Ruines en fleurs
exhumées
tête entre les mains
gratter
l'humus de la mémoire.
La Ville n'a plus de cœur
mais les fleurs en ont toujours
La Ville a gardé
sa robe mortuaire trouvée.
Qui refera les coutures?
Guenane
"La ville secrète"
Je caresse la matière de ces pages…
Je caresse la matière de ces pages. Les feuilleter
avec précaution, ne pas les tourner trop vite.
Elles risqueraient de tomber en poussière.
Les années ont passé. On n’a plus beaucoup
de temps tous les deux. Maintenant que les
circonstances familiales m’amènent à me sé-
parer du vieux livret, vient l’idée de retrouver
ce qui a été perdu. Le chemin qui fut le sien,
qui sait, les présences qui l’habitent. Avancer
pour cela dans la fréquentation des livres et
des archives.
Lui, il était sur son île. Dans l'archipel blanc où vivent les mots de la page. Là, il apprivoisait l'absence du père. La maison n'était plus orpheline. A nouveau, son père était présent, ils étaient ensemble autour de la table. Tous les trois. Ses pensées prirent du volume, il crut sentir les souffles de la mer, le bruit des vagues, à mesure que les mots faisaient leur coulée heureuse. Ulysse revenait au pays des champs d'algues et de menhirs.
FLora a eu un mari autrefois. Ce n'est plus son histoire. Qui dira l'inentamable plaisir d'être seule ? Deux grands enfants indépendants, de retour parfois aux week-ends, qui se rencognent dans sa tendresse qui n'en finit pas. Elle a un compagnon pour qui elle a des émois de fiancée de village d'antan. Mais ils n'habitent pas ensemble. Elle, elle a sa maison au bout du chemin creux, parmi les hortensias bleus, les géraniums et les lupins. Ce que redoute cette contemplative des jardins n'est pas de partager le lit d'un homme, c'est de ne plus être souveraine en son fief, car il n'est pas question pour elle de se chamailler pour savoir où planter un bulbe, une bouture donnés par quelque voisine.
UNIDIVERS, Jean-Louis COATRIEUX
Il y a des livres qui nous font voyager. Ici et ailleurs, des lieux à deux pas ou après l’horizon, des lieux où nous nous aventurons sans trop savoir pour qui et pourquoi. Ceux que chacun peut partager sans forcément le dire, où tout compte, les images, les promenades, les rencontres. Où tout stimule l’écriture, sans effets, trait pour trait, pour de vrai. Où le siècle importe peu, le dernier, le prochain, qui sait. Là où l’histoire se fait géographie et les cartes, mémoire peut-être aussi. Comment ne pas me dire cela en lisant Madeleine Bernard, la songeuse de l’invisible ?
Marie-Hélène Prouteau joue des touches de peinture comme celles en couleur d’un piano où les doigts sont légers, les notes à portée de mains. Toujours plus libres. Madeleine Bernard et à côté, Émile, son frère, l’ainé. Ils sont deux, ils sont un, ils le seront toujours. Leurs vies s’ajoutent. Il dessine, ils se parlent, il peint, ils ne cesseront jamais de se parler, de s’écrire. De se protéger, de s’aimer. Lui impétueux et tourmenté, de cette impatience qui ne lâche ni le corps ni l’esprit. Elle, mélancolique, admirative, complice.
La famille ? Plutôt petite bourgeoisie. Genre haut-de-forme, redingote, montre de gousset. Nous sommes dans le pays flamand. Émile a trois ans en 1871 quand il regarde pour la première fois sa sœur. Lille puis Paris et Courbevoie. Ces péniches sur la Seine, Marie- Hélène les voit avec les yeux de Madeleine. Le chemin des vignes a disparu depuis longtemps certes mais il se devine sous les pierres au loin. Ces portraits, ces photographies de famille, elle est là, toute jeune, la table mise au jardin. Des rires, des éclats de voix. Tout au fond l’atelier d’Émile. Il la dessine sur son carnet, elle rêve.
