Rencontre avec Patrick Caujolle - décembre 2016
Bellefontaine. Plus de dalle pourrave, lui avait dit le collègue, mais toujours des barres, des tags, des rodéos, du business, de la misère, là où le concept de mixité devient sexisme de fait, là où on lève des fonds pour mieux baisser les bras, là où la politique du chèque a toujours été celle de l'échec. Personne n'avait la voiture à vue. Trop chaud. Mais avec la balise dessous, pas grave, au contraire. Et puis Lyon gérait la technique. Et en direct, lui avait-on dit. Première bagnole dans un quartier résidentiel, l'autre sur un parking de supérette, tous attendaient, tous mataient, leurs regards frôlant parfois ceux des longues abayas noires balayant avec elles le seuil de la tolérance.
Instinctivement, lui revenait en mémoire l'affaire de cette jeune créole au crâne fracassé dont elle s’était autrefois occupée alors qu'elle était en commissariat de quartier. « Elle ne m'obéissait pas, alors je lui ai ouvert l'esprit avec ma machette », lui avait aussitôt avoué son compagnon. Mais là, la victime avait tout de même quelque chose d'un peu particulier, quelque chose d'un peu plus singulier que les collègues de l'état-major ne lui avaient pas précisé, quelque chose qu'elle n'avait encore jamais vu : un morceau de ferraille lui transperçait le crâne au niveau de l'orbite gauche.
- Mais il a été blessé...
- Pas du tout. Aucun souci. Ensuite, les gendarmes sont arrivés, ont interpellé les abrutis en question qu'ils connaissaient déjà, et mon gamin et ses potes ont repris leurs cours. Et là, tout le monde a félicité Damien. En quelques heures, il est devenu le héros de son lycée. Dans la cour, des garçons qu'il ne connaissait pas lui serraient la main, des filles l'embrassaient, et même ses profs l'ont complimenté pour sa bravoure. Ce que d'ailleurs j’ai fait moi aussi le soir à la maison. Et dans le même état d’esprit, que veux-tu, chez nous on n'a jamais baissé les bras devant la connerie, j'ai décidé de déposer plainte. Damien étant mineur, nous nous sommes donc rendus le lendemain à la gendarmerie locale. Là non plus, aucun souci. Les pandores ont été très bien, ont fait leur Job, nous ont entendus séparément comme il se doit, et eux-mêmes, hors uniforme, m'ont-ils tout de même précisé, l'ont loué pour son cran et sa témérité. Mais plusieurs victimes ayant été recensées et donc plusieurs plaintes déposées, la procédure a suivi son cours et le procureur de la République de Toulouse a été informé des faits.
- Normal.
- Oui. Mais ce qu'il a décidé, lui ou l'un de ses substituts I'est un peu moins. Car figure-toi que, bien que mon fils ait été agressé le premier, comme il avait trois gars face à lui et qu'il a foncé dans le tas, cet abruti de magistrat, excuse-moi le terme, lui a reproché d’avoir frappé le premier venu et non expressément celui qui lui avait porté le coup.
- Un vendredi.
- Date ?
- 30 avril.
- Bingo, mec ! Ne cherche pas plus loin. Le vendredi est le jour privilégié pour les actes satanistes. Le Christ est mort un vendredi.
- Et le 30 avril ?
- Là, c'est encore mieux. Avec le 31 octobre et Halloween, c'est la journée privilégiée de tous les tordus.
- Pourquoi?
- Pourquoi ? Parce que c'est le jour anniversaire de la mort d'Hitler et celui de la création de l’église de Satan.
Mais pour l’instant c’était l'office central et plus précisément le service chargé des sectes qu'il devait contacter.
Voix posée mais assurée, le collègue vers lequel il fut renvoyé commença par l'écouter puis lui fit un topo :
- Ecoute, le chiffre risque de te faire peur, mais MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, estime à vingt-cinq mille le nombre de personnes évoluant dans la mouvance satanique. Et chaque année, ce sont plusieurs centaines de tombes qui sont profanées, faits que les médias, pour des raisons évidentes de xénophobie et d'ostracisme, relayent souvent lorsqu'il s'agit de sépultures juives ou musulmanes, beaucoup moins quand il s'agit de sépultures chrétiennes, pourtant les plus nombreuses. Et celles-là, par-delà les immanquables abrutis avinés ou désœuvrés que tu peux imaginer, s'avèrent souvent liées à des pratiques noires. Et encore, les profanations sont une chose, les suicides ou les disparitions inexpliquées en sont une autre.
- Mais qui sont ces adeptes ? Des paumés ?
- Oui, pour la plupart. Tu sais, le mot secte vient du mot section, coupure si tu préfères. Ce qui veut tout dire.
" A Cahuzac, la châtelaine locale aurait fait construire au XIIe siècle une forteresse aux cents tours et détours dont elle aurait ensuite fait décapiter l'architecte pour que nul ne puisse jamais connaître les travaux de défense qu'il avait exécutés. Sympa."
Deux assassinats, une arme, et rien, pas de fil, pas de lien. Nous le savons tous, les bases du crime sont l'argent, le sexe, la jalousie, l'arrivisme parfois. Mais là, pas de vol, pas de maîtresses connues, un retraité sans histoires et un magistrat sans prestige manifeste.
L’égalité se devant d’être partout, la tolérance n’était nulle part.
Notre confession n'est en aucun cas une religion du mal mais au contraire un mouvement qui puise ses origines dans les forces de la nature. Satan l'ange déchu n'étant nullement un être assoiffé de sang, avide de profanations ou de sacrifices humains mais bien un dieu prônant une vérité et un respect que le christianisme, l'islam ou le judaïsme n'ont jamais véhiculés.
Qu'est ce que vous aimez ici ?
Je vous l'ai dit. Disons que je voyage au bout de la nuit, ce qui, je vous le concède, n'est pas très original quand on s'appelle Céline.