Quel plaisir, enfin, de pouvoir m’enfiler un bon pavé de 500 pages après avoir écrit mon mémoire de fin d’étude, me jeter corps et âme dans l’espace, m’imprégner de ses personnages, regarder défiler les nuages quand cela s’avérait complexe puis repartir à l’assaut des pages, comme les vagues tempétueuses de Bretagne. Je me fais l’idée d’être une conquérante alors que c’est Alien Earth qui m’a conquise tout comme Le Dieu dans l’ombre de la même autrice m’avait conquise. Réédition de ActuSF en 2020.
MON AVIS
Au début, comme dans Le Dieu dans l’ombre, j’ai eu un peu de mal à rentrer à l’intérieur de ce roman, à me situer, m’habituer aux personnages et à l’espèce de rêverie cotonneuse dans laquelle on est immédiatement plongés. On comprend très vite que l’Anilvaisseau est une créature vivante habitée par un Arthroplane (une autre créature vivante) et qu’ensemble ils peuvent parcourir l’espace, leur existence semblant être infinie. A leur bord, des humains à l’existence plus courte (environ 200 ans et des poussières) mais rallongée par des temps de transommeils pouvant osciller de deux semaines à trente ans selon les voyages. Réveillés de temps en temps par l’Arthroplane afin que leur corps ne tombe pas en morceau, ces derniers se contentent de cette vie étrange qui consiste à manger, boire et se doucher tous les trente six du mois puis rêver indéfiniment. Parce qu’ils rêvent. Ou se remémorent des choses. Les deux finissent de toute façon par se ressembler, Raef étant le plus à même de s’immerger totalement dans ces derniers afin de pouvoir « revivre » sa vie. Et s’il s’était débattue ? Et s’il avait protégé son ami ? Et si…
D’un autre côté nous avons Connie et John. Indéfinissables. Changeants. Inadaptés. En somme humains aussi mais de façon tout à fait différente de Raef. Ils ont le corps d’enfant, les oreilles et le nez énormes, ils sont petits, imberbes, informes donc aux yeux de l’humain des temps anciens, harmonieux selon les critères actuellement en vigueur. Parce que l’harmonie est très importante. C’est parce que les humains n’étaient pas en harmonie avec leur planète qu’ils l’ont tuée, qu’ils ont dû être sauvés par les Arthroplanes comme d’autres espèces avant eux, qu’on est obligé aujourd’hui de les modifier, d’inhiber leur croissance afin qu’ils retrouvent la place qu’il leur revient. C’est ce que réexpliquent tous les centres de Réadaptation aux humains inadaptés. Bien sûr s’ils restent inadaptés on peut ensuite les envoyer dans des mines… ou peut être les composter.
Et donc, dès le début, on sent en tant que lecteur, au plus profond de ses tripes, que quelque chose ne va pas. D’une part parce que la désharmonie fait aussi partie de l’humanité. D’autre part parce que ce qui semble tout beau tout rose semble aussi à la fois effrayant et glauque. Et ce qu’il y a d’intéressant dans ce roman c’est que ce cheminement est assez long. Parce que, qui ne rêve pas d’harmonie ? De se fondre en l’autre ? De faire partie d’un tout où une petite activité entraînerait un grand bénéfice ? Enfin bref, vous l’aurez compris les aventures de John, Connie, Raef et nos chers extraterrestres vont entraîner tout un tas de questions ecologico-philosophiques toutes plus intéressantes et profondes les unes que les autres. Et forcément c’est un peu lent. Forcément ça manque un peu d’action. Et pourtant…
Pourtant rajoutez un peu de la présence angoissante d’un Arthroplane, un être qui contrôle tout sur un vaisseau et sans lequel finalement…vous n’êtes rien. Qui sous prétexte de conversations amicales avec vous, vous étudie petit à petit, vous dissèque pour mieux comprendre comment vous fonctionnez. Qui lit votre littérature, qui regarde vos films et vidéos, qui s’abreuve petit à petit de tout ce qui compose l’humanité. Maintenant prenez un huis clos, un vaisseau, errant dans l’espace. Et encore au delà la possibilité qu’un groupuscule qui a tout de même besoin de vous, vous menace de vous réduire de nouveau à une harmonie étrange où finalement tous se ressemble et personne n’existe réellement… Vous sentez monter une petite appréhension ?