Nous vivons avec Madeleine Bernard le passage des saisons, les regards à la fenêtre, les attentes. Les ciels bleus, les ciels blancs, caressants. Les jeux ensemble. Nous avons tous en tête des chansons, de ces ritournelles de l’enfance. Ils grandissent. Il veut peindre, elle veut son indépendance. Elle lit, tourne les pages, silencieuse, présente et tellement absente. Le temps est là, il n’est plus, a-t-il jamais été ?
Les voyages à Saint Briac de son frère se multiplient. Leurs lettres ? de simples nouvelles sur la maison, les études, les lectures. Viennent ses séjours à Pont-Aven. La pension Gloanec. Les tablées du midi et du soir. Provocations, chahuts, discussions emportées, fâcheries. Madeleine le rejoint. La lumière sous les arbres, les berges de l’Aven miroitant tout au fond, c’est elle allongée au Bois d’amour. Émile peint encore et encore. Des marchés, des fermes, la moisson, des pardons. Les couleurs en aplats, vives, contrastées, des formes contourées, un style, son style.
Le temps passe et les ombres de Vincent Van Gogh, Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec, Louis Anquetin, Charles Laval, cette nouvelle peinture par les peintres du petit boulevard, l’amitié. L’occasion de redécouvrir le père Tanguy, ce fameux marchand de couleurs né en Bretagne qui tient boutique rue Clauzel à Paris. Divisionnisme, cloisonnisme, symbolisme que de mots pour s’affirmer et s’afficher. Puis le drame entre Van Gogh et Gauguin. La déchirure entre eux. L’amitié, l’amour, une double rupture du frère et de la sœur avec Paul. À l’hôtel Drouot, elle l’accuse de trahir son frère, de lui avoir volé l’art qu’il a créé. Ce sera ensuite la fuite vers Genève…
Pour peindre Madeleine, il fallait la délicatesse de Marie-Hélène Prouteau. Ses mots, ses phrases sont une petite musique que nous trouvons aussi dans ses autres ouvrages. Il fallait ici en plus une détermination sans faille pour explorer correspondances, articles d’époque, archives familiales et en extraire une réalité, celle d’une Madeleine enfant, jeune fille et femme. Il fallait enfin cette tendresse, cette complicité qu’elle tisse entre elles deux, au point de faire de sa vie un paysage d’aquarelles et de pastels. Magie de l’écriture et de la mémoire, mystère de la peinture et de la lumière. Comment fermer ce livre et abandonner Madeleine Bernard à son destin sans qu’elle nous laisse à rêver à notre tour ? C’est toute la force de ce livre de Marie-Hélène Prouteau.
Jean-Louis COATRIEUX
Pas un arbre. Rien que l'herbe courte. Il y a le blanc du sable. Il y a ce bleu de l'eau qui lève des désirs et, souvent, les brise en virant au gris. Le gris agité de l'océan. Le gris du granit, lui, porte au silence, à l'île intérieure en chacun de nous.
L'enfant retenait son souffle. Il voyait des jardins sous la mer. Plus beaux que ceux qu'il apercevait quand il nageait sous l'eau, près des rochers, avec son masque et son tuba. Dans sa tête, ça se mettait à osciller parmi les feuillages et les plis de longues algues à la dérive. Une vie mystérieuse tremblait dans des vallées sous-marines où passaient des nautiles et des coelacanthes. "Des espèces qui remontaient aux temps lointains de la Préhistoire", avait dit le vieux monsieur. Ce monde sous la mer, pensa l'enfant, c'est merveilleux comme un conte.
Un ciel avec juste assez de bleu
pour apprivoiser quelques nuages blancs
des masses indécises jouent leur lente dérive
la lumière crue de mer ajoute de la transparence
au gris tremblé de la saline
un héron cendré posé sur ce miroir
idéogramme contemplatif
qui rature le vide.