Citations de Ko Un (73)
LE FANTÔME
J'ai été entre la vie et la mort jusqu'à dix ans
A dix ans j'étais déjà vieux.
En pleine nuit j'ai vu un fantôme dans mon sommeil
J'ai crié
Inondé de sueur.
Mon père, qui dormait dénudé
A accroché une lame
A l'aube sur le mur
Coquin de fantôme, si tu reviens
Je te tuerai à coup de couteau
A coup de couteau je te tuerai.
Jusqu'à dix ans passés j'ai été tourmenté par le fantôme
Les nuits où il apparaissait étaient longues, très longues.
Ni le grand jour du lendemain
Ni les arbres, les herbes, ni plus loin la montagne éclairée
Ne pouvaient apaiser complètement ma peur.
Le fantôme a disparu
Depuis que j'ai cessé de jeûner
Depuis que je mange trois repas par jour
Depuis que les vers ayant commencé à vivre dans mon ventre
Je souffre des vers.
Ce fantôme, qu'était-il ?
Moi je le sais
C'est la faim
Je le sais.
VIVRE
Nous qui n’avons rien
il nous faut regarder les feuilles qui tombent
dans l’air immobile
il nous faut regarder aussi
les feuilles que le vent éparpille
nous qui ne connaissons rien
nous ne pouvons quitter des yeux le mouvement
des eaux qui viennent et se retirent
jeune femme! nous qui vivons ici
pouvons-nous dire ce que nous possédons
et ce que nous savons?
voici des feuilles qui tombent
des eaux qui viennent et se retirent
Sous un poirier sauvage, traduit du coréen par Han Daekyun et Gilles Cyr, Belval, Circé, 2004, p. 76.
Rien ne m'a mieux réveillé que la musique
des silhouettes pleurent, sur les crêtes dénudées
as-tu entendu, automne, les dernières feuilles
qui s'animent jusqu'à leur chute?
j'ai bien connu les sanglots des feuilles qui tombent, et la déréliction
Mémoire
Depuis si longtemps le vent a soufflé
Depuis si longtemps les vagues ont déferlé
Depuis si longtemps les loups ont hurlé
Depuis si longtemps
Le ciel était bleu et tellement bleu qu’il meuglait en bœuf et bruissait en insectes
Dans tes bras
Cent ans dans tes bras
Pas de pays
Pas d'amis
Pas de chemin que je puisse prendre
Quel ravissement l'absence de lumière
Au bord de la mer» (1966)
Quatre saisons /Hiver
Puis-je avoir des nouvelles de l’hiver, où dorment tes os ?
je veux retourner sur ta tombe
et là t’écrire avec le crayon usé de mes errances
mes larmes se tariront
les flocons de neige fondaient sur tes lèvres
qui durent dans mes souvenirs
on ne savait rien d’autre que ceci : tout était Dieu
que l’hiver ne parte pas ! je vais m’en aller
dans mon enfance le froid se cachait
devenait l’âme sous la neige
dormant au sein de ta mort, je m’en irai
PRÉFACE EN VERS
Cet instant qui naît entre toi et moi
Là se lève la plus lointaine étoile
La terre de Buyeo de plusieurs centaines de li (1).
Dans tous les cinquante-quatre villages-Etats de Mahan
Une rencontre
Et depuis, une rencontre qui devint un pays.
Sur cette terre ancienne
Se séparer, c'est s'agrandir.
Défilé de la vie sans fin, avenir
Où personne ne peut vivre seul.
Oh, l'homme n'est humain, n'est le monde que parmi les hommes.
(1)li : lieue coréenne qui correspond à 400m.
L'écho
À la montagne au couchant
Qu'est-ce que tu es
Qu'est-ce que tu es tu es…
p.11
La lune
Tir à l'arc
Ping
Ton oeil où la flèche s'est plantée
La lune s'est levée avec la douleur des ténèbres
Gong accroché
De quelles tempêtes,
de quelles fêtes
rêves-tu toi,
gong accroché
C'est tout proche
Et c'est très,très clair
Là-bas
Mais malgré toute une journée de marche
C'est encore loin et inaccessible
Un lieu lointain paraissant tout proche
Il nous faudrait une telle personne
éloignée
Toute proche
Les éphémères
Trois cent millionièmes de seconde
Si c'est ce que dure la vie d'une particule
Pense combien doit être éternelle toute une journée
Tu dis qu'un jour est court ?
Vraiment c'est de la convoitise
p.44
Le lion
Le lion est dans son antre
Tapi !
Le lion est sorti de son antre
Ébloui !
Le lion au bord de son antre
Surgi
Le lion a couru au loin
Fini
Appartient-il aux insectes d'argumenter ainsi
p.59
Au bord de la mer» (1966)
Quatre saisons /Automne
À chaque gare de province je descendais du train
les fleurs de cosmos, dans ma toux, s’épanouissaient
et tes chers regards me suivaient, du haut des cieux.
dans la nuit profonde les étoiles se multiplient
ta mort c’est maintenant ma table vide
je dois noter quelque chose
pour le vieil homme que j’ai croisé dans le sud
une feuille ne tombe pas d’elle-même, mais à cause du vent
dans l’herbe meurent des êtres insignifiants
voix avec des veinures, cette feuille périt
Au bord de la mer» (1966)
Quatre saisons /Été
Je n’irai pas à l’île Sunyu
où ta mémoire vit toujours
les conques monotones que tes pieds foulaient
si je les posais sur mes oreilles
que de souvenirs en sortiraient !
on veut me persuader d’aller là-bas, mais je n’irais pas
l’été est l’été de toujours, la mer se fonce un peu
c’est le premier amour, et la tristesse
je t’oublierai, toi, ange à la robe démodée
je n’irais pas là-bas
Au bord de la mer» (1966)
Quatre saisons/Printemps
Débout près de ta petite tombe, j’ai vu
vacillant sous les brunes nouvelles
ce lieu étrange où dormiront mes os
comme le village est triste ! mais déjà le ruisseau coule
qui a passé l’hiver sous la terre
et au bord de l’eau les saules se revivifient
le printemps qui revient pour le feuillage
laisse l’angoisse des jours pluvieux
en lui ta tombe se renouvelle
j’hésite un moment, puis je m’en vais
Pense combien doit être éternelle toute une journée
La séparation
Reste en paix
Pars en paix
Le bébé
Avant ta naissance
Avant ton père
Avant ta mère
Tes balbutiements étaient déjà là
Un ami
Un ami est décédé avec le fardeau de ma douleur, la
bouche serrée
comme le bourgeon d'un pavot blanc les jours d'été.