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Citations de Renée Dunan (54)


Il y a mieux encore. Pour donner plus de quiétude à leur conscience qui pourrait être troublée malgré tout, la plupart des mâles, quoique la prisant fort pour leur usage, diminuent, en paroles, la valeur réelle de la chasteté des fillettes. Ils répandent des bruits grotesques et grossiers, ils publient des livres, ils font une propagande acharnée, par le théâtre, le roman et les propos de salon, pour qu'il soit bien avéré qu'il n'y a vraiment pas tant de ménagements à prendre avec les adolescentes ; celles-ci étaient gangrénées par mille causes : les ouvrières des quartiers pauvres, par les exemples de la promiscuité (hélas ! trop certaine). Les rurales, par l'exemples des bêtes, et les jeunes filles de la bourgeoisie par les vices solitaires ou unisexuels.
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On maintient l'impunité des satyres et déflorateurs, et cela se fait en tenant les questions sexuelles dans l'ombre. On ne saurait donc se livrer à des enquêtes judiciaires et constituer des dossiers sur cette matière estimée honteuse. La magistrature, où les huguenots sont si nombreux, s'y refuserait. C'est très habile. La tranquillité de ces sales individus que sont les salisseurs de vierges est maintenue hypocritement par cette voie détournée. [...] Il faut, pour faire régner deux sous de justice, non pas améliorer les articles du code, non pas faire les prédicants, mais imposer des principes nouveaux d'où la justice vraie se déduise seule. Que la sexualité cesse d'être une chose horrifique et cachée sous un triple voile. Soudain l'idée qu'il existe des torts sexuels naîtra dans l'esprit de chacun et l'amateur de vierges aussitôt apparaîtra une fripouille. Cela sera automatique. De même, comme nous disions tout à l'heure, que le puissant, à délit égal, soit plus lourdement atteint que le pauvre. La valeur représentative de l'acte répressif augmentera assez pour tenir le bas peuple dans le devoir, car il sait bien que nul espoir ne subsiste plus pour lui d'échapper là où un homme armé de mille moyens de frauder la justice a succombé. Ces principes sont enfantins et leur vérité est dépourvue de complication. L'on reste stupide que des siècles de gouvernement n'aient pas songé à les mettre en action.
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Et comme, particulièrement, les gens de pouvoir centraux sont le plus souvent érotomanes, ils n'envisagent en matière de crimes sexuels rien d'autre que le chemineau violant une bergère au coin d'un champ. Ce délit sous sa forme policée se répète à Paris chaque jour pourtant voilà trois amies qui l'ont connu, ou presque, sous une multitude de formes. Jugez un peu ce qu'il en est pour des jeunes filles qui n'ont ni défense ni esprit critique et qu'on arraisonne avec des promesses sans sincérité ni précision ; éduquées qu'elles furent dans cette religion de la pudeur qui leur fait espérer entendre les hommes parler d'amour avec la foi du missionnaire. Elles sont victimes, et cela les mène loin... Mais nul ne s'en occupe. Ce sont des questions...pornographiques...
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« Que la sexualité cesse d’être une chose horrifique et cachée sous un triple voile. Soudain l’idée qu’il existe des torts sexuels naîtra dans l’esprit de chacun et l’amateur de vierges aussitôt apparaîtra une fripouille. »
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Satan, dans ce roman, n'est donc qu'une mythique figure de l'éternelle lutte de l'être contre lui-même, une incarnation aussi de cette volonté sarcastique qui permet à la vie de durer. C'est qu'elle renouvelle perpétuellement le désir, autour des sentiments épouvantés, crédules et pervers qui, pour l'homme, sont des géhennes et des justifications à la fois.
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Renée Dunan
Il faut oser, car la morale est ailleurs que là où on l’imagine.
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Que m’importe. C’est l’âme que je veux en vous et le corps offert comme une âme en chair. Alors je vous aurai toute neuve… Les mains d’une femme ne sont pas déshonorées parce qu’elle aurait récuré des casseroles, ni sa bouche parce qu’elle aurait eu la nausée.
