Dans le commun des jours III
Journées dans des jours
Vécus à peu près,
Heures sans amour
Mortes sans regrets,
Temps qui passe ici,
Neige sur la ville,
Boue aux pieds transis
Et temps difficiles,
C’est le vent qui monte,
Et la mer qui brise,
Et là-bas le monde
Plein de choses grises.
Rêves qu’on se dit,
Bruits qui se colportent,
Affiches qu’on lit,
Journaux qu’on apporte,
Oiseaux noirs dans l’air,
Mauvaises nouvelles
Venues de la mer
Ou tombées du ciel ;
Puis trous qui se font
Dans la foi qu’on a,
Neige qui se fond
Sur des rêves froids,
Raisons qu’on se fait
Ou bien qu’on se donne,
Du faux ou du vrai
Dans l’heure qui sonne,
Lors jours dans des jours,
Ainsi, mais si las,
Vécus tour à tour,
Espoir haut ou bas,
C’est chagrin qui monte
Et cœur qui se brise,
Ici dans un monde
Plein de choses grises.
HUIT CHANSONS REVERDIES
L'OISEAU
Mais lors voici qu'un oiseau chante,
Dans une pauvre cage en bois,
Mais lors voici qu'un oiseau chante
Sur une ville et tous ses toits,
Et qu'il dit qu'on le voit le monde
Et sur la mer la pluie tomber,
Et des voiles s'en aller rondes,
Sur l'eau si loin qu'on peut aller.
Puis voix dans l'air plus haut montée,
Alors voici que l'oiseau dit
Que tout l'hiver s'en est allé
Et qu'on voit l'herbe qui verdit,
Et sur les chemins la poussière
Déjà, et les bêtes aussi,
Et toits fumant dans la lumière
Que l'on dirait qu'il est midi,
Et puis encore sa voix montée,
Que l'air est d'or et resplendit,
Et puis le bleu du ciel touché
Qu'il est ouvert le paradis.
p.490
C’est Monsieur Ying qui vend du thé
Dans sa boutique au bout du quai
Assis en robe couleur prune
À son comptoir en bois de lune,
C’est Monsieur Ying qui vend du thé,
Et du gen-seng et du saké.
Avec la tresse au dos qu’il a
Parfumée d’huile au camélia.
Or sous son front, ses yeux obliques
Et rangées comme un clavier blanc,
C’est Monsieur Ying à la pratique,
Qui sourit, les montrant ses dents,
Tandis que ses doigts, ongles longs,
Plongent dans des coffrets de laque,
Où sont peints en or des dragons
Que des serpents enroulés traquent,
Pour en tirer Péko, Souchong,
Hang-Kai ou bien encor Hysong,
Selon que c’est thé vert ou noir
Qu’il agrée au client d’avoir.
Mais dans un long kimono bleu
Est là Madame Yiang, sa femme,
Avec du khôl autour des yeux
Qui disent feu, qui jettent flammes,
Et c’est de soir, ceux des navires,
Qui viennent prendre place aux tables,
Boire saké s’ils le désirent
Ou bien s’il leur est agréable,
Aimer, venue la fin du jour :
Car lors dans la fraîcheur qui naît,
C’est Monsieur Ying qui vend du thé
Et Madame Yiang, elle, l’amour.
LA CHAIR
Il est celle qui rit,
Il est celle qui pleure,
Et celle qui sourit
Et même à la douleur ;
Et celle qui se vend,
Et celle qui se donne,
Ou bien qui se reprend
Et parfois qui pardonne.
Il est celle qui s’aime
Elle-même et sans plus,
Il est celle qui sème
Amour à chair perdue,
Et dans celles qui passent
Ou dans celles qui viennent,
Il en est qui sont lasses
Comme d’autres sereines.
Or toi qui les as sues
Dans ton cœur ou ta chair,
Et qui les as connues
Dans les jours noirs ou clairs,
Lorsque vêtues ou nues
Elles passaient en toi,
Folles ou ingénues
Pour t’apporter l’émoi,
En cheveux blonds ou noirs
Yeux ouverts ou fermés,
De matin ou de soir
Dans l’ombre ou la clarté
Tu as trouvé douceur,
Sinon dans la tendresse,
Au fond de leurs caresses
Cependant sans rancoeur,
Car si la chair fait taire
L’âme que le sang goure,
D’émoi pauvre ou amer
Il est pourtant amour.
HUIT CHANSONS REVERDIES
LE DÉBOIRE
Puis c'est l'heure et du temps qui passent
Un jour qui part, un jour qui vient,
Pour à tout faire de la place
Même à la peine ou au chagrin,
Et yeux déjà qui portent larmes
Pour le déboire qu'on attend,
Et fierté ici qui désarme
Lors plaie de cœur et plaie d'argent.
