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Chansons des trouvères de Samuel N. Rosenberg
(Plainte funèbre attribuée à la Duchesse de Lorraine) Par maintes fois avrais esteit requise C'ains ne chantai ansi con je soloie ; Car je suix si aloingnie de joie Que j'en devroie plus antreprise, Et a mien voil moroie an iteil guise Con celle fist cui je sanbler voroie : Didol, qui fut por Eneas ocise. Ahi, amins ! tout a vostre devise Que ne fis jeu tant con je vos veoie ? Jant vilainne cui je tant redotoie M'ont si greveit et si ariere mise C'ains ne vos pou merir vostre servise. S'estre poioit, plus m'an repantiroie C'Adans ne fist de la pome c'ot prise. Ains por Forcon ne fist tant Afelisse Con je por vos, amins, s'or vos ravoie ; Mais ce n'iert jai, se premiers ne moroie. Mais je [ne] puis morir an iteil guise C'ancor me rait Amors joie promise. Si vuel doloir an leu de mener joie : Poinne et travail, ceu est ma rante assise. Par Deu, amins, en grant dolour m'a mise Mors vilainne, qui tout lou mont gerroie. Vos m'at tolut, la riens que tant amoie ! Or seu Fenis, lasse, soule et eschise, Dont il n'est c'uns, si con an le devise. Mais a poinnes m'en reconfortiroie Se por ceu non, c'amors m'at an justice. (TRADUCTION) Maintes fois on m'aura demandé pourquoi je ne chante plus comme j'en avais l'habitude ; c'est que je suis si éloignée de la joie que je devrais en être encore plus empêchée, et ce que je voudrais, c'est mourir de la même façon que celle à qui je voudrais ressembler : Didon qui pour Énée fut tuée. Ah, ami ! Que n'ai-je agi en tout point, selon votre désir tant que je vous voyais ? Les vilaines gens que je redoutais tellement m'ont tant blessée, tant retenue que jamais je ne pus récompenser votre service. Si cela était possible, je m'en repentirais davantage qu'Adam ne le fit pour la pomme qu'il avait prise. Jamais pour son Fouques ne fit tant Anfélise que je ferais pour vous, ami, si je vous avais de nouveau ; mais cela ne sera jamais, à moins que je ne meure. Mais je ne peux mourir munie de la promesse qu'Amour me donnera encore de la joie. Je veux donc souffrir et non éprouver de la joie : peine et tourment, voilà la rente qui m'est assignée. Par Dieu, mon aimé, en grande douleur m'a mise la vile mort qui guerroie le monde entier. Elle vous a pris à moi, vous que j'aimais tant. Me voilà Phénix, lasse, seule, repoussée, oiseau qui est unique, comme on le raconte. Mais j'aurais du mal à me ranimer si ce n'était qu'Amour m'a en son pouvoir.) + Lire la suite |