Citations de Odile Caradec (36)
Le petit déjeuner darde sa fraise
les fanions du vocabulaire
vont claquer
Sous les dents du poète
les tartines sont tendres
Dit d’une jeune mariée
Je veux des culottes aussi blanches que mon âme
des culottes ouvertes comme culottes d'antan
Je veux des grelots cristallins
un homme comme un chat à mes pieds
Plus loin un arbre pour moi seule
un cyprès-flibustier
mais j'aimerais plus encore un olivier
aussi tordu, inextricable que les arcanes
de mon être profond
Mon nom que j'accole aujourd'hui à un autre
mon nom a des ailettes comme graines volantes
il plane dans ma tête
il cligne en majesté
il domine
rutile
flamboie
Mots…
Mots, mots, mots, embrassez-vous à vous en faire
péter la sous-ventrière
tout simplement mots articulés
mots graminées
qu’on pose sur le plat de la main
je vous regarde à la jumelle
Vous avez un beau départ et une belle chute
La poésie …
La poésie, mammouth interne
couverture étoilée
couvrante fabriquée avec des brins de laine
dérangement de tube digestif
petit chatouillis entre les omoplates
oronge orange
petite bête qui monte de la racine droite
de tes pieds
jusqu’au fouillis gratte-ciel de la chevelure
…
Je suis une vache rouge…
Je suis une vache rouge
et je dis merde à tous ceux qui se voilent la face
pour ne pas voir la vérité crue
La vérité, cette espèce de ruminante
jalouse de l'ombre, fière de la lumière
(...)
Mots, mots, mots, …
Mots, mots, mots, embrassez-vous à vous en
faire péter la sous-ventrière
tout simplement mots articulés
mots graminés
qu'on pose sur le plat de la main
je vous regarde à la jumelle
(...)
Moi je ne réponds pas …
Moi je ne réponds pas à la question
date de naissance
de chaque seconde je suis expulsée en trombe
je crie très fort pour trouver une place
à l'ombre
(...)
Ah ! Que la porte de mon four…
Ah ! Que la porte de mon four est étroite
toute mon animalité s'est réfugiée
dans mon caddie
toute ma vie dans mes bras pleins de sang
(...)
La poésie, l’an neuf
Emportez dans vos bras le ciel, les arbres
l’hiver en son entier
La poésie est un manteau d’argent
Je suis allée chercher un livre de poèmes en ville
passant le pont, je l’ai mis dans ma poche
– la poésie aime qu’on la promène –
à petite dose elle infuse dans le corps qui la porte
mais il faut être seul dans sa chair et son sang
seul dans ses pas, seul sur les ponts
tout seul dans l’air unique de la ville
alors il y aura une transsubstantiation
le poème de l’an neuf battra dans les artères
de celle qui transporte avec un espoir fou
une clé pour ouvrir le monde
Vœux…
Vœux pour une mise en bière
Je veux des musiciens
je veux des poètes
beaucoup de bruit et de fureur
des clowns sur les tombes ouvertes
des alléluias, des trompettes
Item je veux que l’on me mette
en violoncelle
ma bière aux hanches fines
qui tant chanta contre mon ventre
ensuite en bonne douce terre
Item je veux des papillons
un cortège de potirons
avec des lumières dedans
Item afin que nul n’oublie
les joyeusetés de la vie
fifres, tambours
et le bruit sourd
que fait la terre
en digérant un corps fidèle
Vieillir…
Vieillir
à l’heure où la brume ferme les portes
où les cœurs battent plus lents
comme un gros chat, je me replie
dans le velours de mon fauteuil
Je suis en attente d’un frisson insolite
toute ma peau crépite
toute ma peau interroge le monde
C’est en épluchant…
C’est en épluchant les pommes de terre
que j’échafaude mes poèmes
Je cherche à les faire nourrissants
bonne nourriture de bonne femme
Accompagnés de la salade la plus frisée possible
c’est un délice
pour peu qu’on se les mette en bouche
et laisse négligemment tomber dans la poubelle
les belles boucles rondes des épluchures verbales
et reprenne en salive les mots les plus goûteux
les plus porteurs de feu
les plus sapides
Est-il vrai…
Est-il vrai que nous ne savons le fin du fin
qu’à l’ultime seconde ?
