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3.27/5 (sur 33 notes)

Nationalité : Allemagne
Né(e) : 1965
Biographie :

Marcel Beyer est né en 1965. En deux livres, il s'est profilé comme l'un des plus prometteurs talents de la jeune génération romancière, en Allemagne.

Source : http://www.anti-rev.org/textes/Lebrun97b/
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Citations et extraits (9) Ajouter une citation
Il n'y a vraiment pas de quoi envier les espions. On croirait que toutes ces cachotteries n'existent que parce que les agents des services secrets n'ont qu'une peur, qu'on découvre qu'ils passent le plus clair de leur temps à des occupations ennuyeuses.
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Les secrets, ça ne lui est apparu qu'après la trentaine, ne signifient pas obligatoirement qu'on veuille taire quelque chose de néfaste. Il n'y a pas que le meurtrier non identifié qui possède un secret. Les traîtres et les espions ne sont pas les seuls à avoir quelque chose à cacher. Les secrets peuvent aussi être une chose que deux êtres partagent : un serment d'amour, une fidélité implicite, des choses que personne d'autre n'a besoin de savoir.
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SPORES

Il s’est tout de suite souvenu d’elle. Son nom, il l’avait découvert sur une affiche par un pur hasard, sur une colonne Morris. Un opéra donné en tournée dans sa ville natale. Ils étaient voisins et jouaient ensemble, la plupart du temps à deux seulement parce que les enfants des voisins embêtaient souvent la petite fille. À cause des yeux, du regard qu’elle avait. D’abord on s’était moqué d’elle puis on s’était moqué de lui. Mais il avait toujours aimé ces yeux italiens. Elle est la seule dans sa famille à avoir de tels yeux, ceux de ses parents et de ses frères et sœurs sont d’une autre couleur, s’il s’en souvient bien. Cela fait plus de dix ans.

Le jour où il a lu son nom, un matin dans la ville, il a eu d’emblée l’impression de n’avoir toujours cherché que ces yeux. C’était une matinée chaude, les premiers jours du printemps, il était entré chez le premier fleuriste sans réfléchir beaucoup pour commander un bouquet avant même de savoir s’il pourrait obtenir un billet.

Il lui fera la surprise d’aller dans sa loge, après la représentation. Les fleurs seront là quand il entrera. Il est à la recherche de ses yeux. Et ce soir, il les aura trouvés.

Un an auparavant, encore, il n’aurait pas agi ainsi. Quand il était au chômage, puis travailleur intermittent, jamais il ne serait allé à l’opéra. Ni lorsque, colporteur à travers la campagne, il allait de ferme en ferme avec sa mallette de démonstration et ses chaussures fatiguées. Ni quand, bonimenteur, il chantait devant un grand magasin les louanges d’un produit de nettoyage miracle ou d’un économe, de bigoudis d’un genre nouveau pour faire une mise en plis à domicile. Il ne se serait jamais montré devant son amie d’enfance et de jeunesse quand il était aide-électricien et qu’il posait des câbles six mois durant dans un lotissement neuf, là-haut, derrière le fortin où se trouve le stand de tir.

Cette odeur, le crépi tout frais, les gaines de câbles. Plus il avance dans son travail, plus il est lent, il reste encore cinq maisons et puis trois, et toujours aucune idée de la façon dont il gagnera sa vie après. Il n’y a plus qu’un étage, plus que les prises et les interrupteurs dans la chambre à coucher et il sera de nouveau au chômage. Après avoir fixé le dernier câble, après avoir rangé le tout lui vient l’idée de s’engager dans la wehrmacht. Quand on sait poser des installations électriques, on n’est peut-être pas sans perspective là-bas, on peut vite se familiariser avec les câbles de transmission.

Ils l’ont pris aussitôt. En échange des chaussures trouées dont il avait honte il a reçu une paire de bottes en cuir. Ses connaissances en électricité l’ont effectivement aidé. Sa bonne vision, aussi. Mais ce qui lui a été le plus utile, c’est d’avoir évoqué son expérience de vol. À l’âge de seize ans, le vol à voile l’attirait, à vingt-cinq ans il est aussi enthousiaste qu’au premier jour, la douceur d’un vol plané souvent imperceptible au-dessus d’un paysage ne lui a plus laissé de répit. Et dans la cabine un silence qu’aucun vent, si violent fût-il, ne peut briser.

