Citations de Pierre Warrant (17)
On écaillera la rouille
on fermera les yeux
on élimera le noir qui tait son ombre
l’adresse perdue de chaque nom jeté en mer.
On tracera sur l’eau des bouts de vie
le presque rien d’un souffle
des mots noyés dans les silences
qui nommeront le clair obscur
les choses vivantes
ce qu’on accoste à l’aube
avec rien d’autre que soi-même.
La paix se faufilera modeste et fauve
parmi les vagues les larmes
et ce qu’il reste de l’amour
s’il n’a sombré déjà.
Je n’attends rien
de ces lambeaux de brume
de ces fragments de lune
de ce qui trompe l’arrière des nuages
je ne peux rien dire
de la fraîcheur de la tristesse
lorsque je touche les ombres
et que j’écris l’envers du masque
le soir consume les yeux
des lettres se heurtent à la poussière
et l’histoire tourne et fait écran
il nous faudrait nous réunir
pour rire comme en plein jour
et contempler ensemble
ce tout qu’il reste à faire
il nous faudrait
chercher la voix des arbres
et des regards à qui parler.
si ton sang est encore rouge
si tu aimes l'aube naissante
la couleur de ses sources
et la marée de ses jardins
resserre doucement quelques silences
couche-toi sur un tapis de feuilles
comme ces fruits qu'aucune main n'a touchés
et qui roulent sans bruit vers une bouche à aimer
songe à partir vers un ciel à l'écoute
pars pour rester comme une barque
à l'arrêt sur les larmes du lac
où le vent d'un vertige s'élargit
allume la pâle paume des nuages
à l'incendie des mots et de la neige
écris la plaine et la montagne
l'orage et l'accalmie la source et l'embouchure
oublie ce que tu sais et d'où tu viens
retiens la terre à la croisée des ombres
l'élan des jours et des poèmes
les coeurs qui battent à l'unisson.
PW
C’est d’ici
que l’eau se lève
apprend
parfois se pacifie
elle porte
barges et bateaux
elle part
à la rencontre
ne connaît pas sa berge
ni quel pont
ni quel nuage
s’accrochera à son image
elle donne sang
aux veines de la ville
pour que la mer un jour
consente à l’accueillir.
Je veux
une plage rouge
battue aux pertes
à la langue des loups
aux femmes qui espèrent
je veux
un chant d'orage
qui nous prenne par surprise
et s'attarde aux blessures
des marées qui implosent
je veux
un ciel en feu
des éclairs et du sang
échappé de nos tripes
des lilas et des pleurs
je veux
la cendre blanche des algues
une parole de printemps
l'amant comme une ébauche
et la vie qui s'acharne
au bord du paysage.
avoir
ce qu'on ignore
ce presque tout
volé au vent
Tu me demandes
pourquoi seulement maintenant
pourquoi ce besoin de mettre les choses en ordre
pourquoi cette entaille dans le cœur troué d’une rose
cette terre qui brûle et n’éclaire plus la nuit
ce vide autour de l’arbre qui nous questionne
hélas sur tout cela je n’ai pas de réponse
seules les racines pourraient nous expliquer
seules les branches défaire les nœuds
pour éclairer chacune de nos tristesses
et peu importe où l’on se trouve
et peu importe les origines obscures
ou le langage qui se fait rare
il y a seulement ce que l’on sait
en recevant la pluie comme un indice
sur la fenêtre ouverte
la force d’un ciel qui claque
une main qui nous rejoint
et l’étonnement d’un mot si beau
qu’il tombe comme un éclair entre les yeux.
un peu de rien
et de ce calme après la pluie
lorsqu’entre en nous la terre
sans bruit sans effraction
et on est là
sans savoir sans oser
à laver nos silences
à s’allonger sur le sommeil
où tout pourrait finir.
Au ras du sol
il y a le vent du sable
la trajectoire du ciel
et un chemin
faut-il pencher la tête ou l'âme
pour ne pas être emporté
écrire des confidences
à l'ouverture des yeux
où se logeraient
la mer
l'envie de vie
ce qui en nous hésite à ralentir.
Raie de soleil
Que reste-t-il
de la raie du soleil dans les branches ?
une couvée de lumière
l'inflexion d'une main
le détail d'un visage
quelques traits
dessinés sur le ciel
ce qu'on ne peut retenir
de la vie.
et toi
tu danses
tu brûles
tu tourbillonnes
tu jettes l'eau
et prends la main
de ce qui tremble en toi
tu tiens tête à tes blessures
et tu résistes
et tu te bats
l'amour veille
et se tient devant toi
il t'appelle par ton nom
un jour
que tu devines lointain
il t'apaisera
peut-être soufflera-t-il
qui tu étais
qui tu deviens
On ne possède rien
Que les secrets d'hier
Inscrits dans la vallée
On sait ce qui n'est plus
que l'on croyait intact
Et reste couché en nous
On peint le ciel en feu
A l'ombre de nos pertes
On étend sur la terre
Un vent sablé de pluie
Un désir
Qui s'incline.
nos mains s'agitent sans certitude
que reste-t-il
que reste-t-il lorsqu'il ne reste rien
On dit du large
qu'il laisse à quai
quelques tristesses
et le silence des voiliers
des amas de cordage
se cognent au blanc
des phares et des désirs
ajoutant leur faiblesse
à la nôtre pour retenir
ce qui rassure
mais la mer chante et
réchauffe et ses mouvements
déliés comme des phrases
accueillent ce que l'on porte
une île égoutte
son port et ses clochers
aux algues des certitudes
elle tient contre elle
l'air et la beauté
à tremper dans le bleu.
J'aurai ma table
sous les fenêtres de la mer
je me laverai
au sel de l'amertume
à cette lumière rauque
qui tache le matin
et tombe de nos yeux
absents déjà
des plages de l'enfance.
(p.31)
ma solitude parcourt le monde
la part aimante
la part immonde de la terre
où irions-nous sans elle
qui nous précède
et nous nourrit
où irions-nous
avec nos rêves
tout puissants
ici là-bas
la même perte
le même manque
la même désespérance
de ceux qui courent
aveugles et vides
comme en sursis
du chant qui les vit naître
Plus loin
le bleu écarte l'eau
remue de la lumière
ne ferme rien au temps
la mer dans son désir
nous a quittés déjà
le ciel retient le soir
tu ne dis rien
et je regarde
un vent d'automne
nous tient en vie.
(p.28)