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Écho du Figaro :
« Le docteur de Laize et sa charmante femme, née Timo de Bescé d’Yr, ont fêté hier dans leur hôtel de l’avenue du Bois-de-Boulogne, la naissance de mademoiselle Louise-Antoinette-Marie-Zanette Timo de Laize de Bescé, leur fille. »
Autre écho du Gaulois :
« La Ligue pour la chasteté avant le mariage est depuis hier définitivement constituée, sous la présidence d’honneur du président du Conseil, et la présidence effective de madame de Laize de Bescé, l’heureuse épouse du plus célèbre médecin européen d’aujourd’hui… »
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Elle dit à l’homme médusé :
— Décidément, mon cher, je n’y perds pas. C’est avec vous si facile ! Ça vient comme la lumière avec un commutateur.
Il l’étreignit passionnément :
— J’ai joui comme si je vous donnais ma vie. Mais j’ai honte.
— Et de quoi, bel amoureux sentimental ?
— De vous avoir fait accomplir… cela. Vous vous moquiez, j’ai pensé vous humilier, mais vous avez paru un de ces empereurs qui dans les églises d’Orient lavaient jadis une fois par an les pieds des malades. Vous m’avez prouvé que le plus grand orgueil consiste à aller au-delà de l’abaissement possible. Le vôtre est immense. Il le faut pour…
— Tailler une plume…
— Ah ! ne dites pas ces mots, j’en pleurerais.
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Comme, presque honteux, il voulait maintenant lui dé-fendre cet acte, qui faisait honte aussi au docteur de Laize, elle écarta les mains de l’homme avec impatience :
— Mais laissez-moi donc gagner mon argent !
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— Quel est ce birbe ? demanda la jeune fille.
— Lui, c’est Altmyz, ministre des Arts et Manufactures et vice-président de la Banque du Centre.
Louise de Bescé eut un geste brusque, et son œil jeta une lueur. Son compagnon la questionna en riant :
— Vous le connaissez ?
— Il vient de me faire des propositions, mais nous en sommes restés là.
— Ah ! Je suis son cousin ; vous me connaissez peut-être aussi : Léon de Silhaque ?
— L’aviateur ?
— Lui-même.
— Alors, dit tranquillement Louise, ce sera plus cher : l’abonnement est porté à deux mille.
Il répondit, la regardant fixement, car il ne pouvait croire qu’elle soit sérieuse :
— Vous savez que j’ai des passions ?
— Je les prends aux conditions dites.
— Vous ne désirez pas savoir lesquelles ?
— Aucune ne me fera reculer.
— Vous me taillez une plume, trois fois par jour, dans l’endroit que je choisis : par exemple dans une cabine téléphonique, au bain, en fiacre.
Elle dit tranquillement :
— Dans la rue…
— Non, mais enfin dans le lieu qui est le plus commode au moment où l’envie m’en prend.
Elle calcula doucement :
— Cela fait vingt et une plumes à tailler et les met à cinquante francs pièce, plus une gratuite. C’est avantageux pour vous.
Ahuri, il la dévisagea, ne sachant s’il devait rire ou se fâcher. Elle continua :
— Vous devez être juif. Vous avez l’habitude de ces marchés malins. Vous deviendrez très riche…
Il éclata.
— Non, mais vous avez fini de vous payer ma tête ?
— Je suis parfaitement sérieuse. De notre temps, avec le prix de la vie, et la hausse de toutes les denrées, cinquante francs la taille de plume, c’est pour rien. Et je vous avertis que ce sera la première fois que je le ferai. Des prémisses… Un honnête homme annulerait le contrat pour ne pas sembler voler le vendeur. Mais vous êtes inexorable.
Il dit :
— Attendez, ma petite. Je vais vous prendre au mot. Voilà un instant que je vous ai accostée et que vous me charriez. Eh bien ! je vais vous mettre devant vos acceptations. C’est entendu, n’est-ce pas ? Vous me taillez une plume tout de suite ?
Elle approuva froidement.
— Je taille !
