Citations de Pierre Gilloire (58)
Le désert est ainsi, témoignant à sa manière de la beauté du monde, portant la trace de civilisations retombant en poussières, un paysage immuable balayé par l'éphémère où la mémoire du séjour des hommes s'efface avec une infinie lenteur, ce désert où l'on retourne encore et toujours, dont on croit avoir démasqué les mirages, déjoué les pièges, dont on a réussi à percer d'humbles mystères et qui, pourtant, demeure insaisissable, un lieu d'exception, celui de la magnificence et de l'effroi, le grand espace énigmatique.
Les cités du désert sont mystérieuses. elles sont dangereuses. Les découvreurs de villes mythiques, les explorateurs sacrilèges n'ont gagné leur pari que dans l'anonymat. Presque tous ont joué la carte du mimétisme, naïvement parfois, habilement souvent, prenant des risques toujours.
Les cités du désert fascinent par leur isolement extrême. Ce sont des lieux de vie exigus aménagés dans une immensité hostile, niches écologiques microscopiques, simples points d'eau devenus points de repère, points de départ et d'arrivée, points sur la carte.
Je ne me suis pas perdu, ce sont mes yeux qui m'ont trompé.
Un type de paysage à nul autre semblable. Un tassili doucement vallonné, ponctué ici et là d'excroissances chaotiques, monde fascinant sur lequel le voyageur le plus blasé ne se lasse pas de poser le regard.
C'est aussi le désert des métaphores anthropomorphes, les champignons phalliques, les mamelons et les croupes, le creux des dunes où l'on vient se nicher, l'érotisme du sable chaud.
C'est le désert des métaphores marines, les mouvements de la houle, les récifs battus par les vagues, les épaves englouties, les baleines échouées sur la plage.
L'attrait pour le désert est suspect.
Le thé apporte aux voyageurs un réconfort physique et moral, il est tonique et nourrissant, coupe l'appétit, désaltère aux heures chaudes, réchauffe aux heures fraîches de la nuit.
Faute de pluie, l'acacia maigrit, son ombre devient trompeuse, l'espace habitable se réduit sous une couronne de feuillage clairsemée, il faut se déplacer pour fuir la progression du soleil.
L'acacia est un arbre étonnant, capable de plonger ses racines jusqu'à trente mètres de profondeur. Il se fait de plus en plus rare, étant utilisé comme bois de chauffage. Détruire un boqueteau d'acacias, c'est détruire une forêt.
Le chameau marche l'amble, ce qui est rare. Sa démarche est patricienne, son port de tête est hautain, la courbe de son long cou est élégante : il dodeline; si le mot n'existait pas, il aurait fallu l'inventer pour lui... Ses larges soles feutrées foulent le sable sans presque s'enfoncer, adhèrent parfaitement au rocher. Le glissement de son pas est silencieux et son approche surprend le marcheur absorbé dans ses pensées.
La violence du vent est telle que le moindre vêtement dont on se dessaisit est définitivement perdu, emporté au loin comme ces buissons d'épineux arrachés au sol, roulant dans une course folle.
Sable brûlant du soleil au zénith, doux et tiède à l'étape, glacial au coeur de la nuit.
Un sable de pure silice cristallisée qui non seulement ne salit pas, mais nettoie; propre et noble au point de pouvoir servir aux ablutions rituelles. Un sable dont la consistance peut aller du menu gravier compact à la poussière la plus volatile, avec toutes les variétés intermédiaires dans la granulation.
C'est peu dire que la diversité des couleurs du sable est grande dans le paysage saharien. Une palette riche en tons soutenus, plus large encore dans les tons pastels. Un spectre étendu dont les nuances et la brillance changent avec l'exposition, l'intensité de l'éclairage et l'heure de la journée : mates et presque ternes le matin, scintillantes à contre-jour deux heures plus tard, rousses au soleil couchant.
Ils observent les couleurs du sable pour choisir le meilleur itinéraire, sachant qu'une dune en apparence fiable peut se révéler piégée, que les dégradés de l'ocre, de la rouille ou du safran sur une même pente, dans les creux ou dans les bosses, correspondent à des dépôts sableux de nature et de provenance différentes.
Du moins au Ténéré, l'espace est-il ouvert, l'espoir de voir apparaître au loin le signe d'une présence humaine n'est-il pas complètement aboli...
Ainsi, au Ténéré, le désert du désert, un sol uniformément plat que l'on foule durant toute une journée, sans que rien ne le distingue de celui qui a été foulé la veille ou le sera le lendemain, un horizon parfaitement circulaire d'où rien n'émerge sinon quelques mirages, un lieu plutôt déconseillé à qui n'a pas les nerfs solides.
Le silence n'est troublé que par le murmure de l'eau dans les rigoles. Une bergeronnette s'envole d'un buisson. On aperçoit la silhouette d'une cigogne. Il n'y a pas un souffle d'air.