Sharon Creech

Dallas et Florida étant les plus anciens pensionnaires du foyer, ils en connaissaient tous les règlements. Ils connaissaient aussi toutes les punitions qui suivaient le manquement à ces règles, et ils les connaissaient même très bien, car il n'y avait pas une règle à laquelle ils n'aient désobéi. Et ce, plus d'une fois.

Gramp dit toujours que je suis une vraie fille de la campagne, et il a bien raison. Depuis treize ans que je suis née, j'ai pratiquement toujours vécu dans le Kentucky, à Bybanks - quelques rares maisons nichées au milieu des champs, au bord de l'Ohio. Il y a tout juste un an, mon père m'a cueillie, comme une fleur, et m'a emmenée, avec tout ce qui nous appartenait (non, ce n'est pas tout à fait exact : il n'a pas emporté le noisetier, ni le saule, ni l'érable, ni la grange à foin, ni le trou d'eau où j'allais nager) ; nous avons roulé près de cinq cent kilomètres et nous nous sommes arrêtés devant une maison, à Euclid, dans l'Ohio.

Et je me suis mise à penser aux assurances de la vie et je me suis dit que ce serait formidable si l'on pouvait avoir l'assurance d'être heureux dans la vie, ainsi que tous les gens qu'on connaît, et qu'ils puissent faire exactement ce qu'ils ont véritablement envie de faire, et qu'ils puissent retrouver les gens qu'ils ont envie de retrouver.

La nuit je vois comme Bailey.

Lorsque j'ai appris à lire, j'ai pu déchiffrer ces mots brodés en bleu sous le plat : « La vie est un plat de spaghettis... » Je me voyais en train de me débattre au milieu de ces écheveaux de pâtes emmêlés. Était-ce donc ça, ma vie ?
La phrase se poursuivait ainsi : « ... et de temps en temps, on tombe sur un bon morceau de viande ». La viande représentait à mes yeux un fabuleux trésor qu'on pouvait dénicher dans l'enchevêtrement des spaghettis de la vie. C'était quelque chose qu'on devait chercher à obtenir, une récompense pour tout le mal qu'on s'était donné à fouiller dans ces spaghettis.
En treize ans, j'avais eu de bons morceaux de viande, et pas mal de moins bons, aussi.