Mais Dieu alors et qu'on le prie
Sous des bougies par à peu près,
Et Vous que l'on salue, Marie,
Pour conjurer les sorts mauvais,
C'est de tous les jours de la vie
Précaires, graves, soucieux,
Dans la maison qu'on s'est bâtie
Que l'on se sent devenir vieux ;
Et trois coups frappés à la porte,
Voici qu'il est entré l'huissier,
Et trois coups frappés à la porte
Que la septième est de regrets.
p.493-494
J’ai triste d’une ville en bois,
— Tourne, foire de ma rancœur,
Mes chevaux de bois de malheur —
J’ai triste d’une ville en bois,
J’ai mal à mes sabots de bois.
J’ai triste d’être le perdu
D’une ombre et nue et mal en place,
— Mais dont mon cœur trop sait la place —
J’ai triste d’être le perdu
Des places, et froid et tout nu.
J’ai triste de jours de patins
— Sœur Anne ne voyez-vous rien ? —
Et de n’aimer en nulle femme ;
J’ai triste de jours de patins,
Et de n’aimer en nulle femme.
J’ai triste de mon cœur en bois,
Et j’ai très triste de mes pierres,
Et des maisons où, dans du froid,
Au dimanche des cœurs de bois,
Les lampes mangent la lumière.
Et j’ai triste d’une eau-de-vie
Qui fait rentrer tard les soldats.
Au dimanche ivre d’eau de vie,
Dans mes rues pleines de soldats,
J’ai triste de trop d’eau-de-vie.
II – IL ÉTAIT VOUS
Il était Vous
Qui m'étiez tout,
En ce qu'on a tout ce qu'on désire,
Et dans le bien comme en le pire,
Où c'était tout
Qu'ii m'était doux ;
Il m'était joie
De vous en moi,
De printemps, d'hiver et d'été,
Et bonheur alors rapproché,
Il m'était foi
En vous et paix.
Or d'aube claire
A soir tombé,
En vous me chantait la lumière,
Au long cours des heures sonnées,
A voix d'ans l'air
Tristes ou gaies ;
Et vous m'étiez
Si sûre et mienne,
En les jours qui vont et qui viennent
Faire du présent les passés,
Au cours des mois
Dans les années,
Que dans mon cœur
Comme en ma chair,
D'une joie qui m'était sans leurre
J'avais songé à un bonheur
Qui serait fait
D'éternité.
Les joies blondes
LIMINAIRE
le jour est clair,
C'est la lumière,
Prends-là ta joie
Aux yeux qui voient ;
Trouve ta paix
Dans la clarté,
Des choses chères
Et qui l'avèrent ;
Le ciel est bleu,
il y a Dieu,
Puis dite en vert
Aussi la mer,
Et la joie ainsi
Et consentie,
Ouvre tes ailes
Et va vers elle.
Musique en toi
Lors qui prends voix,
Du monde ici
Et qui sourit,
….
p577
LES DÉLECTATIONS MOROSES
CHEZ LES MARCHANDS D'ASIE
III - LE BAR
C’est Monsieur Ying qui vend du thé,
Dans sa boutique au bout du quai,
Assis en robe couleur prune,
À son comptoir en bois de lune,
C’est Monsieur Ying qui vend du thé,
Et du gen-seng et du saké,
Avec la tresse au dos qu’il a
Parfumée d’huile au camélia.
Or sous son front, ses yeux obliques
Et rangées comme un clavier blanc,
C’est Monsieur Ying à la pratique,
Qui sourit, les montrant ses dents,
Tandis que ses doigts, ongles longs,
Plongent dans des coffrets de laque,
Où sont peints en or des dragons
Que des serpents enroulés traquent,
Pour en tirer Péko, Souchong,
Hang-Kai ou bien encor Hysong,
Selon que c’est thé vert ou noir
Qu’il agrée au client d’avoir.
Mais dans un long kimono bleu
Est là Madame Yiang, sa femme,
Avec du khôl autour des yeux
Qui disent feu, qui jettent flammes,
Et c’est de soir, ceux des navires,
Qui viennent prendre place aux tables,
Boire saké s’ils le désirent,
Ou bien s’il leur est agréable,
Aimer, venue la fin du jour ;
Car lors dans la fraîcheur qui naît,
C’est Monsieur Ying qui vend du thé
Et Madame Yiang, elle, l’amour.
p.306-307
Mais maintenant vient une femme,
Et lors voici qu'on va aimer,
Mais maintenant vient une femme
Et lors voici qu'on va pleurer,
Et puis qu'on va tout lui donner
De sa maison et de son âme,
Et puis qu'on va tout lui donner
Et lors après qu'on va pleurer...
HUIT CHANSONS REVERDIES dont quatre pleurent et quatre rient