Elle avait besoin d’agir, d’être dans la réalité des choses pour chasser l’idée de son esprit. L’idée qui la hantait du matin au soir depuis des années – l’idée selon laquelle nul ne peut rien changer à rien. On ne peut rien réparer. Rien mélanger. Rien tamiser ni clouer ni balayer. On est condamné à ressasser les mêmes pensées, encore et encore. Sans pouvoir les modifier. Hormis avec un peu d’engrais, un coup de râteau ou de sécateur de temps en temps.
Janice avait dévorait le livre en une semaine. Puis elle était retournée voir le vieil homme et lui avait annoncé qu’elle voulait devenir écrivain. Il avait souri.
- Formidable! C’est grâce à Dickens?
- Oui. Grâce à Dickens.
- Et tu raconteras quoi, dans ton premier livre?”
Elle avait commencé à l’écrire, dans sa tête ou sur des bouts de papier qu’elle mettait dans un vieux classeur rangé dans le tiroir de son bureau. Tout nourrissait son inspiration: le ciel, les chansons qu’elle aimait, les silhouettes qu’elle dessinait dans le sable à la plage du sémaphore, les histoires qu’elle inventait pour Anna et Gavin, les accords que son père plaquait sur les cordes de son ukulélé [...]
Ma mère ressemblait à une matriochka, ces poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres : toutes les versions d’elle-même étaient identiques, à une légère différence près – une expression, un mot, un geste ou un silence. Empilées, enfermées les unes dans les autres, elles surgissaient aux moments les plus inattendus. Une mère cachait l’autre, du matin au soir. Capable de préparer des cookies, le sourire aux lèvres, et de vous houspiller l’instant d’après.