Citations de Shelley Read (68)
Je regardai autour de moi la végétation naître, croître et mourir, les ventres ouverts d'arbres abattus qui nourrissaient de nouvelles pousses, la vie qui émergeait de chaque creux et chaque fissure, qui exploitait chaque percée vers la lumière.
A mon réveil, des heures plus tard, une brise bienvenue agitait les rideaux et soufflait de l'air frais sur mon corps. Elle venait de l'est, avait franchi des montagnes et leurs contreforts, et charriait l'odeur des grands espaces, le parfum des pins, de l'armoise et de l'humus, ainsi qu'une infime suggestion de pluie.
Mais parfois, il est aussi absurde de dire pardon que d'espérer qu'une seule étoile suffise à expliquer l'univers.
La maison avait cette odeur propre aux vieilles demeures -- une odeur qui racontait des histoires, parlait de décennies de petits déjeuners cuisinés au beurre, de café noir et de robinets qui fuyaient, une odeur de famille, de vie et de bois vieilli.
Il existe une forme de tristesse qui transcende la tristesse, qui se déverse comme un sirop brûlant dans chaque fissure de notre être, prenant sa source dans le coeut avant de s'infiltrer dans chaque cellule et dans le sang, à tel point que rien -- ni la terre, ni le ciel, ni même notre propre paume -- n'est plus jamais pareil. C'est la tristesse qui change tout.
Les contreforts de la montagne et la vallée étaient encore dans l'ombre, attendant que la lumière nourrisse leurs surfaces de verdure, assèche la boue et fasse fondre ce qu'il subsistait de neige.
Ici et là, des massifs de trembles jaunes se trémoussaient comme pour une petite fête sur le coteau austère.
Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de tout temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.
Je savais que les crocus et les delphiniums violets étaient les premières fleurs sauvages à apparaître au printemps, les épilobes en épis et les solidages les dernières.
Je scrutai la forêt où vie et mort se superposaient dans l’immobilité froide et la pénombre, et où seuls les chants d’oiseaux rompaient le silence. Des arbres abattus gisaient entre les rochers au milieu des branches tombées et de pommes de pins. Des troncs bruns et massifs se dressaient vers la voûte de feuillages. Des dizaines de jeunes tiges luttaient pour exister, certaines à peine assez hautes pour pointer leur tête hérissée au dessus du charme et de la neige, d’autres émergeant au centre de bûches en décompositions comme des bébés sortie de ventres ouverts. Il y avait de la beauté dans ce chaos. Chaque élément avec son rôle a jouer dans le cycle éternel de la vie. Je me sentais toute petite et inutile, mais pas complètement malvenue.
Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de toute temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.
Je prenais le temps de m'émerveiller devant le monde : le silence total d'un renard en mouvement, la symétrie parfaite d'une hutte de castors, l'arrivée des papillons tel un lancer de confettis colorés aux premières sécrétions de nectar, le défilé quotidien des grues du Canada qui savaient exactement où aller dans leur migration.
J'adoptai petit à petit le rythme auquel toutes les créatures de la nature obéissent par instinct et en vertu d'habitudes millénaires -- des vies réglées sur le lever et le coucher du soleil, dictées par le froid et la chaleur, la faim et le besoin de sommeil, la progression spectaculaire des orages, la teinte de la nuit selon le cycle de la lune.
En une soudaine expiration, le vent balaya le sol de la forêt telle une vague invisible, faisant ployer les jeunes pins et éparpillant des débris.
L'orage débuta par une rafale de vent à travers les plus hauts pins. Leurs sommets commencèrent à tanguer tels des géants ivres avant même que j'aie senti une brise.
J'avais appris dès mon jeune âge avec quelle constance frappait le malheur.
En quittant la ferme ce matin-là, j'étais une fille ordinaire, un jour ordinaire. Si je n'étais pas encore capable d'identifier quelle nouvelle carte s'était dépliée en moi, je savais que je n'étais plus la même en rentrant à la maison.
Sur le parcours chaotique vers nous-même, nous moissonnons ce qui nous est donné.
Mais ce sont souvent des petits événements inattendus qui affectent nos vies le plus profondément -- le sifflement d'un train de marchandises sonnant comme un appel, la question posée par un inconnu à un carrefour, une bouteille brune sur le sol.
Il contemplait rarement l'avenir, encore moins le passé, mais recueillait l'instant présent dans ses mains pour en admirer les détails, sans se justifier et sans penser qu'il devrait en aller autrement.