Moi qui adore les arbres noirs la nuit
la brume entre leurs branches
je suis née pour élucider ce mystère total
et l’immense couverture de mohair jaune
qui me recouvre quand il gèle
appartient elle aussi au monde étoilé
au monde en extension perpétuelle
Je suis une taupe dans la nuit
je dors en attendant le rossignol
Feux et miroirs…
Feux et miroirs
Réduit à cette merveilleuse chose qu’est un squelette
tu vis enfin ta vie de minéral
tu es désormais et propre et net et filiforme
Dans la somptueuse argile de la planète Terre
tes viscères se sont dissous
Plus de cœur en proie à l’infarctus
plus d’humeurs, plus de douleurs intercostales
Pour toi le paradis, l’extension totale
le grand Bond en avant
Pour moi l’amour loufoque
l’amour qui porte fleurs, fruits et astéroïdes
Feux et miroirs
Livres de poésie…
Livres de poésie
livres de peu de bruit
Il n’est que de tourner les pages
d’absorber tous les blancs
d’engranger le silence
Les mots écrits en noir
ne font pas plus de bruit que les plumes de paon
Qui les lira dans les files d’attente
qui les pressera sur son cœur
sinon la femme au manteau blanc
qui se faufile entre les signes noirs
de la vie quotidienne
La nuit…
La nuit j’entends craquer ma colonne vertébrale
il semblerait que mes muscles défaillent
aurais-je par hasard des os à croissance continue ?
J’entends ma colonne vertébrale que dépècent mes muscles
et quelques petits nerfs lancent leur cri de guerre
dans mes nuits presque blanches
Je n’oublie pas que j’ai toute une armée dans le corps
qui ronge et qui piaffe
Je n’oublie pas la chute sourde des années
un tremble au bord de la rivière n’est pas plus effrayé
Modestie …
Modestie ! Modestie !
N’oublions pas ceci :
nous sommes tous éminemment comestibles
sauf les vieillards très durs à longue barbe blanche
(que ferait-on de cette barbe en un banquet ?
la griller ?)
Et il y a les pieds qui tous sentent des pieds
Les yeux verts, les yeux bleus ont le goût
d’eau profonde
et que dire de la croustillance des oreilles
cartilages, osselets ?
Ô têtes d’hommes sur plat à barbe
bien présentées
pour être dégustées, fin festin d’araignées !
Ô beaux cerveaux pensifs sinuant de circonvolution
en circonvolution
pour produire belle, sublime poésie !
Et vous, cerveaux de musiciens aux ondes scintillantes
et vous, pinceaux, palettes, brosses,
encore très noire des calligraphes
Ô vous, peintres fouillant dans les couleurs,
le noir profond,
pour parapher le monde !
Que faire pour occuper des mains…
Que faire pour occuper des mains
pendant toute une vie ?
Sinon modeler de la terre
des poèmes, des notes
et du charnel aussi
C’est pourquoi il faut les garder
de toutes les atteintes
et la nuit les cacher
au plus profond du lit
Préserver à tout prix
l’extrême pointe de nos doigts
là où est le toucher
ce Finistère de nos corps
Je n’ai jamais entendu…
Je n’ai jamais entendu le bruit que fait la peau en poussant
mon cœur est peu à peu devenu un gros oignon
ma patrie est de plus en plus circonscrite
la société m’a fait cadeau d’un ciré hermétique
et pourtant
je voudrais entendre le bruit que fait la peau en
poussant
Celui qui frappe la peau du tambour le sait-il ?
Le fil de la vie …
Le fil de la vie est conduit par la main
qu’irrigue le sang
Le fil de la vie va de cœur en cœur
il les attache les uns aux autres
Et si l’un de nous vient à manquer
il reste ses paroles dans l’ombre du cœur
Il reste toujours quelque chose du son proféré
si loin dans le temps
et la merveilleuse tête des arbres en automne
fixe les cœurs dans la brume et le sang