Et bien Alien Earth c’est exactement ça. C’est un roman qui, petit à petit, va passer d’une étude approfondie de l’être humain, à une angoissante prise de conscience. Qui va vous montrer le bon et le mauvais, l’angoissant et le fascinant, l’horrible et le merveilleux. Vous allez entendre parler du Magicien d’Oz, rêver de tarte à la crème jusqu’à en avoir la nausée, parler à une voix désincarnée, ressentir la douleur d’une créature qui semble plus esclave qu’autre chose. Et puis vous allez vous rebeller aussi. Sentir que la disharmonie est aussi quelque chose d’harmonieux en soi. Que la ressemblance ne vaut pas mieux que la différence.
Et puis il y a différentes voix dans ce roman. Des voix pleines d’espoir, d’autres pleines de rancœur. Des voix qui veulent croire qu’exister ce n’est pas seulement servir, c’est aussi penser, agir, vouloir, par soi-même et pour-soi même. Alien Earth c’est une responsabilisation de soi, de soi vis à vis de soi-même mais aussi vis à vis des autres. C’est un appel aux actes désintéressés et aux actes égoïstes, aux marchés donnant donnant, à la bienveillance aussi. A la prudence également. Prudence vis à vis des discours écologistes qui peuvent dissimuler d’autres choses plus sombres. Mais conscience de ce qui nous entoure, les yeux grands ouverts, sans chercher à les cacher derrière des faux semblants, des haussements d’épaule et des détournements de regards.
L’un dans l’autre j’ai beaucoup apprécié les personnages de ce roman. J’ai trouvé qu’ils avaient tous quelque chose à chérir et à montrer. Même Tug, qui pourtant se transforme en vrai salaud, a finalement quelque chose de presque touchant dans son incompréhension des autres. Alors qu’il veut désespérément les comprendre. Bien sûr mes deux personnages préférés restent l’Anile Evangéline (le vaisseau) et Raef. Les deux m’ont beaucoup émue dans leur approche de l’amitié, de ce qu’elle étant censé signifier. Le fait de croire. Le fait de pouvoir dire « j’ai un ami ». Et encore une fois, en amenant à sa table des personnages aussi singuliers, aussi différents les uns des autres, Megan Lindholm créé également un formidable message de tolérance.
C’est un roman qui, à l’instar, quelque part, du Alliances de Jean-Marc Ligny, cherche à nous faire prendre conscience de notre place à l’échelle de l’univers. De notre grande et toute petite place. Du fait que nous soyons humains. Avec nos forces. Nos faiblesses. Avec notre humanité ou ce qu’on appelle ainsi et que l’on partage avec beaucoup d’autres espèces quand bien même on peut y voir de l’instinct. Ce qui, au fond de nous, nous parfois pleurer, et rire ensemble.
EN RESUME
Alien Earth est un coup de cœur. Comment pourrait-il ne pas l’être ? C’est un roman qui, en le refermant, m’a fait prendre conscience un peu plus fort de ma propre humanité. La magie des écrivains n’aura de cesse de m’étonner. Alors bon il est presque minuit, je regarde le ciel et j’ai l’impression de voir des Aniles se propulser dans les étoiles, paisibles, je ne dis pas que ma santé mentale est tout à fait stable pour livrer une chronique entièrement subjective. Mais avouez tout de même… un roman comme ça, qui vous embarque dans un monde pour vous recracher 500 pages plus loin avec l’envie de vous promener pieds nus dans l’herbe…ça vaut le détour non ? Alors si en plus je vous dis que les personnages sont hyper intéressants, qu’on y parle tolérance, différence, harmonie et disharmonie, space op’ écologie, littérature et philosophie, que vous faut-il de plus ?
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