Dans les temps où les principes fondamentaux de l'art semblent oubliés, où le caprice individuel règne en souverain, il arrive parfois des hommes en qui la volonté et la méthode tiennent lieu d'inspiration, et qui par la seule puissance du goût individuel s'élèvent au-dessus des passions déréglées de leurs contemporains. Tels furent les Carrache, à qui l'Italie doit d'avoir eu une nouvelle série de maîtres habiles qui retardèrent la décadence. Il est peu d'artistes qui se soient montrés aussi absolument affranchis de toute influence des milieux extérieurs. L'art est pour eux la déduction logique
d'un enseignement parfait. Il pourra être indifféremment religieux ou intime, passionné ou décoratif, et il atteindra nécessairement la perfection, si l'artiste a su combiner avec habileté les éléments dont se sont servis les maîtres. Les uns ont donné à leurs figures une tournure magistrale, on cherchera à quoi tient cette tournure ; d'autres ont eu une facture large, on étudiera leur touche ; d'autres ont été grands coloristes, on verra de quelle manière ils ont combine leurs tons. La grâce du Corrège, le grandiose de
Michel-Ange , la noblesse de Raphaël , la splendeur du Titien, résultent de certaines combinaisons de lignes et de couleurs; en étudiant ces combinaisons, on les possédera, et si on les réunit toutes sur une œuvre, elle ne peut manquer d'arriver à la perfection. Telle est la donnée sur laquelle Louis, Augustin et Annibal Carrache fondèrent leur enseignement à Bologne.
La Renaissance italienne s'était opérée simultanément par deux courants d'idées contradictoires, l'un continuant le mysticisme chrétien du moyen âge, l'autre reprenant l'histoire juste au point où l'avait laissée l'antiquité, arrêtée par la double invasion des croyances nouvelles dans la religion et des races nouvelles dans la politique. Tout le mouvement artistique se rattachait à ces deux courants d'idées. De Giotto à Michel-Ange, une suite non interrompue d'artistes font de l'expression le but de l'art, et traduisent les passions qu'ils ressentent avec la multitude : de Giotto à Titien, les efforts do l'art pour produire l'illusion de la réalité n'ont pas été moindres, et cet art, qui ne cherchait pas tant à exprimer les émotions intimes de l'âme qu'à rendre la beauté visible, avait pris pour thème principal les légendes mythologiques.