Citations de Meredith May (34)
Les abeilles sont incapables de faire du pain, bien évidemment. Tout ce qu’elles fabriquent, c’est du miel. Tout le monde sait cela.
Ma famille est tout le contraire d'une ruche. Au lieu de travailler les uns pour les autres, ils ne font que manœuvrer les uns contre les autres et se rendent malheureux.
Ce sont des hommes grands aux mains solides qui lui ont montré comment construire des cabanes en bois rond de séquoia, appris à chasser le sanglier et à nettoyer les débris laissés par les glissements de terrain sur la route côtière avec un équipement lourd, des Paul Bunyan 1 vivants, de rudes montagnards de Big Sur qui se débrouillent seuls dans la nature.
« L’abeille a plus peur que toi, dit-il. Est-ce que tu peux t’imaginer être si petite dans un monde si grand ? »
Oui, je le pouvais.
Certaines d’entre elles qui rentrent dans la ruche tiennent un petit objet accroché à leurs pattes arrière. Une sur cinq ou six se balance en transportant de petites billes qui ressemblent aux boules de fibres qu’on voit sur les pulls qui boulochent. Certaines ne sont pas plus grosses qu’une tête d’épingle, mais d’autres ont la taille d’une lentille, qui fait ployer l’abeille sous son poids.
Il doit y avoir une solution que je n’entrevois pas. Au bout d’un moment j’entends Matthew m’appeler, et quand je tourne la tête, je le vois à quatre pattes sous le bus, son petit corps encadré de deux grandes jambes.
Il était excitant pour la fillette que j’étais, qui avait soif de savoir que l’amour existait naturellement autour d’elle, de comprendre que je n’avais pas besoin de Wild Kingdom1 ou de Jacques Cousteau pour être rassurée.
J’en arrivais à penser que les animaux et les insectes prétendument redoutables sont rarement à la hauteur de la mauvaise réputation que leur ont valu les cirques et les films d’horreur. Daddy nous a enseigné, à Matthew et à moi, que toutes les créatures sont sacrées et qu’elles ont leur propre vie intérieure. Dans le cadre de notre éducation, après le dîner, chaque soir, nous nous allongions avec Daddy dans le fauteuil inclinable pour regarder ses émissions préférées sur la nature.
Ce petit insecte n’est pas mon ennemi. Je soulève prudemment mon bras pour voir ses yeux, deux virgules noires et brillantes sur le côté de sa tête. La peur cède la place à la fascination tandis que j’étudie la façon dont elle est constituée. Une si petite architecture, si parfaite. Des veinules sillonnent ses ailes chatoyantes, et son corps est recouvert de poils. Son abdomen se dilate et se contracte à chaque respiration.
Les abeilles sont sensibles, donc pas de mouvements brusques et pas de bruits forts, d’accord ? Il faut toujours se déplacer avec calme et lenteur autour d’elles, pour qu’elles ne se sentent pas en danger.
Je promets de ne pas bouger. Ce n’est pas dur, car je suis comme tétanisée. J’essaie d’invoquer des pensées apaisantes, en vain, impossible à faire sur commande. Daddy tapote le pot sur la face inférieure de mon poignet, l’abeille tombe. Elle s’immobilise, je retiens mon souffle, puis elle fait quelques pas hésitants.
Il ne faut pas avoir peur des abeilles. Elles ressentent ta peur, et cela les effraie. Si tu restes calme, elles le resteront aussi. L’abeille a encore plus peur que toi. Peux-tu imaginer à quel point il est terrifiant d’être si petit dans un monde si grand ?
Les abeilles s’expriment, mais sans mots. Il suffit d’observer leur comportement pour comprendre leur langage. Je te donne un exemple : si tu ouvres une ruche et que tu perçois un petit bruit de mastication, cela signifie que les abeilles sont satisfaites et occupées. Mais si tu entends un vrombissement, cela veut dire que quelque chose les contrarie. (Je remarque, au même instant, que l’abeille est de plus en plus affolée.) Ensuite, elles te prient de t’éloigner de leur ruche en te donnant des coups de tête. C’est une façon polie de t’avertir avant qu’elles ne soient obligées de te piquer.
La plupart de mes informations sur les abeilles provenaient de dessins animés dans lesquels ces insectes volants voyageaient toujours en essaims assoiffés de sang, terrorisant toutes sortes d’êtres vivants, coyotes, cochons et lapins. Je le dis à Daddy.
Je n’ai plus qu’une envie : rentrer dans les bonnes grâces de mon grand-père. Je cours jusqu’au bureau de Granny, en ressors avec une feuille de son papier à lettres à en-tête que je présente à Daddy en accompagnant mon geste d’une petite révérence.
Les abeilles piquent les gens. Ce sont des enquiquineuses, comme les moustiques ! Quelle importance si j’en écrase une ? Est-ce que je n’agis pas correctement, en me protégeant ?
La petite fille que je suis, qui s’ennuie avec ses jouets trop rares, prend alors possession de cette machine miraculeuse et de cette cuisine pleine de bocaux remplis de choses déconcertantes. J’ouvre le garde-manger et choisis un pot qui contient une sorte de gélatine vert fluo. J’en dévisse le couvercle et sens la chose : c’est de la gelée de menthe !
J’ai des oreilles de chauve-souris : je l’entends parler parfois de papa avec maman, lorsque leurs chuchotements filtrent par l’interstice sous la porte fermée de notre chambre. Ce n’est pas juste qu’elles aient le droit de parler de lui, et moi pas : c’est mon père, après tout.
Ses paroles sont si terribles que j’oublie momentanément ce que je fais et laisse tomber ma robe verte à carreaux préférée sur le sol. Je ne peux pas dormir sans Morris dans mes bras. Il est ma seule possession, la seule chose qui me reste de ma vie d’avant
— Va-t’en !
Ces mots me font l’effet d’une claque, et je plisse instinctivement les yeux. Maman m’aime toujours, je le sais. Je me rappelle qu’elle n’est pas elle-même en ce moment. Granny passe à cet instant dans le couloir et me surprend là où je ne suis pas censée me trouver.
C’est tellement fastidieux d’être intelligente, d’attendre que les autres veuillent bien se hisser un peu à votre niveau, soupire-t-elle en faisant tourner le glaçon dans son verre. Un jour, tu sauras de quoi je parle.