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Citations de Revue des Deux mondes (17)


L'assimilation du député d'Arras à la terreur n'est pas nouvelle. Elle a débuté dès sa mort. Par stratégie. La terreur avait été un processus collectif émanant du Comité de salut public soutenu par la Convention et appliquée par les envoyés en mission. Ainsi au 10 Thermidor, un constat âpre et implacable s'impose : si faute il y a eu, elle est commune.
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En quelques lignes, tout est donné-le contexte social et économique, l'atmosphère d'activité et d'ennui- avec une concentration et une économie de moyens à faire se suicider d'envie tous les journalistes.

"La tragédie à l'oeuvre" Frédéric Verger.
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La justice, c'est comme la Sainte Vierge, si on la voit pas de temps en temps, le doute s'installe.
Michel Audiard
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Mesurera-t-on un jour l'insondable tristesse des rois ? .La monarchie britannique est un moyen terme entre le terrain de cricket et la concession à perpétuité. Chaque génération apporte ses jeunes princes, voués par la naissance aux ogives de Balmoral et aux Noëls caritatifs avec bûches et punch au rhum caraïbe. Quand la folle Albion hurlait dans les stades de la Beatlemania, le jeune Charles contemplait des rangées de bonnets à poils sous l'égide couperosée du Premier ministre Harold Wilson.
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Ayant accompli ses devoirs conceptionnels sinon conceptuels, elle entra dans un tunnel de cafard armorisé. Les épisodes en ont été ressassés : une révolte couturière, une mine constamment contrite, des teufs avec Elton John et George Michael, des promenades pasteurisées dans des champs de mines antipersonnel - elle en avait l'habitude -, quelques écuyers empressés, une anorexie récurrente, des révélations distillées obliquement à son biographe Andrew Morton puis frontalement au journaliste Martin Bashir. C'est là que la malheureuse se hissa jusqu'à la grande petitesse d'une époque alors commençante : celle de la plainte ostensible, du sanglot ravalé, de la mondialisation du chagrin.
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Et Goethe avait raison. Trois lignes ajustées bout à bout vous donneront mieux l’idée d’un triangle que les descriptions les plus minutieuses. Le mérite du dessin est de parler aux yeux là où la langue fait défaut. Le jour où les éléments du dessin seraient entre les mains de tous, ce jour-là, un nouvel outil serait donné aux hommes, et un grand service aurait été rendu.

[Ch. d’Henriet, L’Enseignement populaire des arts du dessin en Angleterre et France, première partie (p. 212)]
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La renommée de Jane Austen, qui demeure à ce jour l’un des auteurs classiques les plus lus du monde anglophone, n’est pas sans présenter quelques paradoxes. Elle repose sur l’attrait, pour le grand public, des costumes, des rituels et des belles demeures d’une époque (celle de la Régence, au début du XIXeme siècle) où se concentrerait une certaine anglicité intemporelle ; mais elle tient aussi à l’affection que voue ce même public à des héroïnes parfois frondeuses, voire proto-féministes, qui – telle Elizabeth Bennet dans Orgueil et préjugés, la plus célèbre d’entre elles – n’hésitent pas à affirmer leur indépendance contre les conventions de leur temps.
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Georges Bataille


Rêve

Dans la rue devant la maison que nous habitions à Reims. Je pars en bicyclette. rue pavée et rails de tramways. très embêtant pour la bicyclette. rue pavée on ne sait où aller à droite ou à gauche. multiplication des rails de tramways. Je frôle un tramway mais il n'y a pas d'accident. Je voudrais arriver à l'endroit où après un tournant il y a une route lisse mais désormais il est sans doute trop tard et l'admirable route lisse sur laquelle on va puis redescend avec la vitesse acquise [est] maintenant pavée. En effet lorsque je tourne la route n'est plus comme autrefois on la refait mais pour la refaire on l'a transformée en une immense tranchée de laquelle sortent de très forts _|¯|_ (1). J'aperçois ces forts soutiens mais de plus en plus je les vois sous formes précaires d'abord qu'ils sont formés avec des carcasses de tonneau aux bois disjoints dans des cercles qu'il faudra remplir de terre puis de plus en plus les tonneaux disjoints à ériger (2). On procède comme il suit des ouvriers cavistes extrêmement virils et brutaux et même [affreux noirs] arrivent pour dresser le long et mince tonneau branlant. À ce moment une nuit atroce se fait : je circule sous la forme d'un gentleman américain. Il est nécessaire pour ériger le tonneau de tirer sur de grosses cordes noires de suie auxquelles on suspend des animaux tels que d'énormes rats atroces par la queue mais qui menacent de mordre, mais il faut les tuer. Les ouvriers cavistes sont avec un grand plaisir en contact avec ces immondices qu'ils accrochent avec joie mais le visiteur américain au complet risque de se tacher et d'être mordu et il n'est pas peu dégoûté et même effrayé. Cependant il se maintient avec peine les poissons visqueux et sanglants ou rats morts mais menaçants à hauteur de sa figure.
L'association s'est faite ainsi.
Horribles rats et toutes mes terreurs de l'enfance. La cave où l'on descend avec une chandelle.
Terreur des araignées.
Et puis tout à coup je me souviens d'être descendu à la cave avec mon père, une chandelle à la main. Rêve de l'ours avec un chandelier.
Les terreurs de l'enfance araignées etc. liées au souvenir d'être déculotté sur les genoux de mon père.
Sorte d'ambivalence entre le plus horrible et le plus magnifique.

