O SOLAIRES FORETS
Je vous entends frémir tout au fond de mes os
O solaires forêts ployant sous le fardeau
D'une chair indocile et toujours renaissante
Et c'est votre ramure étrange et frémissante
Qui s'élève en crissant des failles de ma peau
Si je cherche à gagner parmi les arbrisseaux
La cime dévorée de lueurs et de neige
D'où l'on perçoit le vaste espace que n'allège
Ni le duvet du temps ni l'aile d'un oiseau
Revue Le Cri d'os n° 29/30, 2000.
SIGNAL DE BRUME
Ce chemin d’aube et de pervenches
S’ouvre à l’orée de la clairière
Murée par le givre et la neige
A notre image prisonnière
Et désormais infranchissable.
Quel vent a dispersé la manne,
Froment sapide du désert
Que charrie la houle océane
Sur ce versant de l’univers
Qui nous enserre en ses lianes ?
Venus du matin et porteurs
D’un fret d’écume et de chardons,
Parmi les écueils qui affleurent
Qui donc dirigerait le harpon :
Atropos ou Deucalion ?
Les mains entravées, les prunelles
Consumées par la nuit d’orage,
Nous portons sur notre visage,
Comme une étrave qui chancelle,
Les cicatrices du naufrage.
Mais seuls nous sombrons et l’espace
Qui vogue, attisant en sa course
Le murmure des peupliers,
Reprend de l’estuaire à la source
Le périple des alizés.
Fidèle à ma vie
Fidèle aux mésanges
Fidèle à la rumeur qui jaillit des corolles
Fidèle au ruisseau fidèle au torrent
Fidèle à la clarté qui nimbe ton visage
Fidèle à la rive qui marche
Entre les deux pans du vallon
Fidèle au premier bourgeon
Comme à la lancinante neige
Fidèle à mes amis penchés sur les miroirs
Fidèle à la brise du soir
Fidèle à l'extase où crépite
Le gravier blanc de la mémoire
Et toujours fidèle à l'histoire
Que j'écris à l'envers du temps
NE ME DITES JAMAIS LE NOM
extrait 3
Je ne veux pas savoir qui rampe
Sur le marbre noir de la mort
Ni pourquoi vacille la lampe
Au fond d’un sombre corridor
Laissez-moi franchir pas à pas
Le chemin mouvant qui va l’amble
De son aurore à son couchant
Je porte en moi mes souvenirs
Comme un carquois vide de flèches
Comme un bouquet qui se dessèche.
Ne me dites pas : cicatrices
Mais le bourgeon qui va s’ouvrir
Et les oiseaux de l’avenir.
Confrontation
J’ai revu la vieille ville de mon adolescence
et la maison où j’écoutais gronder le flot de l’avenir
qui n’a jamais de cesse et toujours recommence.
Tant de ciels migrateurs se sont-ils dispersés
Que je ne retrouve sous mes pas qu’une poussière fanée
Et, au fond de mon cœur, des voix si basses qu’il faut prêter
l’oreille pour les reconnaître ?
Ah ! tout est bien fini,
Les saisons naufragées errent, flocons de suie
Et je ne suis qu’un étranger qui erre et cherche le nom des
ruelles ;
Il ne reste de moi que ce que j’apporte aujourd’hui,
Je ne rencontrerai même pas quelqu’un qui se retournera,
en disant :
« C’est l’enfant d’autrefois qui chantait dans la nuit. »
J’ai revu la gare et, dans les rangs de ceux qui attendent,
de grands espaces vides,
Et la main de ma mère qui me fait signe dans la salle des
pas perdus de la mort.
Tout est trop triste ici, l’air est semé d’embruns,
Mon nom s’est effacé sur le livre de bord,
Le falot s’est éteint à l’avancée du jour.
Alors, détache-moi de ces ombres traquées
Que nul ne peut rejoindre et ne peut délivrer
Et cherche dans le flux de l’aube qui s’avance
L’impalpable pollen des lointaines années.
Les jours et les mois s'écoulèrent. Et la passion dévorante qui liait les amants déchirait leur cœur de ses épines toujours plus aiguës et profondes
Il y a un homme renversé sur la chaussée
Qui n'en a pas pour longtemps
Un homme qui n'a pas trente ans
Avec de belles épaules
Un corps doux à porter
Il faut être fort
Pour se tuer en plein été
On passe sans saluer
Mais ces yeux sont de l'autre coté .
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Comme un fleuve s'est mis
A aimer son voyage
Un jour tu t'es trouvée
Dévêtue dans mes bras
Et je n'ai plus songé
Qu'à te couvrir de feuilles
De mains nues et de feuilles
Pour que tu n'aies point froid
J’entre ce soir dans la maison déserte, sous les pins.
L’ombre a tout saccagé. Cependant, je reviens
Tout seul, comme autrefois je marchais sur la plage,
Ignorant, ignoré des amis de mon âge.
À l’heure où les cafés bourdonnent comme un nid
De frelons, je regagne un des ports de ma vie.
Voici le chemin pluvieux et la barrière blanche
Et le sol tapissé d’épaves et de branches ;
Quelqu’un m’attendait là : un visage de sable,
Quand je rentrais, traquant une meute d’étoiles.
Je t’appelle, visage, et voici que le vent
Chante, comme il chantait sous les pas du printemps.
J’ai franchi tant d’espace et rompus tant de liens
Que je ne sais plus trop qui je suis, d’où je viens ;
Cependant une main invisible me guide.
Est-ce vrai qu’on ne peut rompre la chrysalide
Et ramener à soi le cœur évanoui
Qui erre et se disloque au travers de la nuit ?
Je l’ai quitté ici et nous avons vécu,
Apaisant notre faim d’un froment inconnu,
Mais je l’entends toujours ricocher et sombrer
Dans un pâle silence aux frontières murées.
Ô ma mère, voici l’enfant de votre chair,
Il ne craint ni l’écueil, ni la soif du désert
Et si vous l’attirez dans une aride veille,
Comme un arbre d’automne oublieux de ses feuilles
Il saura rassembler sous le plafond des chambres
Ensanglantées et nues, les guirlandes de cendre
Où la fleur toujours vive, en sa robe océane,
Scintille, épanouie comme un oiseau qui plane.
Ô mes saisons perdues et mes lampes éteintes,
C’est une voix en vous qui gravite et qui tinte,
C’est un regard absent qui vous livre un secret
Maternel, enrobé de ténèbre et de craie.
Que reste-t-il de moi si je me sens perdu
Comme un faon pourchassé qui se rend à merci
Gardant dans sa prunelle une flamme ténue
Aux reflets de brouillard, de bruyère et de suie ?
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque noeud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux que tout le coeur de la forêt
Hélène ou le règne végétal