— Bon ! Si vous vous en acquittez comme dit, vous palperez les deux mille de l’abonnement, sitôt l’affaire faite. Sinon…
Il fit signe à un taxi fermé.
— Montez ! C’est toujours dit ?
— Ah ! vous devenez barbe, dit impatiemment Louise de Bescé. Quand j’ai dit « oui » c’est toujours « oui ».
Ils montèrent dans la voiture et l’homme, amusé, ordonna : « Au Bois ! » Ensuite, sitôt installé dans le capitonnage, il reprit :
— Je vous attends !
Elle s’agenouilla devant lui, puis sèchement :
— Les deux mille francs sur la banquette, derrière moi, que je puisse les prendre quand vous m’aurez expédié votre offrande.
Il posa l’argent à côté. Il restait éberlué et doutait que cette femme étonnante fît vraiment ce dont elle parlait avec tant d’ironie hautaine. Louise murmura cependant :
— Maintenant, sortez vous-même votre objet. Je n’aime pas et ne sais guère mettre ça en vedette. Je ne suis pas comme une amie qui fait jouir son amant sans sortir la chose du pantalon.
Il dit :
— La princesse de Spligarsy agit ainsi avec son amant, Zani de Bescé, le financier.
Elle oublia où elle était :
— Tiens, vous le savez ?
Il la regarda avec stupeur.
— Quoi ? quoi ? Vous connaissez ces gens-là. Mais qui êtes-vous ?
Louise haussa les épaules :
— Je suis une femme qui gagne deux mille francs. Mettez votre bibelot dehors. J’aurais peur de le casser en le retirant moi-même.
Il voulut l’arrêter et la relever :
— Allons, cessons ce jeu, vous êtes une…
— Je ne suis rien. Ah ! puisque vous ne voulez pas ériger cela, je me risque.
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..., un vieil homme commença de rôder autour d’elle. Il était digne et correct. Sous des sourcils lourds et gris, son oeil avait une inquiétante fixité. Il finit par suivre Louise de près, puis brutalement vint à sa hauteur et lui dit :
— Venez-vous ?
Elle regarda ce « client », et d’un geste de la tête fit oui. En même temps une rougeur, dont, après sept mois de cette vie parisienne, elle se croyait bien devenue incapable, colora son visage. Il se mit à marcher à son côté, la dévisageant âprement, puis reprit :
— Prenons par ici. Mon appartement est au second, dans la rue, là-bas.
Une rue, puis une autre, et Louise, par un couloir somptueux, entra dans un ascenseur, poussée par son guide, et, cinq minutes plus tard, se trouva dans un vaste salon, encombré de tableaux. L’homme dit :
— Déshabille-toi.
Durement, elle répliqua :
— Donne-moi mon cadeau.
Il eut un sursaut à ce mot, puis tira son portefeuille.
— Tiens, voilà cent francs. Tu en auras autant après.
Louise haussa les épaules, plaça le billet dans son bas et commença à se dévêtir. L’homme la regardait avec curiosité. Sans dire un mot, quand elle eut fini, elle se tourna vers le vieil-lard. Nue, sauf ses bas, très droite, les talons joints, la débutante fit alors un signe qui pouvait vouloir dire : à vos ordres. L’homme affirma narquoisement :
— Tu as des façons militaires.
Elle ricana :
— Je croyais avoir au contraire des façons très civiles.
Il vint regarder le joli corps nu.
— Tu ne fais pas cela depuis longtemps ?
— C’est le premier jour. Tu es mon premier client.
— Pourquoi ?
— Qui me fera manger ?
— Mais…
— Tais-toi, dit-elle. Je ne suis pas venue chercher de la morale. En ce cas, ce serait toi le fournisseur et j’aurais à te payer ; je suis venue te faire jouir. Comment le veux-tu?
Il demanda :
— Combien de fois as-tu été déjà aimée ?
— Dix.
— C’est tout ?
— C’est peut-être neuf fois de trop.
— As-tu un amant de cœur ?
— Ni de cœur, ni d’ailleurs.