Je le vois avec un sourire fielleux et aveugle étendre des mains obscènes sur moi. Ce souvenir me paraît le plus terrible de tous. Un jour où à un retour de vacances je le retrouve me manifestant la même affection.

À mon réveil j'associe l'horreur des rats au souvenir de mon père me flanquant une correction sous la forme d'un crapaud sanglant dans lequel un vautour (mon père) plonge le bec. J'ai les fesses nues et le ventre en sang. Souvenir très aveuglant comme le soleil vu à travers les yeux fermés en rouge. Mon père lui-même, j'imagine qu'aveugle, il voie aussi le soleil en rouge aveuglant. Parallèlement à ce souvenir mon père assis.

Ça me fait l'effet de me rappeler que mon père étant jeune aurait voulu se livrer à quelque chose sur moi d'atroce avec plaisir.

J'ai comme trois ans les jambes nues sur les genoux de mon père et le sexe en sang comme du soleil.

Ceci pour jouer au cerceau.
Mon père me gifle et je vois le soleil.
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Alors oui, contrairement à ce que bien des commentateurs pensent, je suis convaincu que les romans de Houellebecq sont la plus belle invitation au sursaut et à la renaissance. Il les rend possibles et il est même convaincu que la France peut les rendre possibles, parce que, comme il l’a très bien compris, aucun autre pays européen n’est à ce point hanté par le thème du déclin et que ce simple savoir, cette simple lucidité peuvent tout rendre possible. Là où tous les autres se sont résignés, la France continue à chercher, c’est donc qu’elle n’a pas courbé l’échine, c’est donc qu’elle est vivante, c’est donc que toutes les énergies sont encore là, c’est donc que les braises ne demandent qu’à renaître, poussées aujourd’hui par quelques intellectuels courageux, par un écrivain de génie et demain, j’en suis sûr, par des politiques qui comprendront aussi que la soumission n’est pas le chemin. On ne renonce pas. Jamais. Tout peut être perdu, mais pas l’espoir, ultime réflexe de survie.

MICHEL HOUELLEBECQ, NOTRE DERNIER ROMANTIQUE › Laurent Wauquiez
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Revue des Deux Mondes — Si les jésuites ont échoué, ce n’est pas le cas des évangélistes, qui progressent aujourd’hui de manière fulgurante en Chine. Comment l’expliquez-vous ?

Philippe Sollers — Je crois que c’est un phénomène lié à la mondialisation, c’est-à-dire à l’expansion du capitalisme planétaire. C’est à mes yeux une forme d’extension de la technique et une progression américaine puisque la planète s’américanise. Mais les Chinois en ont vu d’autres... La philosophie occidentale avait déjà pénétré la Chine sous sa forme la plus toxique qui soit : celle du marxisme et du léninisme. Les Chinois, qu’est ce qu’ils font d’habitude ? Et bien ils empruntent ce qu’on leur apporte et s’y intéressent sous l’angle technique.

François Jullien — Concernant les évangélistes, je crois qu’il ne faut pas tomber dans le piège. Les Chinois sont en effet intéressés par tout ce qui est « recette ». Pourquoi pas de cet ordre-là ? Est-ce pour autant une conversion à la foi, au sens où nous l’entendons en Occident. Je n’en suis pas sûr. Si la civilisation chinoise a connu, au IIe millénaire avant notre ère, l’idée d’un Dieu régnant sur le monde humain et auquel on sacrifie, elle a doublé cette notion de « Seigneur d’en haut » par celle de Ciel. Et ceci a progressivement signifié autre chose, de l’ordre de l’alternance du jour et de la nuit ou des saisons. En sinologie, on appelle cela « Ciel-Nature ». De fait globalement, la pensée chinoise n’a pas travaillé avec Dieu. Cela ne leur parlait pas. Les Chinois ont cherché à rendre compte du réel en termes de processus, de voie, de tao, plutôt qu’en termes de transcendance. C’est la viabilité des choses, leur relation, leur communication qui les a intéressés, plutôt que leur sens ou leur finalité. Tout ce qui fait que le monde ne cesse de se renouveler sans tarir, sans s’épuiser.

Revue des Deux Mondes — La Chine peut-elle emprunter ses techniques à la modernité occidentale sans s’occidentaliser spirituellement ?

François Jullien — Il y a une formule de Mao qui disait « marcher sur les deux jambes ». Ils peuvent avancer une jambe, la jambe occidentale par-devant, et, en même temps garder une jambe par-derrière, qui est prise dans la tradition chinoise. Avec deux jambes on marche mieux... Je crois donc qu’il est urgent que nous dépassions un certain fondamentalisme occidental, essentiellement américain, qui confond universel et uniforme. On évoquait une première rencontre ratée avec l’Europe, attention de ne pas rééditer cet échec. La Chine a été colonisée par une culture européenne liée à la science, c’est-à-dire à un principe de modélisation mathématique et à l’idée du progrès. Il faut voir quel trauma cela a été pour eux ! Ils ont voulu prendre leur revanche et c’est ce qu’ils font aujourd’hui. Ils ont dû emprunter des catégories qui se présentaient comme universelles pour rattraper leur retard économique et scientifique. Est-ce pour autant qu’ils adhèrent aux notions véhiculées par la culture européenne ? Je n’en suis pas sûr. Ce qui est certain, c’est que si nous ne déminons pas ce quiproquo nous risquons de voir la Chine valoriser ses notions culturelles par nationalisme. On dénonce cette montée des valeurs asiatiques en Extrême-Orient, mais on ne voit pas que celle-ci est liée au fait qu’un horizon d’intelligibilité commun qui prenne en compte la fécondité de la pensée chinoise n’apas été élaboré. Tant qu’on considérera que l’universel est donné d’emblée et que l’Europe le possède par principe, on fait fausse route. L’universel est un horizon, ce n’est pas un acquis. En amont de cet universel à construire, il y a un commun de l’intelligible. On peut comprendre le mode de pensée des Chinois sans le rabattre sur le nôtre. C’est une chance de pouvoir circuler entre les intelligibilités diverses. Nous devons éviter l’universalisme facile et le relativisme paresseux. D’un côté nous avons cet humanisme mou où l’on pense que les mots ont le même sens dans toutes langues, de l’autre le culturalisme auquel on a voulu me rattacher où l’on enferme une civilisation dans une identité close. Si j’étais culturaliste je n’aurais pas fait ce travail depuis vingt ans !

