Citations de Pajtim Statovci (33)
J'ai feuilleté leurs manuels et pu me rendre compte qu'ils ne contiennent pas une seule mention du Kosovo, pas un mot sur la Yougoslavie, son aisance magnifique et la vie brillante qu'on y menait avant.
Le fait que nos enfants parlent couramment plusieurs langues, connaissent différentes coutumes et croyances, n'enrichit pas, à les en croire, la vie de nos garçons, mais l'obère au contraire.
Nous ne passons pas autant de temps qu'il le faudrait avec les autres Albanais. Mais lorsque l'on a discuté avec l'un ou rendu une seule visite, on leur a causé à tous, on les a tous rencontrés car ils parlent des mêmes choses : d'abord de la corruption au Kosovo, de la pauvreté au Kosovo, de la criminalité au Kosovo, de la guerre, des criminels de guerre toujours en liberté, et ensuite ils évoquent leur salaire, combien ils sont payés dans tel ou tel boulot, combien ils ont eu le temps d'économiser, puis de construire une maison au Kosovo, à deux niveaux, trois niveaux, quatre niveaux, au rez-de-chaussée il y a des fenêtres miroirs par lesquelles on voit dehors mais pas dedans, dit l'un, et l'autre raconte que sa maison compte trois salles de bain, et le troisième qu'il a fait construire un garage avalant trois véhicules, chauffé toute l'année.
Je crois que notre réticence à rentrer ou même à évoquer le retour tient en fait à l'argent. De ce qu'il y a de l'argent ici et pas au Kosovo. Cela pèse plus dans la balance que le pays natal et le patrimoine. Qui prétend le contraire est un menteur.
La solitude extirper la personne de sa peau, lui coupe la langue et l'abandonne à une évaporation lente dans l'air d'une pièce verrouillée.
La guerre est immonde et antihygiénique, personne ne parle des quantités de crasse qu'elle engendre, ne dit combien de matériel à entretenir, de vêtements à laver et à changer, de blessures et de draps, de toiles de tente ou d'instruments chirurgicaux et d'équipements hospitaliers à nettoyer, d'emballages, de bandages, de seringues, de perfusions et autres à jeter, des sacs entiers, des camions-bennes, des décharges de déchets, à perte de vue, et personne ne se lave, j'ai manqué m'évanouir bien des fois sous la puanteur des pieds quand j'ôtais leurs bottes aux soldats c'était terrifiant, et quand je leur enlevais leurs habits un remugle terrible montait de leur entrejambe, des odeurs à suspendre toute action, un brouillard d'urine et d'excréments qui se mélangeait aux relents ferreux du sang séché, à la poudre et aux restes de sueur préhistorique - un homme sale est à vomir.
N'est ce pas stupéfiant, cet égarement à toujours croire, comme pour s'humilier sois-même, qu'on peut tout regagner ?
Pourquoi ce qu'on a laissé derrière prend-il une telle importance ?
Les objets meurent aussi lorsqu'on les prive de leur propriétaire.
as-tu jamais tenu une arme tiré avec senti son poids dans ta main comme elle est lourde et brûlante quand elle décharge
as-tu jamais dit à un patient vu vas t'en sortir oui tout en sachant qu'il ne va pas s'en sortir l'as-tu bourré de tranquillisants regardé mourir
as-tu été à la guerre as-tu
L'as-tu fait
moi je l'ai fait
C'est le jour le plus parfait de ma vie, je songe, et la joie que nous éprouvons , nous le savons tous les deux, la sensation quand je lui embrasse la nuque, la personne que je suis en sentant l'odeur de ses cheveux, les regards que nous nous adressons, le goût de le bière posée sur la table du balcon, nos lèvres qui se touchent à cet instant, la flamme du soir qui s'éteint, cela ne finira jamais, même s'il n'en restera plus rien demain.
Les serbes progressent tel un incendie, occupent des territoires entiers d'un coup, avec indifférence.
La fumée nous enveloppaient, la montagne, moi, le chat et la pierre, le monde semblait réduit à une rognure d'ongle, et le village se dressait devant nous comme une vessie éclatée d'où suintait un liquide inodore de maisons, de voitures et de gens.
Et je ne serais pas encore capable de penser que toutes les actions humaines sont motivées par l'espoir d'être mieux. Les gens quittent un pays pour un autre afin d'obtenir des conditions de vie plus favorables, rien n'est fait ou dit par altruisme, chaque acte enveloppe la promesse de lendemains meilleurs, le souhait d'obtenir une chose que je veux, sans laquelle je pense ne pas pouvoir vivre.
Je ne comprendrais pas encore non plus que le mieux, pour moi, serait de rester ici, suspendu au bord de mon désir, ardent, aspirant stupidement à obtenir ce qui m'échappera toujours.