René Ménard

Mais l'art va bientôt traduire autre chose que des faits matériels. En présence des maux dont il est affligé, des injustices dont il est témoin, l'homme éprouve le besoin de se figurer un monde différent, qui réponde à la notion qu'il a du bien et de la justice ; il conçoit l'idée d'un Dieu fort et juste qui châtie les méchants et récompense les bons. Il la réalise par l'art et fabrique une idole, image visible de sa conception religieuse. Pour exprimer ce Dieu fort, il lui donnera les formes connues qui annoncent la force ; et pour rendre vraisemblable ce qui est impalpable et invisible, il aura recours à l'imitation de la réalité. L'art va donc toujours du réel à l'idéal, soit qu'il s'associe à notre industrie, soit qu'il retrace les événements de notre histoire, soit qu'il traduise les conceptions morales de notre esprit.
Dans tous les temps et chez tous les peuples, nous retrouvons le germe de l'art, mais il se développe ou demeure condamné à la stérilité, selon le génie
des races diverses et les conditions morales où s'exerce leur activité.

La numismatique forme une des branches les plus importantes de l'histoire artistique du métal. La première manière dont on s'est servi du métal comme moyen d'échange fut de le donner au poids. Les monnaies furent d'abord des pièces informes et grossièrement travaillées, sur lesquelles on imprima ensuite une marque pour en indiquer le poids et la valeur. Le poids est la base et le fondement de toute espèce de monnaie; mais l'histoire de l'art ne commence pour les monnaies qu'à partir du moment où y figura, comme signe, un emblème ou une effigie.

Le Louvre renferme plusieurs statues antiques de Vénus, extrêmement célèbres. La Vénus de Milo est considérée par beaucoup d'artistes comme le chef-d'œuvre le plus complet que nous ait laissé l'art antique. Il y a loin pourtant de la Vénus de Milo à ce type de beauté que se font la plupart des hommes de nos jours. Cette recherche de coquetterie, que beaucoup de gens regardent comme l'attribut de la femme, manque absolument dans cette Vénus victorieuse, dont la beauté est grave et pure, mais sans aucune afféterie. C'est au mois de février 1820, qu'un pauvre paysan grec en fit la découverte en fouillant dans son jardin. Cette statue, en marbre de Paros, est formée de deux blocs dont la réunion est cachée par les plis de la draperie.

L'art est l'expression d'un besoin et non d'an caprice. Il est donc inutile de rechercher ses origines dans l'histoire, car il commence avec l'histoire. Le sauvage élève une cahute avec des branches d'arbre : en cela, il obéit à un besoin matériel, celui de s'abriter. Mais en môme temps, il cherche à la construire à son goût, c'est-à-dire aussi belle qu'il le peut : le chef de la tribu aura la plus belle hutte. Ceci est un besoin moral qui est l'aspiration vers le beau.

Pierre le vieux est né à Breughel, près de Breda, et le nom de son village est devenu celui de sa famille. Il a visité la France et l'Italie. Son surnom de Pierre le Drôle vient de ce qu'il aimait surtout à représenter des scènes burlesques. Breughel d'Enfer, son fils, a peint fréquemment des scènes fantastiques ou des incendies. Léon Breughel , dit de Velours, à cause de son goût pour la toilette, était très habile dans le paysage. La biographie des Breughel est peu connue, et ce qui augmente encore la confusion, c'est qu'il existe encore une autre famille de Breughel qui vivait à la même époque et produisit des artistes d'une certaine valeur.

Dans les temps où les principes fondamentaux de l'art semblent oubliés, où le caprice individuel règne en souverain, il arrive parfois des hommes en qui la volonté et la méthode tiennent lieu d'inspiration, et qui par la seule puissance du goût individuel s'élèvent au-dessus des passions déréglées de leurs contemporains. Tels furent les Carrache, à qui l'Italie doit d'avoir eu une nouvelle série de maîtres habiles qui retardèrent la décadence. Il est peu d'artistes qui se soient montrés aussi absolument affranchis de toute influence des milieux extérieurs. L'art est pour eux la déduction logique
d'un enseignement parfait. Il pourra être indifféremment religieux ou intime, passionné ou décoratif, et il atteindra nécessairement la perfection, si l'artiste a su combiner avec habileté les éléments dont se sont servis les maîtres. Les uns ont donné à leurs figures une tournure magistrale, on cherchera à quoi tient cette tournure ; d'autres ont eu une facture large, on étudiera leur touche ; d'autres ont été grands coloristes, on verra de quelle manière ils ont combine leurs tons. La grâce du Corrège, le grandiose de
Michel-Ange , la noblesse de Raphaël , la splendeur du Titien, résultent de certaines combinaisons de lignes et de couleurs; en étudiant ces combinaisons, on les possédera, et si on les réunit toutes sur une œuvre, elle ne peut manquer d'arriver à la perfection. Telle est la donnée sur laquelle Louis, Augustin et Annibal Carrache fondèrent leur enseignement à Bologne.

