Susan Wiggs

Depuis qu'il l'avait embrassée, ils se tenaient à distance respectable l'un de l'autre, dans l'expectative. Mais l'intensité qu'elle lisait dans son regard lui enleva d'un seul coup tous ses doutes. L'impalpable alchimie du premier jour exerçait plus que jamais sa magie.

C'était l'histoire d'une fille timide, précipitée dans une situation inextricable qui la contraignait à se montrer forte et courageuse, et à la fin, elle se rebellait. La réalité rattraperait-elle la fiction ? s'était-il demandé.

Avec sa veste de cuir et son jean délavé, il ressemblait au jeune Tom Cruise. La mâchoire carrée, le regard droit et fier, il émanait de lui un charme dont il n'avait sans doute pas conscience. Une sensualité qui le classait d'emblée parmi les garçons qu'on remarque. Ce n'était qu'un adolescent qu'elle regardait sourire à l'objectif, et pourtant elle ne pouvait empêcher son cœur de s'emballer.

A mes yeux, j'étais écrivain avant d'être épouse. Aujourd'hui, je ne suis plus sa femme, mais je suis toujours écrivain. Pour être honnête, c'est le seul pilier de ma vie qui tient encore debout.

A leurs yeux, écrire n'était qu'un passe-temps, comme le point de croix ou une collection d'assiettes à dessert. Je crois qu'ils auraient montré davantage d'intérêt si... (Elle s'interrompit juste à temps.) Enfin bref, ils étaient très fiers de leur fils et me considéraient comme un simple accessoire. Une épouse, pas un écrivain.

L'écriture était mon refuge, mon jardin secret dans une vie très publique, comme un contrepoids à la carrière trépidante de mon mari, expliqua-t-elle en ramassant un clou dans l'allée. Au début, je craignais que ses parents ne voient mes livres d'un mauvais œil. Ronald et Winifred Winslow sont très conservateurs.

Le contact humain lui avait tellement manqué... Le simple fait de danser dans les bras d'un homme était à la fois un bonheur merveilleux et une douleur, tels les fourmillements cuisants que l'on ressent dans des doigts engourdis. Cela faisait une éternité qu'elle ne s'était pas sentie aussi proche de quelqu'un.

Cette femme paraissait si... ordinaire. C'était drôle, et quand même un peu triste. Jolie comme elle l'était, avec ses grands yeux et ses cheveux soyeux, elle aurait pu jouer dans une pub pour un savon. Alors pourquoi n'y avait-il pas sa photo sur la jaquette de ses livres ?

— La vérité sort de la bouche des enfants... Alors, qu'en penses-tu, princesse? demanda-t-il à sa fille. Tu as envie de lire ces bouquins, ou ils te paraissent trop osés ?
Quelle plaisanterie ! Le simple fait qu'ils soient interdits et qu'il faille l'autorisation d'un adulte pour les lire les rendait mille fois plus intéressants que la dernière aventure de Harry Potter.

Ce petit choc qu'une femme éprouve en réalisant qu'un homme la désire. En dépit de son manque d'expérience, c'était ce que Sandra ressentait en cet instant.

L'univers de la fiction était plus hospitalier que celui du réel. Il était son sanctuaire, un lieu où elle pouvait décider que tout finirait bien. Présents simples, un roman sur la perte et la rédemption, était enfin terminé. Charlotte, l'héroïne, avait fini par accepter la sénilité irréversible de sa grand-mère; c'était la petite-fille qui prenait désormais soin de la vieille dame, dans une inversion des rôles qui avait ému Sandra aux larmes lors de l'écriture.

Il suffisait d'un regard, de quelques paroles échangées pour qu'il en soit tout ému. Elle n'avait pas la beauté renversante d'Angela, le genre qui attire les regards et suscite des sifflets admi- ratifs. Non, le charme de Sandra était beaucoup plus subtil. Une sorte de magnétisme envoûtant qui émanait de ses yeux noirs, une fraîcheur innocente dans son expression.

Si les parents restent ensemble, ils peuvent faire ce qu'ils veulent de leurs enfants. Les embrigader dans une secte, leur tatouer les fesses ou n'importe quoi. Mais dès qu'un juge met son grain de sel, il faut obéir aux ordres. Un copain à moi, un méthodiste, se retrouve forcé d'envoyer ses gamins à la messe catholique un dimanche sur deux. Par décision du juge, bien sûr !

Rupture. Comme ce mot faisait mal ! Dans ses romans, Sandra avait décrit des enfants dont les parents divorçaient. Elle s'était crue capable d'imaginer leur désarroi et leur peur. Maintenant, elle savait qu'elle en était très, très loin.

Dans la vie, les gens s'éloignent,c'est ainsi. Et puis, il y a des choses chez ta mère que je n'ai jamais comprises, ajouta-t-il après avoir bu sa dernière gorgée de bière. J'imagine qu'avec les années, les malentendus se sont accumulés, et aujourd'hui c'est trop tard.

Pour le monde de l'édition, elle était Sandy Babcock, auteur reconnu de romans pour enfants. Elle se sentait en sécurité dans cette seconde peau. Après son mariage avec Victor, elle avait tenu à séparer son activité d'écrivain de son rôle d'épouse. Pas question qu'on achète ses livres parce qu'elle était la femme d'un personnage public. A quoi cela rimerait-il? Et puis, les sujets qu'elle abordait n'étaient pas du genre à la faire apprécier des concitoyens de son mari.

L'inspiration ne venait pas. D'ordinaire, sans qu'elle sût vraiment pourquoi, c'étaient les jours de tempête qu'elle travaillait le mieux. Sans doute le côté magique et mystérieux de la pluie fouettant les vitres, des coups de boutoir des bourrasques... A ces moments-là, les mots coulaient avec fluidité sous sa plume, comme dictés par une force supérieure.
Pas aujourd'hui.
Ébranlée par sa rencontre avec les Winslow, elle se souvenait à peine du trajet de retour. Comment avait-elle pu être assez stupide pour croire que sa démarche donnerait quelque chose ? Qu'avait-elle donc espéré ? Le pardon ? De la compréhension ? Elle aurait dû savoir que c'était vain.
Bouillonnante de rage, elle avait troqué son tailleur contre son vieux jean favori et le pull de Victor - consciente qu'il portait encore son odeur, ce qui la ferait immanquablement pleurer. Puis elle avait essayé de se montrer productive.

J'ai toujours pensé qu'elle était jalouse du succès de Victor. Il était sociable et aimé de tous, alors que cette femme était une solitaire. Pas du tout faite pour être l'épouse d'un homme politique. Ils avaient des problèmes, c'était clair, mais nous respections leur intimité. A mon avis, elle voulait le divorce, mais n'avait pas l'intention de renoncer à l'argent de Victor. Alors elle a fait en sorte de pouvoir mettre la main sur l'assurance vie.

Elle avait la sensation d'être en équilibre instable au bord d'un précipice. Elle vivait en recluse depuis trop longtemps et en avait plus qu'assez qu'on médise dans son dos. Elle n'avait jamais été une battante, mais une petite voix insistante lui répétait de foncer droit devant.

— La vie est dure, répondit Dorrie, et personne n'a encore trouvé de remède. Chacun fait de son mieux pour s'en sortir.