour leur modèle, et dont on ne peut pas déterminer l'école avec certitude, on doit encore, je crois, placer Giuseppino de Macerata , auquel une tradition qui n'a rien d'authentique, donne pour maître Augustin Carrache. Il reste de ses ouvrages dans les deux églises collégiales de Fabriano , une Annonciation à l'huile ; dans celle de Saint-Nicolas, et dans celle de San Venanzio, deux grandes chapelles peintes à fresques; dans l'une des deux, où il figura le Miracle des apôtres , il se surpassa lui-même pour la beauté des têtes et pour la composition. Dans tout le reste il paraît avoir travaillé avec trop de hâte et avec une certaine hésitation.

On pourrait partager en quatre époques la vie de Léonard, et marquer la première au temps qu'il passa de Léonard, à Florence lorsqu'il était jeune encore. C'est à celle-ci qu'appartiennent non-seulement la Méduse de la Galerie, et le petit nombre d'ouvrages indiqués par le Vasari, mais aussi plusieurs autres, qui sont moins remarquables par les effets de lumière, moins variés dans les plis des draperies, et dont les têtes, plutôt agréables que belles , semblent être sorties de l'école du Verrocchio. Telles sont la Madelaine des Pitti à Florence, et celle du palais Aldobrandini à Rome; quelques madones et quelques saintes familles dans diverses galeries, entr'autres celle de Giustiniani et celle Borgbèse. Enfin plusieurs têtes de l'Enfant-Jésus et de Saint-Jean-Baptiste que j'ai vues en divers endroits, et dont on ne peut affirmer avec certitude qu'elles soient réellement de la main de Léonard, à cause de la multitude de têtes du même caractère qui sortirent de son école. Il faut néanmoins distinguer des autres, un Enfant- Jésus couché dans un berceau élégant , orné de perles, et richement enveloppé de draperies, que l'on voit à Bologne, dans les appartements du grand gonfalonier. Ce dernier ouvrage est d'un tout autre genre, et d'une plus grande authenticité que les précédents

Chaque nation a ses vertus et ses vices ; et celui qui entreprend d'écrire l'histoire d'un peuple, doit, avec une égale bonne foi, donner des louanges aux premières et condamner les derniers. Il en est ainsi des écoles de peinture : aucune d'elles n'est parfaite au point de ne rien laisser à désirer ; aucune d'elles n'est faible au point de ne mériter aucune d'elles n'est faible au point de ne mériter aucune espèce d'éloge.

C'est une habitude générale parmi les peintres, que d'enseigner avec plus de zèle ceux de leur famille que les étrangers; et cependant c'est une coutume des étrangers que de profiter des leçons mieux que ceux de la famille même; aussi arrive-t-il rarement, qu'à la mort d'un chef d'école, la réputation de son académie soit soutenue par un de ses fils ou de ses neveux.

Les successeurs de Raphaël tombaient dans l'excès du beau idéal , tandis que ceux de Michel-Ange exagéraient les détails anatomiques. L'importune vivacité et les raccourcis multipliés reparaissaient dans les sujets d'histoire les plus sérieux des Vénitiens et des Lombards. Il y eut quelques peintres, comme nous l'avons partout remarqué, qui s'élevèrent au-dessus des préjugés et de l'espèce d'aveuglement qui régnait dans toute l'Italie, et qui étudièrent les ouvrages des grands maîtres de chaque pays, pour recueillir de chacun d'eux ce qu'il offrait de meilleur à imiter.

Au commencement Jacopo aspira principalement à l'élévation du style , et quelques-unes de ses peintures qui existent encore sur la façade de la maison de Michieli, semblent annoncer d'heureuses dispositions dans ce genre. On y admire entre autres choses un Samson qui tue les Philistins. Les figures ont quelque chose de la grandeur imposante de Michel-Ange ; mais , soit que la nature ou son propre jugement lui en eût donné le conseil , il se borna ensuite aux petites proportions , et aux sujets qui exigent moins de force. Ses figures, même dans les tableaux d'autel , sont ordinairement beaucoup plus petites que nature, et ne sont jamais fort animées. C'est ce qui a fait dire que les vieillards mêmes sont pleins d'esprit chez le Tintoret ; et que chez le Bassano, les jeunes gens mêmes sont stupides. On n'observe point dans ses tableaux ces beaux monuments d'architecture qui donnent tant de noblesse et de grandeur aux compositions de l'école vénitienne.

