Maryse Pagé

Tu es le parfait modèle
Ce matin, tu es en retard. C'est le cas à peu près une fois par semaine. Jamais le même jour. Je n'ai pas encore pu deviner pourquoi. Je suis là à attendre que tu sortes de chez toi pour te suivre. Il y a des matins où tu ne sors pas. Je ne t'attends pas. Je suis ponctuel. Je déteste me faire remarquer. Tu finis par te pointer à une minute de la cloche. Ces matins-là, tu es échevelé. Je soupçonne que tu n'as pas eu le temps de prendre ta douche. Tu portes les mêmes vêtements que la veille. Les seules occasions où tu n'es pas parfait. Tes cheveux sont longs et leurs
boucles naturelles te donnent une allure de mannequin de publicité pour shampoing. Et ta peau. Ta peau est parfaite. Tu ne connais pas les effets dévastateurs des hormones de
la puberté. Je n'ai encore jamais remarqué un bouton d'acné sur ton visage. Tu as tout ce qu'il faut pour représenter une compagnie de cosmétiques pour homme. Tu pourrais jouer les modèles, puisque tous les vêtements te vont à merveille. Tu portes les marques à la mode que tous aimeraient s'acheter, mais que peu arrivent à se payer. La symétrie de ton visage est parfaite. Je ne te trouve pas de défauts. Des dents blanches, bien alignées. Je n'ai pourtant jamais eu connaissance que tu aies porté des broches. Ça doit être génétique.
Ta vie est réglée au quart de tour. Tes horaires sont chargés. Tu es le parfait archétype et je suis très heureux de mon choix. Tu es celui qui m'apprend à agir comme un jeune normal doit agir dans les manuels de psychologie. Ton enfance s'est terminée sans anicroches. Ton adolescence semble se porter à merveille. Malgré les fluctuations hormonales qu'occasionne cette période de la vie, ta voix est stable, ton odeur est agréable, du moins, du plus près que j'ai pu m'approcher de toi jusqu'à maintenant. Même tes bras sont bien proportionnés par rapport à ton corps. Un corps solide, athlétique, des muscles bien découpés, des épaules larges comme celles d'un nageur olympique. On voit que tu dois déjà utiliser le rasoir, et qu'en un rien de temps tu pourras arborer une barbe qui fera l'envie de tes pairs, ceux à la moustache molle dont je fais partie. Tu es le parfait adulte en devenir. Beau. Intelligent. Sympathique. Souriant. Je te suis, t'épie, observe tes moindres faits et gestes. J'aspire à la perfection dans l'imperfection. Parce qu'être trop parfait sème
le doute. Toi, tu n'es pas trop parfait, tu es.... exemplaire.
Je ne pourrai pas te ressembler physiquement, et ce, même si je m'entraînais pendant des heures. J'opte alors pour l'étude de tes comportements, ceux grâce auxquels tu es charmant aux yeux des filles, des profs, de tes coéquipiers sportifs. Je suis à l'affût de tes propos, ceux qui font que tout le monde t'écoute quand tu ouvres la bouche. J'observe ton langage non verbal, les gestes que tu fais sans le vouloir et qui font craquer les filles et rendent jaloux les gars. pg 7 à 9

J’avais l’impression de vivre dans un roman, une saga, un film hollywoodien au sujet desquels les critiques auraient sûrement relevé le fait qu’il est impossible que tous ces événements se produisent dans une seule année. L’adage selon lequel la réalité dépasse parfois la fiction, je le vivais, et pas à peu près.

Effectuer ce voyage à mon âge aurait été une aventure incroyable et, surtout, une expérience de vie qui m’aurait fait passer à l’étape adulte avant même de l’être vraiment. Mais c’était en couple que les parents avaient décidé de partir. Nous, on vivrait l’expérience « Festival d’été de Québec », on prendrait notre première cuite au Carnaval, on pratiquerait le jogging sur les plaines d’Abraham et on magasinerait dans le Petit Champlain. Ce qui ne serait pas désagréable en soi, si je cessais d’être de mauvaise foi.

Mes parents m’appellent Charlie quand ils prennent leurs petits airs de brebis pour m’amadouer, et Charlie-Rock quand ils ne veulent pas mettre de gants blancs. Je n’aime pas quand ils n’utilisent pas mon prénom au complet. Ils avaient voulu me donner un nom spécial (personne ne croit que c’est mon vrai nom), alors ils devaient l’assumer.