Citations de Philippe Sands (55)
Je suis contre la peine de mort sauf pour mon père .
Niklas Frank
Malgré leur origine commune et leur souci partagé de pragmatisme, Lauterpacht et Lemkin étaient profondément divisés sur les réponses qu’ils donnaient la grande question : comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse ? En protégeant l’individu, répond Lauterpacht ; en protégeant les groupes, répond Lemkin.
Qu’en est-il alors, avait objecté l’un de ses enseignants, de la souveraineté du droit des États de traiter leurs citoyens comme ils le souhaitent ? À proprement parler le professeur avait raison : le droit international ne limitait pas le pouvoir des États. De manière tout à fait surprenante, aucun traité ne pouvait empêcher la Turquie de faire ce qu’elle avait fait : tuer ses propres citoyens. La souveraineté n’était pas un vain mot elle était totale et absolue.
Miss Tilney était une femme bienveillante pas une idéologue faisant le travail classique des missionnaires. Elle ne cachait pas seulement des gens, elle risquait sa vie pour le faire. « Peut-être que les gens ne sont capables de grand héroïsme que s’il croit passionnément à une cause » comme le dit une amie lorsque je lui racontai l’histoire de Miss Tilney. « Un principe abstrait n’est pas suffisant pour faire de vous une héroïne ; il faut de profondes motivations et des émotions aussi. «
Lauterpacht qui ignorait tout de ce qui arrivait alors à cette nièce qu’il ne connaissait pas, décida de renoncer à l’alcool et d’entamer un régime. C’était plus par précaution que le résultat d’un conseil médical. C’est en tout cas ce qu’il se disait pendant qu’il continuait à faire son devoir au sein de la Garde Nationale et qu’il réfléchissait au contenu de sa Charte des droits. Il ne savait pas que son père avait été raflé le 16 août. Ce jour là. Il envoya un mémorandum au comité sur les crimes de guerre à Londres, expliquant combien était pauvre la pratique internationale sur la question de la poursuite des crimes de guerre.
Hersch (Lauterpacht) parlait le français, l’italien, le polonais, et l’ukrainien, avec des notions d’hébreu, de yiddish, et d’allemand.
Make était alors âgée de soixante-douze ans, et on ne l’autorisait à voyager vers l’Est qu’avec une seule valise. Escortés à l’ Aspangbahnhof, derrière le château du Belvédère, elle-même et les autres déportés subirent les crachats, les sarcasmes, et les injures des spectateurs qui applaudissaient leur départ. Elle avait pour réconfort de ne pas être complètement seule, puisqu’elle était accompagnée de la mère de Rita, Rose. C’est une image terrifiante que celle des deux vieilles dames sur le quai de l’Aspangbahnhof, chacune s’accrochant à sa petite valise, deux êtres parmi les 994 Juifs viennois en partance pour l’Est.
(…)
Parmi les 1985 personnes à bord de ce train, se trouvaient trois des sœurs de Sigmund Freud : Pauline (Pauli) âgée de soixante-dix-huit ans, Maria (Mitzi) , quatre-vingt-un ans, et Rigina (Rosa), quatre-vingt-deux ans.
Inka changea de ton : elle s’exprima avec douceur en chuchotant comme si elle approchait d’un dénouement embarrassant.
» Les bonnes sœurs m’ont dit qu’il y avait une condition à mon séjour parmi elles. Ma famille ne l’a jamais su. » Pendant un moment Inka fut gênée, sur le point de rompre un silence qui avait duré toute une vie.
« Elles ont dit que je devais être baptisée. Je n’avais pas le choix. Peut-être était-ce une chance que je ne sois pas alors plus observante que je ne le suis aujourd’hui .J’avais eu de la chance de grandir dans une famille qui n’était pas très religieuse. »
Soixante-dix ans plus tard, elle était toujours aux prises avec un certain malaise. Inka se débattait encore avec le sentiment d’avoir en quelque manière, abandonné son groupe pour sauver sa propre vie.
En l’espace d’une semaine Źolkiew et Lvov furent et Lvov furent occupés par les Allemands, et les universitaires arrêtés. Parmi les prisonniers se trouvait l’ancien professeur de droit privé autrichien de Lauterpacht, Roman Longchamp de Bérier. Arrêté parce qu’il avait commis le crime d’être un intellectuels polonais, il fut exécuté un jour plus tard avec ses trois fils, durant le « Massacre des professeurs de Lwów
Son fils est heureux du séjour de sa mère mais il fulmina contre la manière dont elle affirmait sa personnalité : il s’opposa avec véhémence à ses « ongles peints », la forçant même à enlever son vernis.
