Camille, libraire jeunesse à Toulon, vous lit un extrait pour vous donner envie de découvrir l'un de ses grands coups de coeur : Les WILLOUGHBY de Loïs LOWRY (l'école des loisirs) A savourer dès 10 ans !
Imaginez que le livre que vous tenez entre les mains soit l'un de ces vieux romans avec une reliure en cuir marron tout usé. Il raconterait le genre d'histoires qu'on lisait autrefois, pleines de larmes et de bons sentiments. On y croiserait des orphelins forcément valeureux, un bébé abandonné sur les marches d'un perron, un millionnaire vivant dans un taudis ou encore une nourrice au coeur sec...
Vous allez rencontrer tous ces personnages dans ce roman. Mais vous découvrirez vite que les enfants Willoughby ne sont pas vraiment orphelins, même s'ils rêvent de se débarrasser de leurs parents. Vous apprendrez que le millionnaire solitaire est aussi un confiseur au grand coeur et la nounou une spécialiste des cookies et de la sculpture antique, ce qui les rend bien plus sympathiques.
Il vous reste maintenant à deviner si, comme toutes les histoires d'autrefois, celle-ci se terminera bien...
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- Papa? Maman? demanda timidement Jonas après le repas du soir. J'ai une question que j'aimerais vous poser.
- Qu'est-ce que c'est? demanda son père.
Il se força à prononcer les mots bien qu'il se sentît rougir de gêne. Il les avait répétés pendant tout le chemin du retour.
- Est-ce que vous m'aimez?
Il y eut pendant quelques instants un silence embarrassé. Puis Papa émit un petit gloussement.
- Jonas! Toi! Et la précision du langage, alors?
- Qu'est-ce que tu veux dire? demanda Jonas.
Une réaction amusée n'était pas du tout ce à quoi il s'attendait.
- Ton père veut dire que tu as utilisé un terme très général, tellement dénué de sens qu'il est pratiquement tombé en désuétude, expliqua sa mère avec soin.
Jonas les regarda d'un air ébahi. Denué de sens? Jamais auparavant il n'avait ressenti quelque chose d'aussi riche de sens que ce souvenir.
- Et bien entendu, notre communauté ne peut pas fonctionner correctement si les gens n'emploient pas un langage précis. Tu pourrais demander: "Est-ce que vous appréciez ma présence?" Et la réponse est oui.
- Ou bien, suggéra son père: "Est-ce que vous êtes fiers de mes réalisations?" Et la réponse est oui, de tout coeur!
- Est-ce que tu comprends pourquoi c'est impropre d'utiliser un mot comme "aimer"? demanda Maman.
Jonas hocha la tête.
- Oui, merci, je comprends, répondit-il lentement.
Ce fut la première fois qu'il mentit à ses parents.
Ce qu'il y a de pire quand on détient les souvenirs, ce n'est pas la douleur. C'est la solitude dans laquelle on se trouve. Les souvenirs sont faits pour être partagés.
- Mais pourquoi est-ce que les souvenirs ne peuvent pas être à tout le monde ? Je pense que ce serait peut-être un peu plus facile si on les partageait. (...)
Le passeur soupira.
- Tu as raison, dit-il. Mais alors tout le monde devrait supporter ce fardeau et cette douleur. Ils ne veulent pas de ça.
Si tout est pareil, on n'a plus le choix. Je veux pouvoir me lever le matin et faire des choix. Une tunique bleue ou une tunique rouge ?
" La peur faisait toujours intimement partie de la vie des gens. Par ce qu'ils avaient peur, ils construisaient des abris, cherchaient de la nourriture, faisaient pousser des choses. Pour la même raison, ils emmagasinaient des armes, au cas où. Ils avaient aussi peur du froid, de la faim et de la maladie. Et des bêtes."
" La mémoire fonctionne différemment selon les gens. Mon mari disait toujours que, s'il essayait de se rappeler de quelque chose de son enfance, il avait l'impression de regarder un vieux film, il le voyait de l'extérieur. Moi, quand je me rappelle quelque chose de mon enfance, je suis encore cette enfant. "
Nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser les gens faire des choix.
- Ce serait dangereux? suggéra le Passeur.
- Tout à fait dangereux, répliqua Jonas avec assurance.
Et si on les autorisait à choisir leur conjoint? Et s'ils faisaient le mauvais choix? Ou si, poursuivit-il en riant presque devant l’absurdité d'une telle hypothèse, ils choisissaient leur métier?
- Ça fait peur, non? dit le passeur.
Jonas gloussa.
- Très peur. Je ne veux même pas me l'imaginer. Nous devons vraiment empêcher les gens de faire des mauvais choix.
- C'est plus sûr.
- Oui approuva Jonas. Beaucoup plus sûr.
(P127)
" Nous sommes tous le peuple de l'autre. "
" Les livres qui ne viennent pas de souvenirs d'enfance naissent des émotions de l'enfance, qui sont très vivaces en moi. Je pense que tous ceux qui écrivent pour la jeunesse, enfin tous ceux qui y parviennent, convoquent en eux les émotions de l'enfance. "
" Ici à village, les marques et les faiblesses n'étaient pas considérées comme des défauts. On leur accordait, au contraire, une certaine valeur."