Susan Faludi

Si les marchands de beauté évoquent ainsi le prix de la réussite pour angoisser les femmes, c'est parce que cette réussite leur a coûté, à eux, beaucoup d'argent. Le déploiement du mouvement des femmes dans les années soixante-dix s'est traduit par dix longues années de stagnation, voire de baisse des ventes de produits cosmétiques et de parfums, par une crise prolongée dans le secteur des produits capillaires et par une désertion des salons de coiffure, les clientes adoptant en masse les coupes simples et peu coûteuses des salons unisexe.

Si les femmes sont davantage embauchées durant ces années de basses eaux pour l'emploi - ...- c'est parce qu'elles acceptent des postes que les hommes ne veulent pas. Le tiers environ de ces emplois ne permettent pas de dépasser le seuil de pauvreté, contre seulement un quart dix ans plus tôt, et la croissance nette du nombre d'emploi durant la décennie* n'est due, pour plus des trois quarts, qu'à l'augmentation des petits boulots "féminins" mal payés du commerce et des services... Les femmes ne les prennent pas aux hommes; personne ne veut de ces tâches ingrates qu'elles acceptent d'assumer, contraintes et forcées, pour nourrir la famille quand leur mari est absent, au chômage ou trop mal payé.

* années 80

Accuser les féministes de faire mener aux femmes des vies "au rabais", c'est passer complètement à côté du féminisme, dont l'ambition a toujours été d'enrichir leur vie. Bien que certains s'obstinent à en donner une image caricaturale et à transformer les militantes en abominables gargouilles, le féminisme reste une idée simple, comme l'expliquait Rebecca West en 1913, avec tout son humour : "Je n'ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c'est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson."

Les médias répandent des fables qu'ils transforment en faits objectifs, tout comme ils déguisent les pressions politiques qu'ils exercent sur les femmes en phénomènes apolitiques ou étrangers à toute pression sociale.

Etre sans mari quand on est une femme, c'est une maladie qui ne se guérit qu'en se mariant.

Historiquement, à chaque période de la revanche, la déesse de la Beauté est une personne maladive, alanguie sur une chaise longue, une dame décorative et délicate qui boit du thé dans son boudoir, une femme-enfant qu'il convient de protéger des ardeurs du soleil.

Comme de coutume, la revanche est d'une violence sans commune mesure avec les timides avancées des femmes. "Les femmes sont en train de prendre le pouvoir", refrain connu de toutes les femmes qui travaillent, est entonné dès qu'une, deux au maximum d'entre elles obtiennent une petite promotion, le bastion de la direction restant bien entendu entre les mains des hommes. Dans les salles de rédaction, les hommes déplorent ouvertement dans leurs articles que la direction n'embauche que des femmes et des représentants des minorités - ceci dans les journaux où on n'en compte guère. "A Columbia, raconte Caroline Heilbrun, professeur de littérature, j'ai entendu des hommes dire que la poignée de femmes qui réclamaient l'égalité des salaires allaient bouleverser l'université et la conduire à sa perte ; et ils le pensaient sincèrement.". A l'université de Boston, John Silber s'aperçoit, navré, qu'avec six femmes sur vingt professeurs au total, son département d'anglais est devenu un "foutu matriarcat". Les féministes "tiennent" le Pentagone, fulmine un général de brigade, alors que les femmes, et pas toujours des féministes, y constituent à peine 10 % des effectifs et sont plutôt reléguées aux fonctions subalternes.

Pour les journalistes, la lutte pour l'égalité des droits est responsable de tous les maux des femmes, de leurs déprimes à leur faible taux d'épargne, du suicide des adolescentes aux problèmes de peau et d'anorexie.

Les femmes de la nouvelle droite donnent une image en quelque sorte inversée par rapport à leurs amies yuppies libérales qui se laissent prendre au piège de la revanche. Alors que la plupart des femmes qui travaillent tiennent volontiers des propos féministes mais luttent intérieurement contre les doutes et les sentiments d'insatisfaction que les antiféministes ont semés en elles, les femmes de la nouvelle droite tiennent des propos antiféministes mais intériorisent le message du mouvement des femmes en adoptant sans bruit, en privé, les principes d'autodétermination, d'égalité et de liberté de choix.