Michel-Ange proposa d'en faire une chapelle sépulcrale qui contiendrait le mausolée. Mais Jules II sentit alors s'éveiller en lui une autre ambition, celle d'être le fondateur de la nouvelle basilique. Dès lors, il oublia le tombeau pour ne plus penser qu'à l'église. Le tombeau ne fut jamais terminé dans son ensemble ; c'est pour lui que Michel-Ange lit la statue de Moïse qui est à Rome, et les deux Captifs, qui sont au Louvre.

Accablé de travaux, Raphaël n'y pouvait suffire. Il se lit aider par ses nombreux élèves, qui non seulement ébauchèrent ses tableaux, mais même en exécutèrent complètement d'après ses dessins. Jules Romain, Francesco Penni, Polydore, Perino del Vaga, Jean d'Udine et plusieurs autres s'identifièrent avec leur maître, au point qu'il est difficile de fixer la part de chacun dans ses ouvrages. Lorsqu'après sa mort ils furent livres à eux-mêmes , on retrouva encore dans leurs propres tableaux le talent qu'ils devaient à l'excellente direction qu'ils avaient reçue, mais le souffle inspirateur n'était plus le même. Raphaël mourut le 7 avril 1520, par suite d'un refroidissement.

Francesco Mazzuoli, dit le Parmesan, du nom de sa ville natale, perdit son père de bonne heure, et travailla sous la direction de ses oncles qui étaient peintres. Il étudia surtout le Corrége et en reçut quelques conseils. Étant venu à Rome, Je pape Clément VII le chargea de travaux considérables. Après le sac de Rome par le connétable de Bourbon, il s'enfuit à Bologne et ensuite à Parme où il exécuta de nombreuses peintures. Comme il ne se pressait pas assez de terminer celles qu'il avait commencées pour l'église de la Steccata, il fut incarcéré sur la requête des religieux Après sa sortie de prison, il s'enfuit à Casalmaggiore, où il mourut dans un état voisin de la misère. Le Parmesan est le premier peintre italien qui ait gravé à l'eau-forte.

Les maîtres de la renaissance italienne, épris de l'antiquité dont ils s'efforçaient de suivre la tradition, se sont peu inquiétés de la nature extérieure, et c’est dans les Pays-Bas, patrie du naturalisme moderne, qu’il faut se transporter pour voir la lune reproduite comme elle se montre à nous. Van der Neer est le premier qui ait tenté de rendre des clairs de lune, et il l’a fait avec une rare perfection. Ses tableaux représentent le plus souvent des paysages marécageux, éclairés par la lune qui vient doucement argenter de ses reflets l’eau tranquille des canaux. Dans l’école française, Joseph Vernet, qui dans ses marines a reproduit le ciel sous tant d’aspects différents, est souvent d'une grande justesse dans sa représentation des clairs de lune.

Si l'art n'existait que par le procédé, si son but n'était que la sensation, il faudrait bien nous résigner ; mais avec des procédés empruntés à l'étranger, nos artistes ont dû rendre des idées et produire des émotions qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Le Poussin, pour s'être formé en Italie, n'en est pas moins Français par la clarté de l'exposition, par la tournure raisonneuse et contenue de son esprit, par la méthode qui préside à ses ordonnances. On peut appeler Watteau un enfant perdu de Rubens, mais le maître flammand n'a jamais connu celle légèreté , cet enjouement, cette coquetterie, qui rendent si éminemment Français le peintre des fêtes galantes. Ces deux artistes, si différents, se ressemblent pourtant par la tournure française de leur esprit. La raison et le caprice, voilà les deux termes entre lesquels s'agite l'École française, et ces deux termes ne sont pas empruntés de l'étranger .

Le Florentin Donalello représente dans la sculpture la seconde phase de la Renaissance. Au lieu de s'arrêter à l'imitation des ouvrages de l'antiquité qu'il pouvait avoir à sa disposition, il y chercha seulement des leçons pour se guider dans l'étude directe de la nature. Le réalisme domine dans ses ouvrages, et son ami Brunelleschi, l'architecte du dôme de Florence, auquel il demandait son avis sur un crucifix qu'il venait de faire, lui répondit : « Tu n'as pas fait un Christ en croix, mais un paysan » . Celte étude naïve et consciencieuse de la réalité donnait tant de vie à ses figures, que plus tard Michel-Ange s'écriait devant le saint Marc de Donatello : « Marc ! Marc ! pourquoi ne parles-tu pas? » Dans son saint Georges, dans le Zuccone, qu'il regardait comme son chef-d'œuvre, et dans toutes ses autres statues, on retrouve cet amour de la vérité et de la vie qui prélude à l'épanouissement de l'art.

