Être malheureux, et l'être par ce qu'on aime, est une sorte de douleur qu'il est impossible de comprendre sans en avoir fait la triste expérience.
[...] mais les êtres inconséquents qui nous donnent des lois se sont réservé le droit de ne suivre que celle du caprice.
Vous me dites de pardonner à Milord d'Ossery, ou de ne plus penser à lui. Lui pardonner ! Ah ! Jamais... N'y plus penser ! ... j'y pense assurément le moins que je puis; je n'y pense plus avec plaisir. Je n'y pense plus avec regret; j'y pense... hélas ! ma chère parce qu'il m'est impossible de n'y plus penser.
Je puis éviter cet homme, renoncer à lui, le haïr, le détester; mais l'oublier... oh ! Je ne le saurais.
Quelque fois je pense que je n'aime plus: ce que j'ai senti en voyant Milord d'Ossery tient autant à la haine qu'à l'amour...
Je commence à croire que le mal qu'on se fait soi-même est moins douloureux que celui qu'un autre nous cause.
« Je vous afflige, lui dit-elle ; hélas ! je vais peut-être vous révolter ; mais au nom de notre amitié, ne vous opposez point à mes desseins : j’ai un projet, ne le combattez par aucune raison, par aucun discours. Ô ma chère Henriette ! je n’abandonnerai point M. de Clémengis ; il est exilé, son mariage est rompu, sa fortune détruite, il va perdre le reste de ses espérances ! il est affligé, malheureux ! je veux partir, aller le trouver, ma vue sera peut-être un adoucissement à ses peines ; si je ne puis le consoler, je partagerai ses maux ; je veux gémir, souffrir, mourir avec lui ! Ne me dites rien, non, ne me dites rien ; ne me parlez ni du monde, ni de ses cruelles bienséances ; je les rejette si la dureté les accompagne : est-il des lois plus saintes que celles de l’amitié ? des devoirs plus sacrés que ceux de la reconnaissance ? À qui dois-je des égards ? je ne tiens à personne ; si ma démarche est une faute, j’en rougirai seule. Je veux dénaturer tout ce que je possède, je veux rendre en secret à M. de Clémengis tous les biens que j’ai reçus de lui ; ah ! pourrais-je en jouir à présent ! heureuse aux yeux des autres, ingrate aux miens, comment supporterois-je la vie ? » (Indogo, p.111-112)
"Il fut grand, il fut distingué ; il obtint tous les titres, tous les honneurs qu’il avait désirés : il fut riche, il fut élevé ; mais il ne fut point heureux."
"L’apparence des vertus est bien plus séduisantes que les vertus mêmes, et celui qui feint de les avoir a bien de l’avantage sur celui qui les possède."
Esclaves de leurs sens, lorsqu'ils paraissent l'être de nos charmes, c'est pour eux qu'ils nous cherchent, qu'ils nous servent ; ils ne considèrent en nous que les plaisirs qu'ils espèrent de goûter par nous. L'objet de leurs feintes adorations n'atteint jamais jusqu'à leur estime, et si nous leur montrons de la force d'esprit, de la grandeur d'âme, nous sommes d'inhumaines créatures ; nous passons les limites qu'ils ont osé nous prescrire, et nous devenons injustes sans les avoir.