Chacun de nous développe une carte du monde spécifique, en fonction de ses propres expériences, sous la forme de connexions entre neurones. Notre connaissance est donc tacite, difficile à formaliser et communiquer. De plus, dans nos sociétés modernes, il existe une « division sociale de la connaissance ». Nous n’avons accès qu’à une toute petite fraction de la connaissance éparpillée dans les différents pays, disciplines scientifiques ou domaines techniques. Cette double fragmentation de la connaissance rend la planification centralisée de la société impossible. Pour utiliser au mieux ces connaissances éparpillées, il faut donc s’en remettre à cet ordre social doublement « spontané » qu’est la société de marché. Ses règles ont émergé du processus de sélection des sociétés les plus performantes, et elles donnent lieu à un ordre social dont la complexité dépasse ce que nous pouvons maîtriser rationnellement. Pour Hayek, le lien entre libéralisme et réseaux de neurones est profond, car les deux s’appuient sur un ordre spontané pour dompter un monde irrémédiablement complexe : « dans les deux cas nous avons affaire à un phénomène complexe dans lequel il faut utiliser de la connaissance extrêmement distribuée. Le point essentiel est que chaque membre (neurone, acheteur, vendeur) est induit à faire ce qui globalement est bénéfique pour le système. Chaque membre peut être utilisé pour servir des besoins qu’il ignore totalement » (c’est moi qui souligne).
Comment fonctionnent ces algorithmes magiques ? Comment a-t-on pu créer de l’intelligence à partir de transistors, au fonctionnement aussi stupides que des interrupteurs ?
La logique est la suivante : d’abord on ressuscite la vieille loi de Quételet, l’existence de lois sociales. Un des objectifs de futur ICT est en effet de “dévoiler des lois cachées qui sous-tendent notre société complexe” comme les physiciens l’ont fait pour la matière. Grâce à ces lois on pourra fabriquer des sociétés virtuelles où seront testés des scénarios d’évolution des systèmes sociaux pour choisir “les meilleurs ”. (...) Mais cette approche ne peut être extrapolée à la société : comme nous le verrons, nous ne sommes pas des atomes sociaux !
plus on crée de l’ordre à l’intérieur des réseaux technologiques, plus on génère du désordre à l’extérieur