— C’est bien. Tiens !
Il tendit un autre billet de cent francs.
— Habille-toi et va-t’en. Tu me glaces. Tu ne réussiras pas dans ce métier. Il faut de la douceur et du mensonge, des caresses et des mamours…
Elle reprit son linge, puis sa robe, et répondit enfin :
— Quand j’ai voulu travailler, on ne m’a pas demandé si je pouvais le faire bien, mais seulement si je voulais ouvrir les cuisses. J’ai donc décidé de vivre de mes cuisses ouvertes.
— Va-t’en, reprit l’homme. J’aime les femmes, mais si je te vois encore dix minutes, je deviendrai chaste. Tiens, prends encore !
Et il lui tendit un autre billet.
Louise partit. Un orgueil la possédait. Ainsi, depuis six mois elle cherchait inutilement du travail. Or, l’argent venait à elle aujourd’hui, après tant de vains efforts, de ce seul chef qu’elle renonçait enfin à tout labeur, à toute vergogne et à toute pudeur. Quelle leçon ! Ses pas méditatifs la conduisirent vers la place Clichy. Un jeune homme très élégant l’accosta soudain :
— Mademoiselle, voulez-vous que je vous accompagne ?
Louise répondit froidement, se sentant assurée du lendemain :
— C’est cent francs !
Il les tira de sa poche avec un air amusé.
— Voilà ! Mais je vous garde jusqu’à six heures ce soir.
— Oui, si c’est pour me promener, mais pour l’intimité ce sera deux cents de plus.
— Ça va ! Toutefois à ce prix je fais de vous ce que je veux?
— Non, c’est l’intimité. Je me déshabille et vous me regardez comme la Vénus de Milo.
— Mais alors, pour toucher ?
— Dix louis de plus.
— Et si je veux que vous me le rendiez ?
— Dix louis encore.
— On peut prendre un abonnement pour la semaine ?
— Bien entendu, mais payable d’avance. C’est quinze cents francs.
— Je m’abonne. Vous êtes une femme comme je n’en ai jamais rencontré. Vous m’avez épaté, et je vous prie de croire que je n’ai pas l’épatement facile.
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Elle décida cela un matin. La veille avait été un jour exécrable. On était en automne, une mélancolie pesait sur Paris et des cohortes d’étrangers arrêtaient toutes les femmes dans les rues, pour leur proposer généralement des pratiques contre nature. Louise avait toujours refusé, mais la faim décide à bien des actes, et elle avait faim. Retourner à Bescé était devenu impossible : autant réveiller un mort. Elle ne reverrait le château de Bescé que si la richesse lui revenait un jour.
Hélas ! quel moyen de supposer que fortune et puissance pussent jamais venir à cette jeune fille triste et malheureuse ? Depuis des jours elle mangeait mal, dormait mal, et la résistance aux passions dont le feu l’entourait sans cesse avait fini par l’épuiser. Un matin la décision fut prise : Je vais me vendre.

Louise habitait alors un hôtel borgne, avenue de Clichy. Elle avait vendu presque tous les objets acquis jadis, lorsqu’elle croyait ses dix mille francs inépuisables. Mais il lui restait une valise de cuir qui la faisait encore respecter, et deux toilettes élégantes, avec les éléments d’une tenue propre à tenter les hommes. Elle s’habilla donc au mieux et sortit. Depuis cinq jours elle n’avait fait que trois repas. Depuis dix jours, elle n’avait pas trouvé même une heure de travail, pour le plus minime salaire.
