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Philippe Nicolas (III)
- Les zones les plus lumineuses du visage sont majoritairement constituées de blanc de plomb, lui indiqua-t-il en effleurant des doigts le contour du portrait, Ce pigment, réservé chez les autres peintres aux plages du ciel, s'étend ici sous la figure de Monna Lisa et sous le paysage.... - Offrant une continuité entre les éléments de la composition...comprit Lucie. -De même que les ombres, plus ou moins marquées, ne résultent pas de l'application de différentes teintes, mais de la même matière, la terre d'ombre, apposée en un nombre plus ou moins élevé de couches... Longueville, enserrant la jeune femme dans ses bras, la fit pivoter vers une représentation du relief par gradation de couleurs. L'image ressemblait à un champ de bataille verdoyant sur lequel eussent été lâchés depuis un avion des pots de peinture. Les lèvres de la Toscane n'étaient qu' éclaboussures jaunes et bleues. - Leonardo était parvenu à un tel niveau de virtuosité que l'épaisseur de ses couches atteignait á peine quelques microns, engendrant dès lors une peinture fluide et sans aspérités, poursuivit le conservateur, rendant par sa voix douce tout son fondu au tableau. Les touches sont tellement légères qu' on ne distingue ni empâtement, ni trace du pinceau. - Même à la loupe binoculaire? demanda la guide. - Plus on augmente le grossissement, plus le sujet devient évanescent du fait de la technique du maître dépourvue de tout élément graphique... Longueville lui embrassa l'oreille et lui chuchota: -"Toi, peintre, ne délimite pas les objets..." Lucie reconnut une citation du Traité de la peinture de Léonard de Vinci. - Les carnations, à présent ... souffla le conservateur. (..) - Les carnations résultent d'une infime quantité de vermillon, qui suffit à teinter de rose le blanc de plomb et ainsi donner vie à la chair, reprit-il. De même que pour la terre d'ombre, une quantité comparable de vermillon est détectée partout ailleurs dans le tableau, par exemple dans les pupilles et les iris. L'image sous les yeux de Lucie avait la texture d'un hologramme. Elle ressemblait à une constellation de fins cristaux roses et brillants. -Des objets et des personnages indistinctement mêlés. ...murmura Longueville. Partout du blanc de plomb, de la terre d'ombre et du vermillon..partout les mêmes éléments fondamentaux..Une absence de trace du pinceau quasi magique, comme si l'acte de peinture était aussi insaisissable que l'origine du monde... - Une homogénéité absolue.. fit Lucie, qui entrevoyait le chemin emprunté par le président sans en percevoir encore le terme et s'abandonnait à lui corps et âme. - Une solution de continuité permettant que la vie circule sans entrave à l'intérieur de l'oeuvre.. que l'âme puisse "baigner" dans l'huile aux qualités savamment dosées...nager dans ce monde de nuances sans heurter les barrières du dessin...se déplacer au sein de ces couches extrêmement fines à la structure aussi cohérente et vaste que l'univers...(..) - Parce qu'il était universel et mélangeait tous les genres, la science, la chimie, l'art.. Il a ccompris que pour atteindre l'absolu.. le Grand Oeuvre se devait d'être.. une grande oeuvre. (...) -Beaucoup ont cherché au Moyen Age à transformer le plomb en or, lui susurra le conservateur. Léonard de Vinci a relevé de façon incommensurable le niveau des ambitions dans la période suivante, appelée à raison la Renaissance. Il a transformé le plomb en homme .. + Lire la suite |