Roger Knobelspiess Confession d'un truand
Knob Roger
Mais je suis une chance pour ces journalistes, à travers moi ils peuvent regarder l'incarnation de la Justice de leur pays. Penser est proscrit chez les juges. Juger, c'est refuser de comprendre car si on comprenait, on ne pourrait plus juger. Cette pensée vient de Malraux. Voilà, messieurs, un supposé vol de huit cents francs égale à présent quinze années de réclusion. Châtiment délirant, justice à la Zola, à la Hugo. Jugé par qui ? Des jurés commerçants, les mêmes qui défendaient un des leurs : le brave notable assassin de mon frère tué pour un vol de transistors. Un sous-pauvre qui chaparde et se retrouve mort sur le trottoir avec cinq balles dans le dos tirées d'une fenêtre, comme quoi, la légitime défense... Lui, le notable, pas une simple petite heure de prison et comme il faut que les valeurs bourgeoises continuent de triompher, c'est le frère, Roger, bouc émissaire anonyme, qui paye l'addition. Verdict insensé, sans excuse possible. Il m'aura fallu attendre douze années pour refaire surface...
Les morsures de mes grilles, de mes fers, du cube de béton dans lequel je suis coulé à vif, une suprématie de l'hideux, démontrent l'injustifiable d'une société. Je suis le combat d'une écriture alarmiste, au coeur d'un monde où mon cri amplifié de quinze années de captivité demeure inaperçu aux oreilles des responsables qui me détiennent. Solitude de ma douleur, une complainte murmurante sur les murs de derrière la vie. Suis-je devenu le bon sauvage, suis-je le Lantier de Zola dont les mains s'obstinent à écarter les portes de l'enfer pour vous interpeller, vous extirper vos faces cachées, votre au-delà, votre outrehumanité, votre vérité de civilisation avec ce qu'elle maintient d'inqualifiable dans ses couches profondes ?...
Roger Knobelspiess.
La prison, jour par jour, heure par heure et nuit après nuit et jours, c'est l'anéantissement. C'est exister sans printemps, sans saison, sans fleur, l'absence des caresses, de la chaleur de l'amour que l'on se donne dans un lit, des mains qui se nouent au cœur du quotidien, c'est sans partage, sans le rire des enfants, sans les jeux, sans les larmes, sans les impératifs naturels lorsqu'on a besoin d'espace, besoin d'ouvrir une porte, une fenêtre, boire un bol d'air. C'est sans stimulation, sans appel des autres. Sans la vie... C'est exister sans ! Comme des rats.
« Il y en a qui se contentent de naître, à bon port, sous le soleil. Les exclus, les damnés, flamboient comme ils peuvent...»
Notre air est réalité d'évasion.
nous sommes des évadés de la mort...
Roger Knobelspiess
Ce retour balaye l'histoire, le passé, la vérité et je me sens fragile pour le partager avec eux? On dit : " C'est fini, n'y pense plus", mais j'y pense avec la rage et la fièvre au ventre. p.17
Le baraquement nous efface.
Nous sommes sans visage.
Il nous gomme des autres. Tant mieux.
Le décrire, ce lieu, ce "trop chaud l'été" , ce "trop froid l'hiver", ce mauvais sommeil, ce manque de sanitaires, c'est décrire un manque humain, hurler sa rage.
Là où nous étions, nous étions à peine.
Remontant la côte que je viens de descendre, j'arrête mon véhicule pour prendre en marche ces pauvres bougres, ces mémères qui escaladent péniblement la côte, le haut du corps penché en avant, alpinistes de la vie dure !
A l'aube ils décident de guillotiner. Lorsqu'ils rentrent chez eux, ils embrassent leurs gosses, parce qu'ils sont bons pères de famille, qu'ils sont très humains.
- Continuez à mentir comme ça et on vous embarque tous au commissariat.
- Tu veux dire à l'ancienne Gestapo... Qu'ils aient torturé dans vos locaux y'a pas si longtemps, ça vous étouffe pas !