L'enfance est le pays du merveilleux et tout cela est resté extraordinairement frais en toi. Comme tu sembles un peu brouillé avec la chronologie, voici quelques indications (si tant est qu'elles puissent avoir une importance quelconque) : nous sommes arrivés à Naples le jour même de mon dixième anniversaire, je m'en souviens très bien, donc le 26 septembre 1894 et nous en sommes repartis déjà en mars 1896. Tu avais donc entre sept et huit ans et demi à cette époque. J'ai revécu le séjour au Palazzo Scalese, la bonne dame Sartorio toujours enceinte, la Salita di San Martino et le vieux mendiant rongé de syphilis qui nous faisait peur ! Et la Scuola Internazionale avec le directeur Horneffer - un Genevois - auquel succéda un Boche, dont je ne me rappelle plus le nom, mais qu'on appelait «le Cimbre»; et le Chaux-de-Fonnier Raymond, échoué là pour enseigner le français aux petits Anglais, Américains, Suisses et Napolitains genre «chic», qui fréquentaient cette école. Et Octavie, ma bonne amie, qui m'écrit encore actuellement ! Quant à ta petite Elena, j'en ai perdu le souvenir. Chacun avait déjà ses affaires. Pour nous, les gosses, cette équipée napolitaine fut vraiment une belle aventure, et pour toi, le commencement des aventures, grand magicien que tu es.
1895. Freddy : visage tendu, larges oreilles, bouche amère, regard
de défi à l'objectif. C'est le petit écolier de la photo que Biaise devait
dédicacer à Curzio Malaparte, en souvenir de la Légion, en hommage au jeune
Garibaldien en chemise rouge de la forêt de l'Argonne... Napolitain d'occasion,
J'avais neuf ans, j'entrais en prison.
Entrer en prison, c'est tout à coup prendre conscience de la liberté.
Pour la lecture, il lisait de tout et, les livres une fois lus, il en arrachait les pages qui l'intéressait et jetait le reste: je finissais par hériter la plupart de ses livres...De ses livres vidés de leur substantifique moelle, de ces passages essentiels dont Blaise se constitue une petite bibliothèque portative faite de quelques milliers de pages arrachées dans les ouvrages les plus divers, enveloppées dans une peau de chien et maintenue par une sangle...