Le Naufrage de la Méduse, par Géricault, fut considéré comme le signal de la révolution, et servit de drapeau aux novateurs. Après avoir terminé des études dont ses ouvrages mêmes attestent le caractère sérieux, Géricault conçut une œuvre où la recherche du beau est abandonnée et remplacée par celle du drame et de la passion.

POLIDORE CALDARA. 1495-1542
Polidore Caldara, généralement appelé Polidore de Caravage, du lieu de sa naissance, commença par porter le mortier qui servait à préparer les fresques du Vatican, où travaillait Raphaël. Ayant conçu le désir de faire lui-même de la peinture, il reçut de Jean d'Udine les premiers éléments du dessin, et ses progrès furent si rapides, que Raphaël ne tarda pas à l'employer, Polidore fit une étude très approfondie des statues et des bas-reliefs antiques, et se plaisait à les imiter dans ses peintures, qui sont presque toujours monochromes. Après le sac de Rome par le connétable de Bourbon, il se rendit à Naples et ensuite à Messine, où il fut assassiné par un de ses élèves à l'âge de quarante-huit ans.

La sculpture égyptienne n'a donc pas commencé, comme on l'a cru longtemps, par le symbolisme religieux, mais par l'étude et l'imitation des formes réelles. Son développement s'arrêta quand elle l'ut parvenue à traduire chaque ordre de fait par un type, c'est-à-dire par une formule générale exprimant les caractères distinctifs de chaque chose. Ces types généraux furent consacrés par l'autorité et fixés par la tradition.

L'art, a-t-on dit, se mourait d'impuissance dans les derniers temps du paganisme. Un art nouveau allait sortir des catacombes ; les artistes chrétiens remplaçant la recherche de la beauté matérielle par celle de l'expression morale, entraient résolument, quoique avec inexpérience, dans une voie très supérieure à celle où il avait marché dans l'antiquité. Si cette tentative de renaissance a avorté, il n'en faut accuser que les terribles catastrophes qui se sont succédé dans cette époque malheureuse. Ce sont les barbares qui, en se ruant sur l'empire, ont arrêté le développement normal de la civilisation.

Les loges de Raphaël, au Vatican, sont peintes dans une galerie ouverte d'un côté, servant de corridor entre l'escalier du second étage et la salle de Constantin. Cette galerie comprend treize compartiments ou loges à petites coupoles, et chaque loge comprend quatre tableaux, dont quarante huit sont tirés de l'Ancien Testament et quatre du Nouveau c'est ce qu'on appelle la Bible de Raphael. L'artiste avait l'intention de décorer les autres loges avec un cycle de sujets partant de la dernière scène du Nouveau Testament et comprenant l'histoire des Apôtres et des principaux saints de l'Église. la mort l'a empêché de réaliser ce projet.

L'art est l'expression d'un besoin et non d'un caprice. Il est donc inutile de rechercher ses origines dans l'histoire. Le sauvage élève des cahute avec des branches d'arbres : en cela il obéit à un besoin matériel, celui de s'abriter. Mais en même temps, il cherche à la construire à son goût, c'est-à-dire aussi belle qu'il le peut; le chef de tribu aura la plus belle hutte. Ceci est un besoin moral qui est l'aspiration vers la beau.

Winckelmann suppose que la sculpture a dû précéder la peinture, parce qu'il semble assez naturel d'exprimer des formes en pétrissant une matière molle ou en taillant une matière dure, tandis que, pour les rendre par un contour tracé sur une surface plate, il faut les concevoir indépendamment de leur solidité, ce qui suppose un certain degré d'abstraction. Cependant les anciens débris trouvés récemment sous le sol actuel de l'Europe, et appartenant à la période antéhistorique, qu'on nomme l'âge de la pierre ; nous offrent à la fois des spécimens de sculpture et de dessin au trait.

Non-seulement l'art de peindre a été absolument transformé par l'influence de David, mais les meubles mêmes et les costumes sont devenues grecs et romains. Pendant trente ans, l'école dite classique a régné sans opposition, et rejeté avec le dernier mépris toutes les charmantes et frivoles productions du XVIIIe siècle.