Revue des Deux Mondes — Certains, je pense au sinologue Jean-Louis Domenach, contestent votre démarche au nom de l’évidence de l’universalisme démocratique. Si la Chine veut adopter la démocratie, n’est-elle pas obligée d’en passer par l’idée d’individu tel que l’a conçu l’Occident ?

François Jullien — L’invention de la démocratie est liée à une région du monde particulière : celle de la Grèce. On voit bien que cela relève d’une histoire singulière de la pensée. Occulter cela relève d’un double déni : celui de la pensée chinoise et de la pensée européenne. Passer par la Chine a aussi cette fonction de nous faire redécouvrir ce que l’on imagine être les « banalités » de la pensée européenne. Venant de Chine et relisant Platon, je vois mieux ce que Platon a eu de génial. La démocratie, ce n’est pas seulement le droit de vote, c’est aussi le droit à la parole, l’affrontement des points de vue dans la Cité, la géométrisation, etc. Ou encore la figure de l’orateur, qui n’a pas d’existence en Chine. Le standard de l’uniformisme de la mondialisation n’est pas l’universel, mais sa perversion ! Sur cette question de la démocratie, j’ai été mis en cause et je voudrais m’expliquer. Du côté chinois, qu’est-ce qu’on a ? Une idéologie du prince puisque la Chine n’a jamais pensé d’autre forme de politique que la monarchie. Elle a pensé le pouvoir, l’obéissance, l’influence et les rouages de la bureaucratie. Ce que les Chinois ont appelé « démocratie » à l’époque moderne, c’est un rapport régulé entre le prince et le peuple. Le prince influence le peuple quand il est bon, le peuple corrige le prince quand il est mauvais. C’est une régulation entre le haut et le bas. Les Chinois revendiquent souvent la notion de démocratie en disant : « Nous aussi on met le peuple à la base. » Simplement ils ne le font pas selon les institutions, mais obéissent à des rites. La force de l’Occident et des Grecs a été de penser des institutions. La question qui se pose aujourd’hui est donc de savoir si l’Occident est assez intelligent pour prendre conscience de son histoire singulière et en même temps de reconsidérer les universalisant possibles. C’est aux intellectuels de faire ce travail en ayant un pied de chaque côté. Quand vous allez en Chine, ce dont vous vous rendez compte, c’est à quel point vous ignorez votre propre culture ! On redécouvre les Grecs autrement quand on les lit du dehors.

Philippe Sollers — Le Traité de l’efficacité de François Jullien s’achève par une constatation de ce qu’on pourrait tirer de la Chine : à savoir redécouvrir la Grèce. Voilà ce qu’il faut répondre aux gens qui bombardent leurs clichés sur la réalité chinoise. On les interrogerait eux-mêmes sur ce qu’est la démocratie et d’où elle vient — Marcel Gauchet vient d’écrire deux livres à ce sujet [14] —, on aurait vite un aveu d’ignorance. Or cette ignorance galopante envahit l’Occident puisque nous avons à faire à un illettrisme mondialisable dont les États-Unis d’Amérique offrent une version effarante. Quant aux procès que l’on fait à François Jullien, ils sont l’expression d’une inquiétude considérable à être dérangé dans ce nouvel évangile mondial. En somme ce que nous avons à faire, ce n’est pas du tout de dénigrer la philosophie occidentale et la métaphysique, bien au contraire, mais à nous redécouvrir d’une façon nouvelle. Ne pas voir, concernant la Chine, que nous sommes en présence d’une civilisation fondamentale qui ne demande d’ailleurs qu’à revenir à elle-même, puisqu’il y a en Chine aujourd’hui même de nouvelles traductions et de nouveaux commentaires de Lao-Tseu et de Zhuangzi, c’est ne pas vouloir comprendre qu’il peut y avoir une ruse du temps qui fait que les Chinois, tout en s’occidentalisant à outrance, vont rester chinois. C’est donc à nous de redevenir nous-mêmes en devenant chinois...
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Revue des Deux Mondes — François Jullien, vous êtes allé en Chine non pour oublier la Grèce mais pour la redécouvrir autrement, comme de l’extérieur. Ce n’est pas la démarche à laquelle nous ont habitués ceux qui sont allés vers l’Orient pour fuir leur mal-être en Occident. N’est-ce pas ce qui rend votre pensée déroutante ?