Il était tout aussi hostiles à l’influence qu’elle tentait d’exercer sur sa femme, Rachel, qui avait adopté une coupe de cheveux alors en vogue, à la Louise Books, avec bob et frange. « Enragé » lorsqu’il avait découvert ce nouveau style, Lauterpacht avait insisté pour qu’elle revienne au chignon, déclenchant une forte dispute suivie par la menace de Rachel de le quitter. : »Je peux et je dois pouvoir préserver ma vie privée sans que tu me rudoies. » À la fin, Rachel avait pourtant cédé : son chignon était bien en place lorsque je l’ai rencontré plus de cinquante ans plus tard .
Des droits individuels, oui mais pas pour la femme ou la mère .
En 1997, deux documents notoires de la CIA ont été rendu publics. Le premier était le manuel KUBARK de 1963 sur les interrogatoires, qui contenait des indications sur la privation sensorielle, les menaces, la peur, et la douleur physique. VIngt ans plus tard, un autre manuel secret, le 'Manuel de formation pour l'exploitation des sources de renseignements humaines' (Human Resource Exploitation Training Manual), a été élaboré par la CIA en compilant des éléments du premier manuel KUBARK. Jusqu'en 1987, des formateurs de la CIA et des Green Berets ont utilisés se manuel comme outil d'enseignement dans certains pays d'Amérique latine. Il comprenait des techniques psychologiques et physiques d''interrogatoire coercitif'.
Les États-Unis avaient mis la main sur le manuel d'entraînement d'Al-Qaïda, connu sous le nom de 'Manchester Manual' (car la police britannique l'aurait trouvé à Manchester, dans l'ordinateur d'un membre présumé d'Al-Qaïda), qui contenait un chapitre expliquant comment résister aux interrogatoires.
Au moment où la note de service de Haynes arriva à Guantànamo, le 2 décembre, le Détenu 063 se trouvait dans une cellule d'interrogatoire en contreplaqué isolée du camp X-Ray (le site le plus sécurisé et le plus secret des diverses infrastructures de Guantànamo).
Le dernier document, et le plus important était une liste de dix-huit techniques d'interrogatoire décrites dans une note de service de trois pages rédigée par le lieutenant-colonel Jerald Phifer.
Les principes régissant la conduite d'un interrogatoire, qui remontaient à la célèbre consigne de 1863 du président Lincoln ('la nécessité militaire ne justifie pas la cruauté'), étaient foulés au pied. Les nouvelles techniques d'interrogatoire coercitive que Donald Rumsfeld avait approuvé auraient des conséquences dévastatrices.
Voilà ce qu’elle dit, ses yeux rivés aux miens.
« C’est juste que j’ai décidé il y a très longtemps de ne pas me souvenir. Je n’ai pas oublié. J’ai choisi de ne pas me souvenir. »
Lemberg, Lviv, Lvov et Lwów désignent la même ville. Le nom a changé, ainsi que la composition et la nationalité de ses habitants, mais le lieu et ses bâtiments n’ont pas bougé, même si la ville a changé huit fois de mains entre 1914 et 1945.
C'est un défi sérieux pour notre système de droit international confronté à une tension tangible : d'une part, les gens se font tuer parce qu'ils appartiennent à un groupe ; d'autre part, en insistant sur le sentiment d'identité collective, la reconnaissance de cette appartenance par le droit rend le conflit entre groupes plus probable. [...] Le génocide finirait pas susciter les situations mêmes qu'il cherchait à corriger.
Je comprends votre intérêt pour Lauterpacht et Lemkin, conclut-elle, mais n'est-ce-pas sur votre grand-père que vous devriez enquêter ? N'est-ce pas lui le plus proche de votre soeur ?
Devenu juge à la Cour constitutionnelle en 1921, Kelsen enseigna à Lauterpacht l’idée nouvelle, sinon aux États-Unis du moins en Europe, selon laquelle les individus possèdent des droits constitutionnels inaliénables et peuvent les faire valoir devant une cour de justice.