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Louise de Bescé rêvait. Elle se complut à placer, devant le spectacle qui, en ce moment, emplissait ses rétines, des personnages de romans favoris. Julien Sorel, raide et hautain, passa devant ses yeux. Puis Mathilde de la Mole, emplie d’un rêve orgueilleux et romantique devant le cadavre décapité de son amant. Elle se crut ensuite Aimée de Coigny, à la prison Saint-Lazare, regardant, le 6 Thermidor, André Chénier partir pour la guillotine. Elle fut encore Madame de Cerizy, accourant pour sauver Lucien de Rubempré emprisonné… et qui venait de se pendre…
Ah ! donner sa vie, sa beauté et son amour à un homme supérieur et vaincu… On sait bien que la vie est courte. Mourir aujourd’hui ou dans quelques années, peu vous chaut ! Mais emplir sa jeunesse d’un délire dont, après vous, les hommes de-meurent émerveillés !… Tracer, au-dessus des existences médiocres du vulgaire, un trait de feu qui longtemps éblouisse !…
Mais surtout… surtout, ne point vivre uniquement en fille du marquis de Bescé, soumise par les devoirs du nom à des disciplines puériles et pourtant accablantes. Vivre en femme libre… vivre son propre destin… Un frisson agita la frêle adolescente emplie d’imaginations ardentes et frénétiques.
Elle eut tout voulu faire, et le pire surtout… Elle n’était d’ailleurs pas certaine de savoir exactement ce qu’est l’amour.
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De la terrasse, on voyait la Loire onduler lourdement sur son lit de sable roux. Ceint de peupliers, entre ses rives sur-plombantes, le large fleuve menait son onde liquoreuse vers la mer. Le soir chut. Au couchant, le soleil se perdait parmi des buées mordorées. Dans le silence frémissant, empli de vols d’oiseaux, une cloche lointaine sonna le triple appel de l’angélus.
Louise de Bescé, mince et blanche silhouette indolente, s’approcha de la balustrade aux meneaux gothiques. Le lieu dominait le chemin et offrait sur les lointaines perspectives une sorte d’enfoncée aux lignes souples. La jeune fille aimait à méditer devant le crépuscule, grand drame quotidien, qui, depuis tant de siècles, angoisse les humains et semble leur rappeler la fin certaine de toute vie ici-bas.
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Tout Paris parlait, deux mois durant, du Prix Lacombyne. Les journaux publiaient les portraits des candidats, pour quelques-uns, d'après de très exactes fiches anthropométriques. Quant aux juges, ils acquéraient une célébrité du meilleur aloi.
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Acculé dans la chambre obscure, je frissonne et sens une brusque sueur mouiller mes tempes.
- C’est May.
La voix reprend.
- Rubbia… Viens…
Rubbia se tait.
Ecumant, je saute encore à la fenêtre, armé cette fois du poignard. Un homme arrive juste à ma hauteur. Il tire, et me manque ; je lui porte un formidable coup de stylet. Je sens l’acier pénétrer dans sa chair, et je recule sans laisser l’arme. Le corps s’affaisse lourdement. Je l’entends choir sur la terre.
- Rubbia… Rubbia…
May jette dans la nuit un appel de chatte en folie. Les deux syllabes taraudent le silence et s’en vont comme des êtres, je les sens frôler mon cerveau fou.
- Rubbia… Rubbia…
Je grince des dents et je retourne à la fenêtre pour injurier cette femelle miaulante. Un coup de revolver me chasse une fois de plus et j’ai vu qu’un autre homme montait à l’échelle, courageusement.
- Rubbia… Viens !
Alors, un corps presque nu s’accroche au mien, un corps semblable à un tentacule de poulpe, qui se dérobe à la défense et pourtant l’annule, une sorte de force insaisissable qui m’immobilise à-demi.
C’est Rubbia.
Ah ! ça, je suis en plein cauchemar.
J’éloigne cette forme, elle revient, nerveuse et acharnée.
De sa bouche sort un cri farouche :
- May… Viens, je le tiens !
Je veux écarter cette démente, mais son énergie calculée de félin domine mes réflexes troublés, et dirais-je enfin que j’hésite encore à le meurtrir.
Je dis :
- Rubbia, laisse-moi, tu es folle, laisse… laisse…
Je la traîne après moi dans le noir sans pouvoir m’en débarrasser. Cependant, du jardin monte un cri délirant, une sorte d’hosanna :
- Oui… Oui…
Et, à la fenêtre, une voix d’homme demande :
- Cette fois, il est bien à nous.