François Jullien — J’ai souvent présenté mon travail dans un mouvement de détour par la Chine et de retour sur l’Europe. Détour par la Chine pour éprouver ce que peut être le dépaysement de la pensée, ce qui arrive quand celle-ci sort de sa tradition philosophique et même de la langue qui l’a portée. Retour sur l’Europe pour faire apparaître les implicites, les choix enfouis que la tradition européenne a véhiculés comme des évidences et qui, parce qu’ils ne vont pas de soi, sont à réinterroger. Est-ce que mon travail est déroutant ? Moi je trouve la démarche plutôt logique... Ce qui m’étonne, c’est qu’elle n’ait pas été plus amplement engagée parce que je crois que c’est cela que nous avons à faire aujourd’hui : nous devons remettre la Raison en chantier. Nous avons la chance de bénéficier de ce cas d’extériorité de la culture chinoise avec laquelle nous n’avons pas communiqué historiquement pendant très longtemps, mais qui s’est développée d’une façon aussi importante que notre culture européenne. Je crois que c’est une chance pour la pensée. Nous avons tout à gagner à passer par cette extériorité que représente la Chine pour reconsidérer les partis pris de la philosophie et donc pour relancer celle-ci.

Philippe Sollers — Les livres majeurs de François Jullien (le Détour et l’Accès, Figures de l’immanence, Un sage est sans idée, Traité de l’efficacité...) recoupent depuis le début mes propres interrogations sur la Chine, qui a d’abord été pour moi un énorme continent poétique. J’ai découvert la Chine chez des écrivains comme Claudel, qui a passé quinze ans là-bas, dans le théâtre de Brecht, chez Victor Segalen et bien sûr chez Ezra Pound [8]. Au sujet de celui-ci je me suis demandé pourquoi, tout à coup, un poète américain avait décidé de s’intéresser aux idéogrammes chinois. Je crois que le fait qu’en Chine la séparation entre la pensée et le corps, la nature et l’esthétique, la poésie et la philosophie n’ait pas été instituée, comme en Occident, m’a très tôt intrigué. Il me semble qu’à une époque, la nôtre, où la philosophie occidentale est en train, comme le dit François Jullien, de s’enliser, cela devrait nous passionner. Comme l’a mis en évidence Heidegger, la philosophie grecque ce n’est pas seulement Platon et Aristote ; c’est aussi la grande découverte de ce qu’on appelle, un peu bêtement, les présocratiques. Une forme de pensée qui n’est pas sans rappeler certains aspects de la pensée chinoise. Par exemple à propos de l’eau chez Héraclite, François Jullien fait le lien entre le Grec et Confucius. C’est aussi ce genre de lien que j’essaie d’établir dans Guerres secrètes, livre qui parle à la fois d’Homère, d’Euripide et des stratèges chinois. Quant aux philosophes français, je ne m’attends de leur part à aucune ouverture par rapport à la pensée chinoise. Ils démontreront un intérêt de curiosité, tout au plus, parce que, pour aller là où François Jullien est allé, il faut se remettre en question soi-même. François Jullien prêche dans un merveilleux désert en cours d’effondrement...

François Jullien — Je voudrais éviter un malentendu concernant ma démarche. La philosophie est pour moi moins un domaine qu’un outil. Il me semble que la rencontre de la Chine nous conduit à « décatégoriser » nos manières de penser, à ne plus rester dans les notions de la philosophie européenne comme étant d’emblée universelles. Les notions qui nous ont servi à penser doivent pouvoir être mises à l’épreuve de cette rencontre avec l’extériorité chinoise. Celle-ci constitue-t-elle pour autant une « altérité » à la pensée européenne ? C’est ce qui fait débat. Je crois que l’altérité se construit, alors que l’extériorité se constate. Il y a un dehors de la Chine, dehors de la langue, dehors de l’Histoire. Mais le constater ne suffit pas. Il faut construire une figure de l’altérité qui relève de la philosophie et pour cela remonter en deçà des partis pris, en amont de ce qu’on appelle le platonisme. De fait les présocratiques se redécouvrent tout autrement quand on les réaborde à partir du biais chinois...

Revue des Deux Mondes — Philippe Sollers affirme que les philosophes occidentaux sont passés à côté de la Chine. Pourtant les jésuites se sont intéressés à la Chine, ils s’étaient même sinisés...

François Jullien — L’Europe est allée deux fois en Chine. Une fois avec les missions religieuses et une seconde avec les canons de l’impérialisme. Si on revient à la première fois, il faut se rendre compte de ce qu’a été cet étonnement des missionnaires, portugais et espagnols, puis davantage français, puis davantage jésuites qui arrivent en Chine alors qu’ils avaient débarqué un peu plus tôt au Nouveau Monde, aux Amériques. Ils avaient trouvé là-bas un monde vide ou qu’ils ont vidé et qui ne leur a pas résisté. En Chine du Sud, c’est une autre affaire ; ils arrivent dans un monde plein dont ils doivent apprendre. Un monde très avancé qui a une écriture, un système impérial, une civilisation très développée et très ritualisée. Au XVIe siècle, Canton est plus grand que Paris... Ce qui étonne à l’époque. Et étonnera les grands intellectuels européens. Montaigne écrira dans les Essais que « ce qu’on apprend au royaume de la Chine est plus divers que nous le pensions ». Il y a aussi le fameux mot de Pascal dans les Pensées, « Moïse ou la Chine », qui est d’une force étonnante [9]. Puis ce sera Leibnitz [10], Montesquieu [11] et puis Voltaire [12] soulignant que Bossuet a pu faire son discours sur l’histoire universelle sans parler de la Chine ! Alors pourquoi cette rencontre manquée ? Les missionnaires étaient des gens intelligents et cultivés et ils étaient parfois partis en Chine pour la vie ! C’est inouï quand on y pense. Ils avaient compris qu’il y avait là-bas quelque chose à comprendre. Et puis il y a ceux qui étaient à Rome, et qui n’ont pas fait cet effort et sont restés dans leur routine mentale. Aujourd’hui nous risquons de reproduire la même erreur. Il y a une rencontre intellectuelle à faire, on la fait ou on ne la fait pas. On peut continuer à être dans le quiproquo comme on l’a été durant plusieurs siècles.