Il se retourne. En bas, à l’orchestre, sont assis des soldats, et dans les loges des officiers. Comme il aurait aimé venir en uniforme. Mais aussi surprenant que cela lui paraisse parfois : ils ne doivent pas se douter qu’il est l’un d’entre eux. Pas un traître mot sur la Luftwaffe, pas la moindre allusion autorisée, parce que dix-sept ans après la guerre mondiale, l’Allemagne n’a pas le droit d’avoir une armée de l’air.

Il était dans l’armée depuis peu quand il fut convoqué chez le commandant de sa compagnie avec une poignée de camarades, des techniciens exclusivement, mais il était le seul à avoir une expérience de vol. On leur confia qu’on se préparait à créer une nouvelle flotte aérienne et qu’ils avaient été choisis pour la constituer. Le ministre de l’Aviation du Reich refusait de se laisser imposer davantage le diktat des vainqueurs mais dans un premier temps, il était préférable d’œuvrer en secret. Le 1er février, ils avaient officiellement quitté la Wehrmacht et rendu leur uniforme. Depuis lors il est de nouveau en civil, il ne s’y est pas encore tout à fait habitué.

Il entend le commandant de sa compagnie, patience, encore un peu de patience, le passage de la clandestinité à l’officialité arrivera bien assez tôt. Il est l’un des premiers à avoir appris l’existence d’une nouvelle flotte aérienne. Le commandant de compagnie et le ministre de l’Aviation du Reich peuvent se fier à sa discrétion absolue. Ni camarade ni officier inconnu, personne au monde n’aura le moindre soupçon.

Quelle sorte d’homme serait-il si les secrets n’étaient pas en sécurité chez lui ? Quand on n’a pas la force de conserver un secret, on se montre faible dans les autres domaines aussi. Quand on brise la confiance, quand on n’est pas digne d’un secret, on perd le respect des autres puis le respect de soi. Il faut pouvoir se regarder dans la glace. Un secret, c’est un secret.

Depuis le début du printemps ils tracent des boucles au-dessus de la ville, des boucles ornementales, sans éveiller le moindre soupçon. Ils apprennent le vol plané, le vol en formation, ils apprennent à se dégager, à poursuivre. Les gens regardent le ciel, lorsque les appareils décrivent leur cercle, une inscription blanche apparaît. La première lettre surgit dans un vol en piqué, suivent des crochets, des points, des boucles, un vol en basse altitude soulignera le tracé de la réclame. Les civils ne se doutent de rien.

Son amie de jeunesse aussi se trouve là, peut-être, avec des collègues de sa troupe, levant les yeux vers lui. La main en visière, protégeant son regard italien du soleil, elle désigne la belle écriture de l’index. Si ses amies cherchent encore, cela fait longtemps qu’elle a deviné.

“Aujourd’hui il va écrire ‘Persil’.”

Il faut regarder attentivement, on n’a pas beaucoup de temps pour lire, ce n’est que de la vapeur d’eau. Elle perdra sa forme, se dispersera dans les airs, se dissoudra en bandes de brume légère. Et aura bientôt disparu. Que dans cet avion, là-haut, se trouve son ami de jeunesse, elle ne peut l’imaginer. Elle ne sait pas qu’il est devenu pilote. Quand il avait commencé à faire du vol à voile, ils s’étaient déjà perdus de vue.

Il a un revenu décent, il porte son costume neuf et une chemise fraîche, il peut se montrer à l’opéra. Et il possède quelque chose qu’ont sans doute peu de gens dans le public : un secret.

Les officiers, là-bas, dans la loge. Comme ils sont assis, comme ils parlent, comme ils regardent le public avant que la lumière ne s’éteigne. Comme ils se mettent en scène devant les civils, comme ils se mettent en avant par leurs manières arrogantes. Patience. Cols raides, boutons polis. Encore un peu de patience. Bientôt lui aussi pourra sortir en uniforme. Et ce sera un uniforme comme personne n’en aura jamais vu. Pas gris, ce gris éternel, pense-t-il. Bleu comme l’air, devrait-il être, cet uniforme, et sombre comme le secret de la Luftwaffe.

