Citations de Olive Le Masne (13)
Patiemment elle a cependant défait et refait la toile de sa vie au gré des demandes qui lui ont été adressées. Quand elle a dû justifier sa traversée, elle a péniblement laissé venir en elle de terribles images de sang, de sel et d'eau. Elle a évoqué son enfance coupée par la fuite forcée vers le pays rouge de ses ancêtres. Une terre devenue hostile à la religion de son père, un pays d'armes et de torture. Une terre qui ne voulait plus d'eux que dans des camps de soldats. Elle a parlé de la longue marche dans le désert, de l'attente, de la menace des passeurs, des femmes accouchant sur le bateau, des corps jetés à la mer.
Le Loup aime son cadeau de Noël: une encyclopédie mise à jour chaque année dont il se délecte des pages en papier bible. Il en viendrait presque à oublier sa faim de loup...
Elle s'est étonnée de l'acclimatation rapide de ses enfants enrôlés dans une spirale de consommation mimétique avec les amis de leur école. Elle s'est aussi prise un moment au jeu de parcourir les magasins pour occuper son temps et acheter, ça et là, des objets inutiles. mais elle a vite été déçue par ces journées futiles à dépenser l'argent de son doux mari. Elle s'est mise à rêver de changement, d'un retour anticipé vers son pays si proche ou vers la mer et ses anciens amis. Elle a un moment oublié la femme des sables.
Dans ce moment où chacun se sent vulnérable, c’est au cœur de la fragilité que nous pouvons tirer notre force.
Elle a été bouleversée par ce nouveau récit dont elle découvrait certains passages. Elle a remarqué que la juge présidente prenait des notes et que l'avocat du refus avait refermé le dossier sans ajouter un mot. Elle a vu renaître un espoir d'obtenir la reconnaissance de statut de réfugié pour son amie des sables.
Rien ne peut interrompre ses promenades journalières. Un jour il tombe violemment du petit promontoire: "Je n'avais pas vu la marche, je regardais la beauté du ciel".
L'après-midi est consacré aux activités. Le Grand suit une recette avec application: base spongieuse, couches successives de chocolat. Il écoute en anglais la recette du gâteau préféré de la Reine [...] Le deuxième suit l'actualité par des vidéos en accéléré dont le son, indistinct, donne l'impression d'un discours sur radio Londres.
Fatiguée, tu te poses sur la fenêtre de la salle paroissiale. Tu écoutes distraitement Annie.
- Hamir, tu veux me voir... Dis-moi un peu d'où tu viens?
- Non je veux tout oublier
- Tout oublier Hamir?
- Oui c'est trop dur. Ils ont tout pris même mon vrai nom de famille.
Tu sens que ces rencontres te sortent de l'ordinaire, de la monotonie et puis... non tu ne sais pas vraiment mais il y a quelque chose en toi qui te remue aux entrailles.
Je n'avais pas pu grimper sur celui de mon père. Il ne fallait pas faire de bruit. Les mamans, elles appuyaient sur la bouche des bébés.
Hamir fait des mouvements avec ses bras:
- Les vagues, les vagues très hautes! Je fais des cauchemars. Mon père, il ... Son bateau n'est pas arrivé.
Hamir s'arrête. Il ne parvient pas à continuer.
A l'entrée de la grande surface, la meute des petits se rassemble autour de Philippe, qui distribue adroitement les rôles: "toi le dentifrice", "toi deux kilos de pommes de terre", "toi des œufs frais". Les enfants, enthousiastes, s'éparpillent dans les rayons, émoustillés par l'envie de revenir les premiers avec leur proie.
Menacé de mort, il ne pouvait pas revenir au pays enterrer celle qui lui avait donné le jour, celle qui ne lui demandait rien, seulement de pouvoir poser ses lèvres sur le front de ses petits-enfants.
Comment voguer ainsi sans racine et sans proche?