Philippe Sollers — La question mérite en effet d’être posée d’une rencontre qui aurait été possible, à ce moment-là, c’est-à-dire durant ce qu’on appelle bêtement la contre-Réforme et que j’appelle moi la révolution catholique, qui va se manifester par la splendeur esthétique de nouvelles formes qui surgissent à ce moment-là, en Italie, pays qui était très en avance sur le reste de l’Europe. Vous parliez d’altérité que les missionnaires ont rencontrée ; c’est là une question monumentale. La première chose que fera le grand jésuite missionnaire Ricci, qui a aujourd’hui sa tombe à Pékin, c’est d’apprendre le chinois. Il projettera le premier dictionnaire européen chinois, qui fait dans sa version longue une trentaine de kilos et qui est francophone ! Si je voulais le lire, trois vies n’y suffiraient pas. Vous n’auriez pas assez de cinquante vies pour savoir ce qui s’est pensé là [13] ! Comment ne pas sentir qu’on est confronté, avec la Chine, à une autre possibilité de pensée ? Pourquoi la rencontre qui aurait pu avoir lieu n’a pas eu lieu ? Parce que Rome n’a rien compris à ce qu’ont essayé de dire les jésuites.
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Revue des Deux mondes
Si l’on trouve cette histoire trop pauvre, il en est une autre, selon moi, encore plus curieuse, et pour laquelle les matériaux abondent c’est l’histoire des croyances, des institutions, des mœurs, et celle-ci est écrite sur toutes les pierres des monumens, sur tous les papyrus, sur toutes les caisses de momie, jusque sur les meubles et les ustensiles d’un usage journalier. D’après ce qu’on peut lire de ces inscriptions hiéroglyphiques, qui forment comme une littérature éparse sur les monumens, on peut dès à présent se faire une idée des croyances religieuses et morales, de l’organisation sociale et domestique des anciens Égyptiens ; on peut, sur ces objets importans, la religion, la société, la famille, l’industrie, compléter, modifier, et, sur beaucoup de points, corriger ce que les anciens nous ont appris, les anciens, si nouveaux par rapport à la vieille civilisation de l’Égypte, les anciens, qui trop souvent ont prêté leurs idées à un pays tardivement et toujours imparfaitement connu. Pour moi, je l’avoue, le plus grand intérêt qu’offrent les hiéroglyphes et les peintures qui les accompagnent, c’est de nous aider à percer au cœur de cette nation célèbre et mystérieuse que la Grèce, policée tant de siècles après elle, regardait comme son institutrice, et qui a pu agir aussi sur la Judée, cette autre maîtresse de l’humanité.

Quelle a été l’action de l’Égypte sur ces deux peuples, qui tiennent la plus grande place dans l’histoire de notre culture moderne, qui nous ont donné, l’un notre philosophie et nos arts, l’autre notre religion ? Quels ont été les rapports de l’Égypte avec la Phénicie, l’Assyrie, l’Inde ? Placée entre le monde asiatique et le monde grec, l’Égypte aurait-elle été soustraite aux influences de l’un, serait-elle demeurée sans action sur l’autre ? Il est difficile de l’admettre. Et alors quel a été son rôle ? D’où vient-elle ? Jusqu’où sont allées ses colonies et ses conquêtes ? Quelle place sa mythologie et ses arts tiennent-ils dans l’histoire de la mythologie et des arts de la Grèce ? Toutes ces grandes questions ne peuvent être résolues, si l’on ne connaît à fond l’Égypte elle-même.

Or, ce n’est pas dans les témoignages souvent suspects des anciens, ou dans les systèmes presque toujours trompeurs des modernes, qu’il faut la chercher. Il faut demander l’Égypte à ses propres monumens avant d’étudier ses rapports avec Babylone, Jérusalem, Argos ; il faut l’observer chez elle, dans les deux expressions vivantes qu’elle a laissées, les tableaux qui aident à comprendre les hiéroglyphes, et les hiéroglyphes qui achèvent de faire comprendre les tableaux.

