Thomas B.Reverdy propose en cette rentrée littéraire un formidable roman terriblement d'actualité, "Climax" (éditions Flammarion). Dans "Climax", un glacier se brise, un accident se produit sur une plate-forme pétrolière au large d'un petit village au nord de la Norvège. Et c'est la catastrophe. Tout s'enchaîne, la fonte des glaciers, la mort de la faune et un parfum de fin du monde sur fond de réchauffement climatique.
"Il faut bien que la vérité monte des bouges,
puisque d'en haut ne viennent que des mensonges".
Louise Michel
Il a passé une nuit tranquille. Samedi 28, à l'aube, il a étalé une couverture et des draps sur son lit. Il y a couché Negro, le vieux chien aveugle et infirme. Il lui a pris la patte. Il a enfoncé l'aiguille et lui a fait cadeau de la moitié du mélange qu'il avait préparé. Ensuite, il a vérifié que le feu de charbon de bois, allumé pour dégager du gaz carbonique et parachever l'oeuvre de la piqûre, fonctionnait bien. Au moment de s'allonger à son tour, il a encore eu un remords. Il a pris un bout de papier et, dessus, il a griffonné : "Linge lessivé, rincé, séché,mais pas repassé. J'ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. A votre santé".
Alors, il s'est allongé à son tour sur le lit, à côté de Negro, et il a pris la seringue.
Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu'on appelle Assemblée Nationale,pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l'état d'un pays sont presque toujours ceux qui le représentent (Proudhon)
Les vieux se souviennent que l'hiver fut rude dans le Dunois cette année-là. Des parents menèrent leurs petits au plus profond de la forêt pour les perdre et n'avoir plus à les nourrir. Des enfants arrachèrent l'écorce des arbres pour s'en repaître.
Au dernier souffle du loup noir, la trombe s'apaisa. Le ciel reprit sa place, la foudre agonisa, les arbres, réconciliés, cessèrent leur danse frénétique. Les ruisseaux murmurèrent. Le vent respira mieux, les oiseaux reparurent. Un arc-en-ciel unit avec le ciel la terre purifiée par tant d'eau et de feu. Seuls demeuraient inertes quelque cadavres de grands chênes, et puis Étienne aux pieds de la Gargouille surgie près d'Isegault en pleurs.
"Et manger? tonne Philippe. As-tu pensé qu'il faudrait vous nourrir pendant ce grand voyage? Comment mangerez-vous?
-Dieu nourrit les oiseaux, dit Étienne. Ne le voyez-vous pas? Il veillera sur nous. La charité des hommes nous aidera."
Le maître de la France ne peut pas retenir plus longtemps le courroux qui montait à ses tempes. Ses mots claquent et sifflent, tapent et cognent.
"Tu es un fou! crie-t-il. Tu ne sais rien! Ton crâne est chaviré par un rayon de lune! Tu ignores sans doute que les Sarrasins tiennent Jérusalem! Leurs guerriers te tailleront en pièces, toi et les tiens! Ils sont féroces, pauvre débile!
- Nous leur parlerons avec douceur, répond Etienne. Et quand ils nous verront si doux, ils ne pourront plus nous attaquer.
Les yeux dans ce bout d'ailleurs, Étienne sortit la flûte de sa chainse, contre la poitrine. Très fragiles, les sons s'évadèrent, aigres un peu, frémissants sous la lèvre, et filèrent légers, précautionneux, timidement en quête d'un cœur où se poser. La nuit abolissait les ombres de la geôle. Tout se fit rumeurs, présences, frôlements. Les rats grinçaient dans leurs trous, rôdaient et grignotaient la paille. Les notes grelottaient, imperceptibles et têtues, dans le froid criard.
On dit pourtant que lorsque le soleil se fut levé, comme les hommes de Brindes, les femmes et les enfants mêlés, osèrent s'approcher du port, ils virent tous, dans l'éblouissement du soleil nouveau, un arc-en-ciel immense qui joignait la mer aux cieux d'en Haut, et qui partait de l'endroit même où avait fui l etroite barque blanche.