Chronique sur l'art du conte, animée en alternance par les conteurs Fabien Delorme et Manuella Yapas.
Pour ce numéro, Manuella parle des légendes urbaines.
BIBLIOGRAPHIE
"Légendes urbaines, rumeurs d'aujourd'hui", de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard (éditions Payot, collection Petite bibliothèque Payot, février 2002).
SITES DES CHRONIQUEURS DU RELEVÉ DE CONTEURS
- Celui de Manuella Yapas : http://www.manuellayapas.fr/
- Celui de Fabien Delorme : http://www.fabiendelorme.fr/
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Il arrive que les rumeurs soient vraies : c'est ce qui fonde en général leur crédibilité. (...) Dans le domaine de la rumeur, même lorsqu'elle est vraie, on est toujours en plein secret et dans la crainte des complots !
Chacun connaît les mésaventures de Jacquard, qui automatisa partiellement les métiers à tisser et diminua ainsi le nombre de personnes nécessaires à leur fonctionnement : une troupe d'ouvriers canuts tenta de le précipiter dans le Rhône et le conseil des prud'hommes de Lyon ordonna que la machine fût brisée publiquement.
[Découvertes scientifiques et anecdotes légendaires]
Mettant en scène une réalité moderne et technologique, à savoir l'automobile, que l'on associe à des représentations de plaisir et de mort, la légende de la voiture maudite exprime la croyance en la malchance, en la fatalité, formes profanes et impersonnelles du pouvoir maléfique autrefois attribué aux démons et aux sorciers. On sait que James Dean, comme sans doute beaucoup de ses fans, croyait fermement à l'astrologie...
[La Porsche maudite de James Dean]
Le conte, comme la fable, est un genre dont l'importance a décliné dans le monde contemporain. Son apogée européenne coïncide avec celui de la civilisation paysanne, civilisation dont le déclin a été faussement interprété comme l'indice d'une disparition de la tradition folklorique elle-même avant que l'on comprenne que tradition et modernité n'étaient pas opposées mais complémentaires.
Le tueur fou est une figure moderne du croque-mitaine, un diable laïcisé. La présence du crochet, attribut démoniaque, confirme ce rapprochement. Rappelons que les démons du Moyen Age entraînaient les damnés en enfer à l'aide de gaffes métalliques et qu'au XIXe siècle encore, le curé d'Ars avait surnommé "grappin" son diabolique tourmenteur. La série d'horreur des "Freddy" met en scène une créature de cauchemar munie de griffes d'acier.
[Le fou au crochet]
Nous voudrions plaider pour la réhabilitation du folklore, terme qui, mot à mot, désigne le savoir (lore) du peuple (folk).
L'affaire de la "Dame blanche de Palavas", comme l'a nommée la presse, passionne les amateurs d'histoires insolites. Il s'agit en effet d'un témoignage d'expérience vécue - la police n'a pas pu démontrer ni l'hallucination causée par une intoxication quelconque ni le canular -, mais en même temps d'un récit comportant de nombreux motifs et traits légendaires caractéristiques à la légende type de l'"auto-stoppeur qui disparaît" ou "auto-stoppeur fantôme" étudiée par les folkloristes de tous les pays depuis une cinquantaine d'années (...).
[Les auto-stoppeurs fantômes]
il existe un légendaire des symboles cachés. Les rumeurs prétendent révéler ce qui est dissimulé, le vrai visage des choses : il n'est donc pas étonnant que de nombreuses histoires circulent dans le public ou certains milieux à propos de symboles cachés dans des images ou des objets d'apparence anodine. Ces signes seraient la preuve de la mainmise de pouvoirs occultes sur notre société. La croyance aux images subliminales - que seul notre inconscient perçoit et qui nous influenceraient à notre insu - est la forme moderne et technologique de la croyance à l'envoûtement par les sorciers. La recherche des symboles cachés s'apparente à l'ancienne quête des indices diaboliques, des marques de Satan. De fait, les thèmes évoqués correspondent aux peurs et aux tabous traditionnels de l'Occident : le sexe, la mort, la subversion. Le satanisme lui-même est loin d'avoir disparu de la mentalité contemporaine.
[Les symboles cachés]
Notons que le thème de la punition surnaturelle qui s'abat sur des adolescents en train de flirter de façon plus ou moins poussée est très fréquent dans le fantastique moderne américain : "horror comics" des années cinquante, histoires de Stephen King, films, comme l'épisode du radeau dans "Creepshow II", et la série des "Vendredi 13" où le mort vivant Jason s'attaque aux jeunes couples pendant leurs ébats... Le puritanisme, encore bien vivant dans la culture américaine, s'exprime à travers ces fantasmes.
[Le fou au crochet]
Le motif du charcutier qui utilise sciemment de la chair humaine possède une longue tradition dans la littérature populaire et le folklore. En 1840, un livret de colportage, publié sans nom d'auteur à Londres et intitulé "Le collier de perles", met en scène Sweeney Todd, un diabolique barbier de Fleet Street dont l'ingénieux fauteuil à bascule expédie les clients égorgés sur l’étal du garçon boucher qui ravitaille le magasin de délicieux pâtés en croûte de Mrs. Lowett.
[Le cannibalisme involontaire]