Tout cet ordre de recherches a été le but principal de mes explorations, mais n’a pas été leur but unique. Il n’y a pas seulement des hiéroglyphes en Égypte ; ce pays offre des sujets d’observation et de méditation que ne peut entièrement négliger un voyageur, quel qu’il soit, s’il a des yeux pour voir, une mémoire pour se souvenir, et un peu d’imagination pour rêver. Qui pourrait être indifférent aux tableaux de cette étrange nature des bords du Nil, au spectacle de ce pays-fleuve auquel ne ressemble nul autre pays ? Qui ne serait ému en présence de ce peuple qui fit de si grandes choses et qui est réduit à une si extrême misère ? Qui visiterait Alexandrie, le Caire, les pyramides, Héliopolis, Thèbes, sans être assailli des plus imposans souvenirs et des plus variés ? Y a-t-il dans le monde un pays plus à part des autres pays et plus mêlé à leur histoire ? La Bible, Homère, la philosophie, les sciences, la Grèce, Rome, le christianisme, les hérésies, les moines, l’islamisme, les croisades, la révolution française, presque tout ce qu’il y a eu de grand dans le monde se rencontre sur le chemin de celui qui traverse cette contrée mémorable. Abraham, Sésostris, Moïse, Hélène, Agésilas, Alexandre, Pompée, César, Cléopâtre, Aristarque, Plotin, Pacome, Origène, Athanase, Saladin, saint Louis, Napoléon, quels noms ! quels contrastes ! La Grèce et l’Italie en présentent moins peut-être et de moins frappans. L’Égypte, qui éveille tous les grands souvenirs du passé, intéresse encore dans le présent et dans l’avenir : dans le présent, par l’agonie de son douloureux enfantement ; dans l’avenir, par les destinées que l’Europe lui prépare quand elle l’aura prise, ce qui ne peut tarder. Pays fait pour occuper éternellement le monde, l’Égypte apparaît à l’origine des traditions de la Judée et de la Grèce. Moïse en sort, Platon y court. Elle attire la pensée et le tombeau d’Alexandre, la piété de saint Louis et la fortune de Bonaparte. Et aujourd’hui, pendant que j’écris ces lignes, l’objet de l’empressement un peu exagéré de Paris et de Londres, c’est le fils de Méhémet-Ali.
Tel est le pays à travers lequel je demande au lecteur de me suivre, offrant d’être pour lui un cicérone peut-être assez bien renseigné par l’étude et l’observation. En lui communiquant jour par jour mes impressions personnelles dans toute leur spontanéité, je m’efforcerai toujours de lui fournir le moyen de les compléter, de les redresser même en les comparant avec les observations des autres voyageurs qui m’ont précédé dans ce pays, tant visité depuis Hérodote jusqu’à Champollion. Le tissu de cet ouvrage sera formé d’une double trame. On y trouvera ce que j’ai vu et senti sur place, et aussi le résultat des études que le spectacle des lieux m’a fait entreprendre et a pu féconder. Je voudrais que le voyage en Égypte dont je donne aujourd’hui l’ébauche fût un livre sur l’Égypte ; je voudrais que ce livre fût dans son ensemble au niveau des connaissances acquises ; je voudrais que, sur les sujets auxquels des études spéciales m’ont préparé, il pût aider aux progrès de la science et parfois les devancer un peu.

Paris, 1er août 1846.
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Revue des Deux mondes
Les travaux de Champollion ont montré le parti qu’on pouvait tirer de la lecture des noms de rois, comparés avec la liste que nous a laissée le prêtre égyptien Manéthon, pour rétablir la série chronologique des Pharaons. Depuis Champollion, beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire dans cet ordre de recherches, même après le savant et ingénieux ouvrage dans lequel M. Bunsen vient de donner pour la première fois une série des règnes de toutes les anciennes dynasties depuis Ménès. Des travaux importans sur ce vaste et difficile sujet sont près de paraître. On attend surtout avec impatience le Livre des Rois de M. Lepsius. L’abondance et la nouveauté des matériaux recueillis en Égypte et jusque dans la Haute-Nubie, la sagacité de l’auteur, prouvée par d’autres travaux, font espérer que la chronologie égyptienne, embrassée dans son ensemble, lui devra un véritable progrès.

L’étude des hiéroglyphes n’a donc pas été sans fruit pour l’histoire, comme on le répète encore un peu légèrement. La suite, la durée des règnes rapportées aux monumens qu’ils ont vu élever et aux grands événemens qu’ils ont vu accomplir, tels que la prépondérance de Thèbes ou de Memphis, l’union ou la division des diverses parties de l’Égypte, l’invasion des pasteurs, tout cela, c’est de l’histoire. Outre les noms des Pharaons, ceux de leurs épouses, de leurs fils, de leurs filles, les noms des peuples qu’ils ont soumis, des pays qu’ils ont conquis, c’est aussi de l’histoire.
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Revue des Deux mondes
Je devais commencer par cette profession de foi, car le principal objet du voyage qu’on va lire a été d’aller appliquer la méthode, et, s’il se pouvait, étendre la découverte de Champollion, d’aller étudier les principaux monumens de l’Égypte et de la Nubie à la lueur de ce flambeau éteint depuis quinze siècles qu’il a rallumé pour le monde. Avant lui, il était souvent impossible de connaître l’âge et la destination des monumens, les savans les plus respectables s’y trompaient. Si on n’accordait qu’une médiocre antiquité aux monumens élevés par Sésostris ou ses prédécesseurs, on reportait à l’époque la plus reculée le portique du temple de Dendéra, bâti sous Tibère ; c’est qu’on n’avait pas lu sur les premiers les noms des anciens Pharaons, sur le second les noms des empereurs. Les peintures et les bas-reliefs étaient mal interprétés, faute d’entendre l’inscription hiéroglyphique, souvent très claire, qui les explique : on prenait un triomphe pour un sacrifice, un dieu pour un prêtre, le Pyrée pour un homme ; mais, grace à la lecture des hiéroglyphes, si incomplète qu’elle soit encore, on sait quel est l’âge historique des monumens, à quelle divinité ils sont consacrés, de quel roi ils ont reçu les restes, car les monumens de l’Égypte sont à la fois des tableaux et des manuscrits ; ce sont des tableaux avec une légende qui énonce le sujet comme dans les peintures du moyen-âge, ce sont des manuscrits éclaircis par des figures comme les livres illustrés de nos jours. Avec ce double secours, jamais de doute possible sur la destination d’un monument. On peut dès aujourd’hui lire sans nulle chance d’erreur les noms des dieux et même les formules dédicatoires de leurs temples, les noms des rois, ceux des particuliers, les termes qui expriment les professions, les degrés de parenté ; on sait donc toujours à quelle divinité appartient le temple dans lequel on se trouve, quel roi l’a fait construire, souvent même en quelle année de son règne il a été élevé. Quand un édifice renferme des parties d’origine diverse, on sait à quelle époque elles se rapportent, quel souverain a construit ou réparé chacune d’elles. Tout cela est indiqué avec une clarté parfaite par des formules bien connues et faciles à comprendre ; si on pénètre dans les tombeaux des rois, des reines, des princes, des prêtres, des juges, des grands dignitaires du palais ou des chefs de l’armée, on sait toujours quels furent le nom et le rang du mort auquel on rend visite. Le défunt est représenté entouré de sa famille, qui lui offre ses hommages ; les noms, les professions, les rapports de parenté de tous les membres, souvent très nombreux, de cette famille, sont écrits à côté de chaque personnage ; les scènes de la vie ordinaire sont peintes ou sculptées sur les murs de ces innombrables demeures funèbres ; étude, gymnastique, fêtes, banquets, guerres, sacrifices, mort, funérailles, sont retracés fidèlement dans ces tableaux de mœurs, qui sont quelquefois des tableaux épiques. Toutes les conditions, tous les arts, tous les métiers, figurent dans cette vaste encyclopédie pittoresque, depuis le roi, le prêtre, le guerrier, jusqu’à l’agriculteur et à l’artisan. On voit dans l’exercice de leur art le peintre, le sculpteur, le musicien, le danseur, et dans l’exercice de leur industrie le tisserand, le cordonnier, le verrier ; on voit des vétérinaires soignant des bestiaux, des manœuvres traînant un colosse, des esclaves pétrissant la brique ainsi que les Israélites. Ces galeries funèbres de peinture sont en même temps des musées d’antiquités. Tous les ustensiles, les instrumens, les petits meubles relatifs aux diverses professions, aux divers besoins de la vie, existent en nature dans ce Pompeï colossal. Les bijoux, les parures, l’écritoire, la coudée, l’encensoir, jusqu’à des jouets d’enfant et des poupées, se trouvent dans les tombeaux comme pour éclairer l’étude par la comparaison des objets avec leur image ; le mort lui-même est peint sur les parois funèbres, sa statue assise dans une niche, et son portrait reproduit par de nombreuses figurines ; il y a plus, l’hôte de ces demeures sépulcrales, si l’avidité des marchands de cadavres ne l’a pas arraché à son repos séculaire, est là pour vous recevoir, conservé par un art savant avec ses cheveux, ses dents, ses ongles, sa chair ; tout est vivant, même la mort.