Ce fut sur les peintures de Caravaggio , et de Valentino, que le maître de Lebrun, et le le restaurateur de l'école française, forma son style. Il reste de lui, à Rome, quelques productions remarquables, et dans les édifices publics , et dans quelques maisons particulières , surtout dans la galerie Barberina; je les ai entendu préférer à beaucoup d'autres qu'il fit en France, avec une grande promptitude.

L'étude de la poésie, si analogue à celle de la peinture, prenait en même temps un si grand essor, que l'on donna à ce siècle le nom de siècle d'or, nom qu'assurément il ne méritait point à l'égard des études plus sérieuses. Le dessin des maîtres de cette époque , malgré sa sécheresse, était un guide parfait pour le siècle suivant. C'est une observation très-juste, que les élèves, en général, ajoutent plus facilement une sorte de moelleux aux contours d'un modèle trop sec , qu'ils ne diminuent la pesanteur des contours trop massifs : c'est ce qui a fait conclure à plusieurs maîtres, qu'il vaudrait beaucoup mieux habituer de bonne heure les jeunes gens à cette précision du quinzième siècle , qu'à une certaine exagération que l'on a introduite dans les temps postérieurs.

Le sujet qui va nous occuper demande à être traité avec plus de détail qu'aucune autre partie de cet ouvrage. Le siècle dans lequel j'écris est souvent appelé le siècle d'airain, parce qu'il a été le moins fécond en grands génies et en grandes productions à l'égard de la peinture. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu'il aurait pu tenir le même nom de la multiplicité des gravures en cuivre, auxquelles on attache tant de prix depuis quelques années. Le nombre des amateurs s'en est accru au-delà de toute imagination : on en forme de toutes parts de nouveaux cabinets; leur prix augmente outre mesure. Les livres qui en parlent se multiplient; et c'est, en quelque sorte, une partie de l'éducation actuelle, que de savoir les noms, de pouvoir discerner le poinçon, et reconnaître les plus beaux ouvrages de chaque graveur. C'est ainsi que la gravure en cuivre s'est élevée au milieu de la décadence delà peinture.

L'école de Gênes serait parvenue à un plus haut degré dé prospérité, si la peste de 1657 ne lui eût enlevé une multitude de sujets précieux; la plupart périrent à la fleur de l'âge, et l'on peut lire les noms de quelques-uns d'entre eux , dans l'ouvrage de Soprani. La principale cause de la restauration, dont nous parlons, doit être attribuée aux richesses et au bon goût du corps de la noblesse , qui sut attirer et retenir auprès d'elle tant de génies supérieurs; et en second lieu, c'est au Paggi que doit être rapportée une grande partie de ce mérite. Il y avait quelque danger à ce que l'école devînt un séminaire d'excellents coloristes, mais de dessinateurs négligés; car, selon une observation générale, dont la justesse avait été reconnue même par l'Algarotti, les bons coloristes n'ont que très rarement été appliqués à l'étude du dessin.

Un paysagiste d'une grande réputation, qui suivit, la manière d'Agricola, son maître, parut dans le même temps. Ce fut Fabio Ceruti, des tableaux duquel, ni la ville, ni l'État de Milan, ne sont dépourvus. On conserve encore la mémoire d'un Perugini , que le chevalier Ratti a nommé dans la vie d'Alexandre Magnasco de Gênes, et que l'on appelait aussi Lisandrino. Ce dernier, sorti de l'école de l'Abbiati, s'arrêta fort longtemps à Milan, à copier les tableaux du Perugini, de Spera et des autres; et il y ajoutait de petites figures , au mérite desquelles nous rendrons justice, en esquissant l'histoire de son école nationale.