La sonnerie. Il reprend son programme. Nouvelle sonnerie. Il a découvert une photo qui représente indubitablement son amie de jeunesse. Une dernière sonnerie a retenti, l’obscurité se fait, il sort ses jumelles de leur étui. Il connaît bien la musique classique à travers les disques et la radio, l’opéra qui est au programme ce soir, il en connaît chaque note mais il n’est encore jamais allé dans une salle d’opéra. Pourtant il a d’emblée le sentiment de savoir se comporter. L’usage des jumelles de théâtre lui paraît familier même si celles de l’armée sont beaucoup plus lourdes, plus grandes.

Dès l’ouverture il aimerait chercher les yeux italiens du regard, il ne peut attendre davantage. Les gens de la rangée de devant se raclent la gorge. Il règle la distance, nettoie une fois encore les verres. Les voisins le dévisagent ostensiblement. Ils ne savent pas qui il est. Mais il va s’en sortir, il va apprendre à ne pas se faire remarquer, à rester tranquille. Le rideau se lève. Une femme apparaît. Ce doit être elle.
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Parfois je reste un moment devant le judas et je regarde dans le couloir, même si je sais que je ne risque pas de voir qui que ce soit. Je suis devant le judas et j’attends. Non, je n’attends pas, j’observe, seulement, la porte est fermée. C’est ainsi que je me tenais quand j’étais petit, sur un tabouret, sur une caisse, puis sur la pointe des pieds. C’est ainsi que je me tiens maintenant. J’entends une respiration.

À la maison ou dans un appartement inconnu, dans une barre d’immeubles neufs, avec plafond bas, carrés de moquette, serrures additionnelles sur la porte. Chez des amis ou en visite chez des gens où il y a une odeur, où il n’y a pas de jouets pour moi. Des voix en arrière-fond, les parents et un couple inconnu dans la salle de séjour, ou seulement une pendule murale, le bourdonnement du réfrigérateur, rien.

Je n’ai pas le droit de toucher à l’œilleton. L’escalier est à deux pas, seule la porte m’en sépare. Mais l’image m’atteint de loin. Si mon œil persiste à regarder, les objets se rapprochent lentement, puis les ombres sur les bords. Les détails les plus invisibles du dehors se heurtent au verre dépoli comme s’ils voulaient aussitôt transpercer la rétine.

À travers le judas tout est à la fois près et insaisissable à mes yeux. La fuite est impossible. La fuite est exclue et pourtant l’issue de secours s’offre en permanence à la vue.

Je me tiens ainsi. Je ne vois personne. Je vais rester un certain temps.
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C'est la guerre. La voix taille dans les ténèbres, monte jusqu'à la tribune. L'acoustique est étrange. Est-ce qu'un jour le grand orateur a réfléchi à la contribution décisive que des assistants apparemment insignifiants comme moi ont apportée à sa marche triomphale ? Se souvient-il des conditions acoustiques au début de son mouvement ? Quand parfois les haut-parleurs se mettaient à siffler et que l'orateur devait alors continuer à parler sans que le son soit amplifié, jusqu'à en perdre totalement la voix.
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Une voix éclate dans le silence du petit jour.

"Il faut installer en premier les panneaux indicateurs ! Enfoncer les poteaux avec la masse à fond dans la terre meuble. Il ne faut pas que les panneaux se renversent !"

Les gars sortent tous directement de l'entraînement, jusque dans les tripes, la nuque rasée ; parsemée de poils d'un ou deux jours, la peau brille. Du déchaumage. L'objectif ne serait réalisé que si l'on pouvait les couper encore plus ras.
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On apprend pour vivre et non pour l'école.
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Six hommes munis de brouettes traceuses tracent des lignes le long des passerelles, là où les chiens des aveugles s'arrêteront. Soixante centimètres entre les lignes !

Une largeur d'épaule plus un chien. C'est extrêmement précis.
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-Entrée des sourds-muets!
- Ils sont à l'arrière parce qu'ils ne peuvent pas acclamer le Führer.
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