Vous avez vu se dérouler l’existence égyptienne tout entière. Maintenant dans les tombes, surtout dans les tombes royales, sur les parois des sarcophages, sur les caisses des momies, sur les papyrus ensevelis avec elles, une autre série de peintures plus considérables, plus variées, d’une variété, d’une richesse infinie, vont vous offrir l’histoire de l’ame après la mort, les épreuves qu’elle traverse, les jugemens qu’elle subit, toutes les aventures enfin de cette pérégrination à travers des régions inconnues, à travers les étangs de feu et les champs destinés aux ames heureuses, au milieu d’une foule innombrable de génies et de divinités funèbres. Ainsi la vie présente et la vie à venir, notre monde et l’autre, tout ce que les Égyptiens connaissaient de celui-ci et imaginaient de celui-là a été représenté mille fois par eux, et ces représentations subsistent. L’ancienne Égypte peut donc se retrouver dans ses ruines, nous parlant un double langage, complétant les représentations figurées par les inscriptions hiéroglyphiques, expliquant les inscriptions par le spectacle des objets qu’elles accompagnent, des scènes qu’elles traduisent. Lors même qu’on ne lit pas ces inscriptions, on sait en général à quoi se rapporte ce qu’on ne peut pas lire, on sait si ce qu’on a devant les yeux est une prière ou une dédicace, ou une commémoration historique ; on sait, de plus, à quel dieu s’adresse cette prière, quel roi a fait cette dédicace, de quel événement cette légende a conservé la mémoire. Enfin, si l’on ne sait pas tout ce que disent les hiéroglyphes, on sait, et c’est beaucoup, ce qu’ils ne disent pas. On ne leur demande plus les secrets merveilleux, les connaissances supérieures dont on croyait depuis deux mille ans qu’ils renfermaient le mystère ; il faut renoncer à y lire les oracles d’Hermès, comme le père Kircher, ou, comme on l’a fait de nos jours, les psaumes de David. Il n’y a, à vrai dire, que des inscriptions sur les monumens de l’Égypte : les unes religieuses, les autres historiques, les autres domestiques et privées ; mais ces inscriptions sont sans nombre, et quelques-unes, grace à leur étendue, peuvent passer pour des livres de religion ou des chapitres d’histoire. Nul n’ignore combien ont fourni de renseignemens précieux sur l’antiquité les inscriptions grecques et latines en général si courtes, et dont les sujets ne dépassent pas un cercle assez restreint ; que ne doit-on pas attendre de cette épigraphie colossale dont les pages et les volumes se déroulent sur les murs des palais et des temples, dans des proportions que sont loin d’atteindre les inscriptions tracées sur les murailles de Ninive ou les rochers de Bisitoun ? Les lacunes que présente l’explication, encore incomplète, des hiéroglyphes correspondent aux lacunes qu’offrent les textes mutilés des inscriptions grecques et latines. On peut deviner ce qui reste obscur dans les premières au moyen de ce qui est déjà compris, comme on restitue dans les secondes, avec le secours des lettres et des mots qui restent, les lettres et les mots effacés, et il y a entre les inscriptions hiéroglyphiques et les inscriptions grecques et latines cette différence à l’avantage des premières, que les lacunes qu’elles présentent peuvent être comblées avec le temps par les progrès de la science. Laissant de côté tous les textes dont le sens est douteux, et s’attachant à ceux dont le sens est certainement connu, on peut, en les rapprochant, en les comparant, les compléter, les éclairer les uns par les autres, et parvenir à en tirer quelques enseignemens sur le peuple extraordinaire qui a tracé ces lignes si long-temps muettes. En un mot, on peut dès aujourd’hui appliquer l’étude des hiéroglyphes à deux objets : à l’histoire des événemens et à l’histoire des idées, des mœurs de la société égyptienne.
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Revue des Deux mondes
J.-Jacques Ampère
Voyage et recherches en Égypte et en Nubie
Revue des Deux Mondes, période initiale, 1846-1848.