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Cette indifférence aux contingences, cette sorte de certitude de se trouver hors les atteintes du malheur voisin, sont le fruit d’une éducation millénaire, qui a détruit dans la femme le sens de la responsabilité sous lequel je pliais à Paris pendant la traque. Il faut avouer d’ailleurs que les civilisations modernes favorisent beaucoup les êtres qui ne veulent jamais calculer et dont l’existence se projette de jour en jour, sans aucun principe d’organisation intérieure. Il y a comme cela, à Paris, des centaines de milliers d’humains qui se lèvent le matin sans un sou, sans gîte et sans espoir apparent. Et quand le soir arrive, ils ont bu et mangé, ils trouvent un lit pour s’étendre, mais n’ont rien de plus, et devront recommencer le lendemain. J’ai remarqué là-dessus que les hommes soumis à ce type d’existence sont toujours des loques ou des vaincus, mais les femmes y restent généralement bien armées et se tirent à l’occasion sans accrocs de leur vase, où il semblerait qu’elles dussent rester ensevelies. Ainsi, Rubbia, femme supérieure à tant d’égards, et si réellement que je n’ai jamais vu la limite de sa raison, de son savoir et de son goût, Rubbia n’en gardait pas moins cette âme nuageuse, indifférente au futur, emplie du seule présent et purement passive, qui caractérise tant de petites prostituées du trottoir parisien.
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Enfin, j’avais fini par convaincre à demi cet Eldyx, qui s’était trouvé fort déçu par Théopipe. Mais il fallait cinquante mille francs et le drille regimbait. Le chantage, tout comme la terre à blé, ne rendait plus selon les statistiques. Quant à la publicité, elle tendait à devenir exclusivement lupanaresque. Or, Eldyx avait des scrupules. Moraux d’abord, puis autres, parce qu’il lui répugnait, ayant des intérêts dans une maison de tolérance, de se ruiner en prônant dans son canard la concurrence des maisons de rendez-vous. Malgré les tiraillements, je pensai bien vaincre mon homme et ce jour-là je me rendais chez lui d’un pas allègre, avec des arguments fourbis à neuf.
L’Emporium se trouve boulevard Haussmann. À droite et à gauche on édifie des gratte ciel, au moins de petit module, mais enfin assez confortables, puisque la municipalité a autorisé d’atteindre le douzième étage.
Or, j’arrivais d’un pas tranquille aux palissades qui s’étendent jusqu’aux trottoirs et venait de descendre sur le pavé de bois quand derrière moi plusieurs autos à la file arrivèrent.
Je remontai par une porte sur la partie réservée aux maçons, pour éviter les carrosses qui me faisaient souvenir du coup de la rue de Boudreau. Alors, au-dessus de la tête j’entendis une sorte d’ébranlement et je fis aussitôt un bond de côté, sans savoir pourquoi et avant d’avoir réfléchi.
Au même moment, une énorme pierre, pesant bien dans les cent kilos, tombe à ma gauche et d’enfonce profondément dans les gravats en faisant une poussière énorme et ébranlant le sol.
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J’arrêtai le chauffeur et lui dis de nous ramener par les boulevards extérieurs.
- Voulez-vous venir dans un café, dans une pâtisserie ?
Elle prit un air mutin et affirmatif.
- Non… À Suburre.
J’eus un sourire amusé. Diable, cette enfant connaissait Suburre, le nouveau restaurant de nuit dont les hardiesses faisaient tant de bruit… Me serais-je trompé comme un naïf en la croyant chaste ?
Nous fûmes à Suburre trois minutes plus tard. Cet établissement occupait trois étages d’un vaste immeuble nouvellement bâti. On y pratiquait la débauche américaine, coûteuse et compliquée, sans regarder à violer aucune règle morale, aucun savoir-vivre et aucune mœurs. J’y avais jadis rencontré lord Harlot of Whorely, ancien ministre des Affaires étrangères de son pays qui, abominablement saoul, m’avait fait des déclarations extraordinaires, à cause desquelles, lorsque je les eus publiées, le ministre français manqua d’attraper la jaunisse.
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