Ravi se l'expliquait ainsi : "Presque tous les Angliches et les Yankees titulaires dans les facultés d'anglais du Danemark, qui sont ici au fond parce qu'ils sont américains ou angliches, et tous les Danois, qui sont ici parce qu'ils sont Danois - ce qui me semble déjà beaucoup plus logique -, adorent la littérature multiculturelle, bâtard. Tu le sais bien. Nous le savons bien. Cela leur rappelle leurs arrière-grands-parents aux colonies. Evidemment ils aiment Rushdie et Naipaul. Naipaul, Kureishi, Rushdie : enfin, ces types sont tellement indiens qu'ils parlent même avec un accent anglais ! Voilà pourquoi les gens comme nous devraient écrire des romans, "yaar" ; imagine tes collègues se tortillant dans tous les sens, partagés entre leur désir d'être ouverts d'esprit et la crainte souterraine que nous leur chapardions leur langue de pain et de beurre, et ceci avec notre accent délibéré de "roti" et de "ghee".
Dès l’instant où tu mets les pieds dans ce pays, ils te racontent qu’ils ont réussi à faire sortir clandestinement tous les juifs du Danemark quand les nazis ont voulu les rassembler. Ils oublient de mentionner que c’est un officier allemand qui a divulgué les projets nazis à la résistance danoise, un mouvement en majorité communiste, interdit par le gouvernement danois. Ils oublient de dire que les seuls, à l’exception de ces pauvres cons d’Allemands, à avoir formé un régiment SS au complet étaient ces bons Danois aux yeux bleus !
La vie, il la voit comme une série de petites images immobiles, presque figées, et il ne sait pas vraiment quelle image – capitale ou secondaire – serait, dans sa mémoire, la gravure d’un moment, d’un jour ou d’un voyage en particulier. Certains collectionnent les timbres, les bouteilles ou les pièces de monnaie ; lui, il collectionne les images, quelle idée de collectionner une chose aussi inutile, sans aucune valeur marchande, et il lui faut en collectionner, des images, encore et toujours !
Tu sais, espèce de foutu poundé, tu prends le chemin de tous ces foutus négros. A une époque, ils sont arrivés en Europe, ont exhibé les chaînes invisibles de l’esclavage sous les yeux des femmes blanches, ont fait du battage autour du rythme inné et de la nature animale de l’homme, et ils les ont toutes joyeusement embrochées avant que les Blancs aient même le temps de se racler la gorge pour protester.
Les fantômes sont blancs, dit-on. Comme la maison dans laquelle débute cette histoire : ainsi que toute histoire, celle-ci a débuté ailleurs. Dans une maison dont l’allée était couverte de graviers rougeâtres, avec des parterres de roses étiolées, des bosquets où poussaient oranges amères et mangues charnues ; une maison blanche et fantomatique à Phansa.
Karim s’est absenté plus longtemps qu’à l’accoutumée. Il n’a pas réapparu avant le surlendemain. A son retour, il avait l’air visiblement épuisé. Son visage était plus pâle et, chose inhabituelle, ses cheveux courts et clairsemés, et sa barbe fournie, grisonnante, étaient ébouriffés. Mais, comme à l’ordinaire, il n’a rien voulu révéler de ce qu’il avait fait ne de l’endroit où il s’était rendu.
Loin de moi l’idée de donner l’impression que ces détails étaient aussi suspects qu’ils en ont l’air au moment où je rédige ceci. Il est important de préciser ce point, même si je suis sûr que ma petite amie titulaire d’une maîtrise de création littéraire aurait sévèrement critiqué pareilles explications.
Même le plus petit grain de sable au fond de l’océan ne peut échapper au regard du Tout-Puissant ! » « Certains disent : “Je vais seulement prier une fois par jour, ou je ne prierai que dans mon cœur, et Allah me pardonnera mes transgressions.” Moi je leur dis, en vérité, vous brûlerez au plus profond de l’enfer, car vous saviez et vous avez quand même désobéi. » « Pour chaque centimètre de ton corps que tu montres, ô femme non voilée qui prétend être musulmane, pour chaque centimètre, ô catin, dix démons seront désignés pour te fouetter dans l’au-delà. »
Quand un homme remarque une femme, je le sens tout de suite ; même à l’époque, je le sentais. C’est le genre d’instinct que certaines personnes possèdent plus que d’autres. Ameena ne l’avait pas, malgré toutes ses frasques de jeunesse, les cigarettes de grande et les garçons adultes avec lesquels elle était sortie. Elle voulait qu’un homme l’aime, mais était incapable de savoir si un homme s’intéressait à elle ou pas. Ni à l’époque, ni plus tard.
Le langage est avant tout une arme. Quand il l'a inventé, l'homme est devenu l'espèce la plus meurtrière de toutes. Si les dinosaures avaient survécu jusqu'ici, l'Homo sapiens verbeux n'en aurait fait qu'une bouchée ! Je serais prêt à renoncer à tous les mots en échange d'un seul geste éloquent : rompre le pain, offrir un verre d'eau à un inconnu, s'asseoir pour partager un repas, laver les pieds de quelqu'un.
« Je reconnais, ô Kaptaan Sahib, le bien-fondé de vos critiques, car j’ai été exposé, quoique de manière fugace, aux merveilleux rayons de votre Dieu de la Raison et je me suis amendé, abandonné les pratiques maléfiques et ancestrales des thugs. Mais si vous aviez émis ces critiques en présence de mon père et de ses compagnons, voici ce qu’ils vous auraient répondu : vous autres, Anglais, n’êtes-vous pas férus de chasse ? Un lion, un loup ou un éléphant excite votre désir effréné de destruction – si bien que vous risquez votre vie pour le pourchasser. Le gibier du thug est d’une catégorie nettement supérieure et sa poursuite beaucoup plus juste, car l’homme se mesure alors à l’homme, et non à une bête stupide, désorientée. De même, n’éprouvez-vous pas un vif intérêt pour les batailles et les guerres grâces auxquelles vous remportez ici une ville, là un marché ? L’activité d’un thug est nettement moins sanglante ! »
« Il suffit, Amir Ali. Ne ressassez pas ces mauvaises pensées. Il suffit. » (p. 70)