I. Départ et traversée 1 août 1846

J’avais vu l’Italie, la Grèce et une partie de l’Asie-Mineure ; je voulais voir l’Égypte. En me préparant à cette excursion nouvelle, j’ouvris la grammaire égyptienne de Champollion. J’avais entendu dire que Champollion était parvenu à lire les noms des Pharaons, des Ptolémées et des empereurs romains, gravés en caractères hiéroglyphiques sur les monumens de l’Égypte. Quelques personnes ajoutaient qu’il avait fait plus qu’avec le secours du cophte, débris de l’ancienne langue égyptienne, il avait pu retrouver des mots et déchiffrer des phrases ; mais je voyais régner à cet égard une grande défiance parmi les savans, et une incrédulité générale parmi les gens du monde ; peu d’entre les premiers se risquaient à dire que la découverte de Champollion dépassât la lecture des noms propres ; cela même était contesté par plusieurs. Un certain public, ce public qui tour à tour admet sans preuve ce qui est absurde et rejette sans motif ce qui est certain, satisfait dans les deux cas, parce qu’il se donne le plaisir de trancher les questions en s’épargnant la peine de les examiner ; ce public qui croit aux Osages, quand ils viennent de Saint-Malo, mais qui ne croit pas aux Chinois, quand ils viennent de Pékin, qui est fermement convaincu de l’existence de Pharamond, et n’est pas bien sûr que le latin et l’allemand puissent être de la même famille que le sanscrit ; ce public gobe-mouche quand il faut douter, esprit fort quand il faut croire, hochait et hoche encore la tête au nom de Champollion, trouvant plus commode et plus court de nier sa découverte que d’ouvrir sa grammaire.

J’étais assez disposé à m’en rapporter aux timides négations des doctes et aux doutes assurés des ignorans, quand un bon génie me fit rencontrer cette admirable grammaire. A ma grande surprise, je vis un système de lecture et d’interprétation justifié par de nombreux exemples. De la multitude de ces exemples résulta pour moi et, je ne crains pas de le dire, résultera pour tout esprit droit et sans prévention, la conviction que le secret de l’écriture hiéroglyphique n’est plus à trouver, que la lecture de la plupart des mots écrits en hiéroglyphes est certaine, que le sens d’un assez grand nombre de ces mots est découvert, que les règles essentielles de la grammaire hiéroglyphique, analogues dans leur ensemble aux règles de la grammaire cophte, sont connues ; qu’à l’aide de ces mots dont le sens a été découvert, et de cette grammaire dont les règles sont connues, on peut lire, sinon tous les textes, sinon des textes très étendus, nul ne l’a fait jusqu’ici d’une manière satisfaisante, on peut lire, dis-je, des phrases, plusieurs phrases de suite, avec une entière certitude. Voilà où en est la science ; elle n’est ni en-deçà ni au-delà.

Cette affirmation ne sera, je m’assure, démentie par aucun de ceux qui se sont occupés sérieusement et sans idée préconçue des travaux de Champollion ; elle ne le sera en France ni par M. Lenormant, le digne compagnon de Champollion, dont il lui appartiendrait mieux qu’à personne de continuer l’œuvre parmi nous, ni par M. de Saulcy, dont les recherches sur le démotique ont fondé une nouvelle ère dans les études égyptiennes, et qui, dans cette Revue, a rendu un si éclatant hommage à la découverte de Champollion, ni par la sévère critique de M. Lettonne, ni par la vaste érudition de M. Raoul Rochelle. Elle ne le sera en Angleterre ni par M. Wilkinson ni par M. Birch ; elle ne le sera en Italie ni par M. Barucchi à Turin, ni par M. Migliarini à Florence, ni par le père Ungarelli [1] à Rome ; elle ne le sera pas en Allemagne par M. Lepsius, qui vient d’éprouver la méthode de Champollion par trois années d’études au milieu des monumens de l’Égypte ; elle ne le sera pas en Amérique par M. Gliddon, qui a passionné pour elle le public peu enthousiaste des États-Unis. Dans la mesure que j’ai indiquée, la lecture des hiéroglyphes est un fait acquis à la science, un fait qu’ont reconnu, parmi les illustres morts, de Sacy et Cuvier, qu’un des plus illustres vivans, M. Arago, a proclamé dans l’éloge du rival de Champollion. Tant pis pour qui ne se rangera pas avec ces hommes célèbres du côté de l’évidence et de la justice.
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Or Jane Austen, née en 1775, mourut en 1817, soit exactement vingt ans avant l'accession de Victoria au trône d'Angleterre. Victoria, d'ailleurs, n'était pas encore née à cette date-là et ce qu'on entend par victorianisme ne fut constitué qu'autour du milieu du XIXe siècle. A de nombreux égards, Austen appartient plus au XVIIIe siècle qu'au siècle suivant.
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