Pauline Sarelot-Le Floc`h

Je fis mine de ne pas comprendre. Mais il me regarda droit dans les yeux, et je ne pus donc m’empêcher de rougir. La honte. Je ressemblais à une grosse tomate. Impossible de lui faire croire que je ne voyais pas du tout de quoi il parlait.
- Cela fait des semaines que je réfléchis à la façon de procéder, avoua-t-il. Compte-tenu des circonstances, et du drame que vous avez vécu, j'imagine que vous n'êtes peut-être pas d'humeur à envisager de sortir avec quelqu'un. J'ai beaucoup hésité avant de me lancer, et l'optique de me faire rembarrer ne m'effraye pas car je comprendrais parfaitement que vous puissiez refuser de... enfin... voilà. J'aimerais beaucoup vous voir, sans qu'il soit question du chat ou du comité de lecture. Cela n’engage à rien, évidemment. Ça serait juste une sortie pour essayer, pour voir si ça pourrait marcher. Dans le cas contraire, on continuerait notre relation véto-félin sans considérer cela comme un échec. Et, en supposant que vous soyez d'accord, je tiens à vous laisser le choix des circonstances de notre première sortie. Et, pour finir, si vous avez l'intention de refuser mais que vous n'osez pas le faire ici maintenant tout de suite, vous avez le droit à un délai de réflexion.

Et là, je le vis. Il se tenait à côté du bar, adossé au mur, et me fixait. Quand je lui fis face, il m’adressa un sourire railleur et parcourut les quelques mètres qui nous séparaient.
- Princesse Yola ?
- Prince Tarek ?
- Je vois que les présentations sont faites, dit-il en abaissant son visage sur ma main. Vous passez une bonne soirée ?
- Vous auriez pu me dire qui vous étiez.
- Ça aurait changé quelque chose ?
- Absolument pas. Vous resterez à jamais le crétin du coffee shop.
- Vous m’en voyez ravi. M’accorderez-vous cette danse ?
- Pardon ?
- Il me semble que votre cavalier ne soit pas très motivé. Je vous propose de prendre la relève.
- Hors de question.
- Un prince Arthas qui découvrirait sa fiancée dans les bras d’un prince Mélia, ça ferait pourtant sensation.
C’était nul, mais il avait réussi à me convaincre. J’en voulais à Dayann de m’avoir abandonnée après la première danse pour parler fric avec ses collègues. Je tendis donc ma main à Tarek qui s’en saisit à m’accompagna sur la piste où notre entrée fut remarquée. L’orchestre entama un paso-doble. Et je découvris un instant plus tard que Tarek Mélia dansait comme un dieu.

Je marmonnai une demi-réponse et suivis du regard le crétin qui se déplaçait de quelques mètres afin d’entamer une énième conversation avec deux hommes qui se pressèrent pour lui serrer la main. Je ne prêtais pas attention à Guéwen. J’étais trop concentrée sur mon inconnu.
- Il est si beau que ça ?
- De qui tu parles ? répondis-je en jouant l’innocente.
- De Tarek Mélia. Dayann a du souci à se faire, à ce que je vois.
- C’est Tarek Mélia ??? baragouinai-je en écarquillant les yeux.
- Le prince Tarek Mélia, pour être précis. C’est fou comme le costume lui va mieux à lui qu’à nous tous. Tu veux que je te le présente ?
- Certainement pas. On se connait déjà.

Tom incarnait à la perfection un profil masculin que je n’avais jamais eu le privilège de compter parmi mes amants : l’homme-nounours. Le parfait mélange entre physique imposant et caractère doux, entre virilité débordante et abondance de tendresse.

L’expression « avoir du mal à se regarder dans une glace » aurait pu prendre tout son sens, à ce moment-là. J’aurais pu me faire horreur, défigurée par la culpabilité et les remords. Mais c’était tout l’inverse. Aucun remord, aucune culpabilité à l’horizon. Je me regardais dans le miroir, toute nue sous ce peignoir blanc, du dentifrice plein la bouche, m’amusais de voir mes joues encore un peu rouges et mes cheveux légèrement en pagaille, et je me trouvais belle.

J’étais abonnée à un compte qui publiait des proverbes et citations tous les jours. En faisant défiler la page d’accueil du bout de mon index, je tombai sur la dernière publication de ce compte. C’était une phrase en anglais dont la traduction littérale voulait dire « J’ai juste besoin de m’éloigner pour me souvenir pourquoi je reste. ». Et là, en une fraction de seconde, un feu d’artifice éclata dans ma petite tête. Partir, n’était-ce effectivement pas la meilleure façon de comprendre pourquoi on reste ?