Dans les années quatre-vingts, ce sont les mannequins qui définissent les canons de la beauté, et les femmes sont sommées de s'y conformer. Les poupées de plâtre "prennent vie", tandis que les vraies femmes se font anesthésier et opérer.

rien n'abîme davantage les pétales masculins, semble-t-il, que la plus légère ondée féministe car elle est immédiatement perçue comme un déluge.

Tout au long de son existence, elle s'était efforcée de déterminer qui elle était. Juive ou chrétienne ? Hongroise ou américaine ? Femme ou homme ? Mais, alors que je contemplais son corps immobile, je songeai : il n'y a dans l'univers qu'une seule division véritable, une seule opposition : la vie et la mort. On est vivant ou on ne l'est pas. Tout le reste est souple, fluide.

"Les couturiers se contentent en général de feuilleter des livres d'images dans les bibliothèques. Dans le meilleur des cas, ils se demandent si leurs modèles feront de l'effet en vitrine, sur les mannequins. Mais c'est tout. Aucun ne prend la peine de parler avec une femme. La femme est la dernière à savoir."

Bob Mallard, grossiste en vêtements à New York, cité par Susan Faludi p. 285

Les créateurs lancent les robes de "petite fille" et les "silhouettes élancées" à un moment où l'Américaine moyenne a 32 ans, pèse soixante-cinq kilos et s'habille en taille 38 ou 40. Un quart à peine des femmes mesurent plus de 1,65 m ou ne dépassent pas la taille 42, mais 95 % des vêtements correspondent à ces mesures.

Revanche (Backlash), tel est le titre d'un film hollywoodien de 1947 où un homme fait accuser sa femme du meurtre qu'il a commis. La revanche actuelle sur les droits des femmes ressemble à ce genre de manoeuvre. Le féminisme est accusé des crimes du meurtrier. On lui reproche, par exemple, d'avoir contribué à "féminiser la pauvreté", alors que ce sont eux, à Washington, qui réduisent les crédits alloués à l'aide sociale, repoussent les propositions de loi sur l'égalité des salaires et remettent en question les textes sur l'égalité des chances.

Une offensive contre les droits des femmes ne peut réussir qu'en dissimulant sa visée politique et son visage guerrier. Elle atteint son maximum d'impact lorsqu'elle reste sur le terrain du privé et parvient à occuper une femme au point de la détourner de l'extérieur, au point de la persuader que les pressions qu'elle subit n'existent que dans sa tête, c'est-à-dire au point de l'amener à s'associer à la revanche et à combattre contre ses propres intérêts.

Les avancées et les reculs des femmes sont souvent décrits en termes militaires : victoires remportées, batailles perdues, lignes franchies, territoires conquis ou terrain abandonné. Ces métaphores guerrières sont pertinentes dans le contexte actuel, et l'on remarquera certainement que ce livre n'y échappe pas. Toutefois, si l'on imagine que l'affrontement ressemble au heurt de deux armées sagement aligénes face à face en ordre de bataille, on risque de perdre de vue la complexité de cet enchevêtrement, l'intensité de cette "mêlée" que vivent les femmes dans leur "guérilla" de tous les instants contre une culture faite pour les hommes. Et l'on risque de ne pas comprendre la nature réactionnaire de cette revanche, c'est-à-dire à quel point elle constitue une riposte à l'autre force.

Un journaliste prétend même dans le Baltimore Sun que les féministes ont encouragé les débordements de violence au cinéma car en banalisant la "violence" de l'avortement, elles ont contribué à banaliser les meurtres sur grand écran.

"S’habiller en femme, tout ça, ça ne m’intéresse plus vraiment, ajouta-t-il. Ce n’était pas réel. Je cherchais juste une forme d’approbation. » Depuis quelques mois, Mel s’efforçait d' »obtenir les papiers pour redevenir un homme ».

« Pourtant, vous sentiez que vous étiez une femme ? demandai-je.

– Je n’ai plus envie de rentrer là-dedans. »

Mel me lança un regard oblique. Il avait fait des recherches sur moi en ligne, avoua-t-il. Il savait que j’étais féministe. Ce qui manifestement signifiait pour lui que je ne croyais pas aux différences entre les sexes.

» Mais il y a des différences entre les hommes et les femmes, insista-t-il. Il y a une nature féminine.

– Et vous avez une nature féminine ?

Je connaissais seulement mon mère avant et après – pater familias bourré de testostérone ou ménagère à la féminité caricaturale -, avec entre les deux un fossé de plusieurs années.