C'est ici que commence le beau siècle de l'école vénitienne. Ainsi que toutes les autres elle vit paraître ses plus grands maîtres vers l'an 1500 ; et ces génies d'un ordre supérieur, non-seulement éclipsèrent tous ceux qui les avaient précédés, mais ôtèrent encore à leurs successeurs l'espoir de jamais les atteindre. Ils arrivèrent par des chemins divers au faîte de la gloire : néanmoins tous s'accordèrent en ce point, que leur coloris fut le plus vrai, le plus brillant, le plus applaudi de tous ceux que l'on distingue dans nos écoles; mérite qu'ils léguèrent en héritage aux peintres qui les remplacèrent, et qui constitue le caractère le plus décidé des maîtres vénitiens.

Dans la vie de Michel-Ange, il reparle encore du désordre pour lequel il lui fallut partir de Home, et il termine en disant qu'étant revenu dans cette ville, il alla jusqu'à la moitié de son ouvrage, et que le pape voulut qu'on en découvrît aussitôt cette portion terminée. « Raphaël qui était un imitateur parfait, l'ayant « vue, changea tout à coup de manière, et fit tout d'un «trait les prophètes et les sibylles de l'église de la Paix.» Nous voici arrivés à une question agitée avec chaleur, en Italie, et au-delà des monts. Le Bellori attaqua le Vasari , dans un opuscule très-mordant, qui a pour titre : « Si Raphaël agrandit et améliora sa manière , «après avoir vu les ouvrages de Michel-Ange?» Le Crespi lui répondit par trois lettres insérées dans le tome II des Pittoriche , et beaucoup d'autres écrivains , en se déclarant pour l'un ou pour l'autre parti, ont produit de nouvelles réflexions.

Raphaël, a son arrivée, dit le Vasari , eut une salle a peindre; ce fut celle que ion appelait alors au temps de la salle de la signature, et que les peintures du Sanzio firent nommer depuis, la salle des sciences. Il figura sur la voûte, la théologie, la philosophie, la poésie, et la jurisprudence : chacune d'elles a, sur la surface contiguë, un grand sujet d'histoire, analogue à son caractère. Il y a aussi dans les soubassements, des sujets qui appartiennent aux mêmes sciences; et ces peintures, moins considérables ainsi que les cariatides ou autres figures destinées à soutenir les corniches qu'il a distribuées ça et là, sont en camaïeu ou clair obscur; idée qui appartient toute entière à Raphaël , et qui fut exécutée, dit-on, par Polydore Caravage, il commença par la théologie, et imita Pétrarque , qui, dans une espèce de vision , avait imaginé une réunion d'hommes d'une même condition, quoiqu'ils eussent vécu à des époques diverses.

Le Correggio commença un peu plus tard à devenir à son tour le modèle favori de l'école modenaise. Elle le reconnaît encore aujourd'hui pour le plus grand de ses maîtres, et conserve son crâne dans l'académie qui à été rétablie avec magnificence dans ces derniers temps, à l'exemple de celle de Rome.

Depuis ces premiers temps, je ne crois point que l'art de la peinture ait été jamais oublié ou se soit jamais assoupi à Milan et dans le pays de sa dépendance. Heureux si nous avions des mémoires assez détaillés pour y trouver les matériaux d'une histoire complète !

Si, dans l'histoire de chaque école de peinture, nous avons en soin de rappeler d'abord la mémoire des temps barbares, pour arriver ensuite aux temps les plus éclairés, nous avons ici bien plus de raison encore, de demeurer fidèles à cette méthode.

Ferrare, autrefois capitale d'une principauté de peu d'étendue sous les ducs d'Este, réduite, depuis l'année 1597, en province de Rome, et devenue le siège de l'une de ses légations ; Ferrare, dis-je, présente une suite non interrompue de peintres de première ordre et à sa population.