Les vols qu'il a commis resteront des vols. Les ouvrages qu'il brûle, et qui procèdent tous de son propre choix, pourraient appartenir sans exception à une liste, du genre de celle constituée par un autre bibliothécaire, le national-socialiste Wolfgang Hermann, dans ses "Principes (inédits) pour l'épuration des bibliothèques publiques". Le résultat est là, il a rendu ces livres inaccessibles à la population de la ville ; en voulant mettre son acte sur le dos des nazis, il s'est lui-même conduit en nazi. Il a fait leur travail. Il leur aura peut-être donné des idées. (p.161)
Quand l'horreur intérieure se découvrira, on s'apercevra qu'elle a toujours existé, et qu'on a toujours eu les moyens de la connaitre. C'est d'abord elle qui formera le passé de l'Allemagne. Non, décidément, Bonhiver n'aura jamais la force morale d'inclure ces ombres-là dans son "traité". Ombres décharnées. Suppliciées. Presque translucides. (...) Ce qui paraît clair aujourd'hui, c'est qu'il y a des événements qui ferment la bouche d'un écrivain plus sûrement que la mort. (pp.407-408)
- Ce n'est pas de ta faute. Nous avons fait la bêtise de placer à portée de mains incultes des trésors de culture, à portée de mains de fous des trésors de tolérance. Quoi que je puisse dire par la suite, apprends, mon cher Franz, que le premier souci qui m'anime, avant les livres eux-mêmes, c'est la sauvegarde de leur gardien. (p.244)
S'ils se sont mis à craindre certains livres, c'est qu'ils ont compris qu'ils peuvent en utiliser d'autres en leur faveur. (...) Sans compter que, dans une bibliothèque, c'est le lecteur qui fait la moitié du travail. Il s'endoctrine lui-même. (p.349)
Il y a dans chaque coup qu'un homme reçoit une explosion d'énergie, elle fond sur lui et elle en fait son noyau, mais avant qu'elle ne s'épuise l'homme peut en devenir le maître et en utiliser une part pour son propre compte.