Bande annonce du film RANDONNEURS AMATEURS (A Walk in the Woods), adaptation du livre de Bill Bryson.
Bienvenue. Et félicitations. Ravi de voir que vous y êtes arrivé. Je sais que ça n'a pas été facile - et même un peu plus compliqué que vous ne le soupçonnez.
Avant tout, il a fallu, pour que vous soyez là aujourd'hui, que des billions d'atomes errant au hasard aient la curieuse obligeance de s'assembler de façon complexe pour vous créer. Cet arrangement est si particulier qu'il n'a jamais été tenté auparavant et n'existera qu'une seule fois. Pendant les années à venir (encore nombreuses, souhaitons-le), ces minuscules particules vont accomplir sans rechigner les milliards de tâches délicates nécessaires pour vous conserver intact et vous permettre de jouir de cet état suprêmement agréable, mais pas toujours apprécié à sa juste valeur, qu'est l'existence.
En tout cas, les premiers explorateurs français qui traversèrent le nord-ouest du Wyoming ont jeté un coup d'oeil aux montagnes et se sont exclamés: "zut alors! Hé! Jacques, vise-moi ces montagnes. On dirait tout à fait les tétons de ma femme. " C'est bien typique des Français, ça. Ils faut qu'ils réduisent tout à un niveau bassement sexuel. Remercions la Providence qu'ils n'aient pas découvert le Grand Canyon, c'est tout ce que je peux dire. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que les Tetons ressemblent autant à des nichons qu'à une poêle à frire ou à une paire de chaussures de marche. En un mot ils n'évoquent pas du tout une paire de nichons, sauf peut-être pour des hommes désespérément solitaires qui ont quitté leur foyer depuis très, très longtemps. Personnellement, j'ai trouvé qu'ils ressemblaient un peu à des nichons.

La chute du Ku Klux Klan fut aussi soudaine qu'inattendue, et c'est le rondouillard et déplaisant Stephenson qui la provoqua. En mars , il invita à dîner une jeune femme de bonne réputation du nom de Madge Oberholtzer. Au grand désarroi de ses parents, celle-ci ne rentra pas ce soir-là, ni le suivant. Quand Stephenson la relâcha enfin, elle était dans un état effroyable. Elle avait été sauvagement battue et violée. Elle avait le seins et les organes génitaux lacérés. Elle raconta à son médecin et à ses parents qu'après être venu la chercher Stephenson s'était soûlé, qu'il était devenu violent et qu'il l'avait forcée à entrer dans un hôtel, où il avait brutalement abusé d'elle à plusieurs reprises. Submergée par la honte et le désespoir, Madge avait avalé une dose mortelle de chlorure de mercure. Lorsqu’elle regagna le domicile familial, les médecins ne pouvaient plus rien pour elle. Son agonie dura quinze jours.
Stephenson, croyant que son statut de dirigeant du Ku Klux Klan dans l'Indiana le mettrait à l'abri des poursuites, fut étonné d'être reconnu coupable d'enlèvement, de viol, de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et d'être condamné à la prison à perpétuité.

La canicule transforma la vie des citadins. Elle créa un sentiment de calvaire partagé et suscita des échanges entre inconnus. Pour une fois, il y avait un sujet de conversation commun à tout le monde. Le quotidien prit des allures communautaires qu'on avait presque oubliées. Les gens s'asseyaient sur leur perron. Les barbiers installaient des fauteuils à l'extérieur et rasaient leurs clients à l'ombre d'un arbre ou d'un store. Partout les fenêtres étaient grandes ouvertes, celles des bureaux, des appartements, des hôtels, des bibliothèques, des hôpitaux, des écoles, si bien que les bruits de la ville circulaient partout librement. Le mugissement lointain du flot des voitures, les cris ponctuant les jeux des enfants, une dispute dans l'immeuble voisin - tous ces sons et mille autres encore vous parvenaient tandis que vous travailliez, lisiez ou essayiez de trouver le sommeil. Aujourd'hui, on rentre chez soi pour échapper au vacarme urbain ; dans les années 20, il pénétrait en grande partie avec vous à l'intérieur.
En Amérique, hélas, la beauté implique un trajet en voiture et la nature est affaire de tout ou rien : soit vous la domptez sans ménagement comme au barrage de Tocks ainsi que dans un million d'autres endroits, soit vous la déifiez, tel le sentier des Appalaches. On ne veut pas croire que les gens et- la nature puissent cohabiter pour leur bénéfice mutuel...
La pleine lune brillait d'une lumière blanche, profonde, riche, qui rappelait à la perfection le fourrage crémeux d'un biscuit Oreo (au lit d'une certaine période sur le sentier tout vous fait penser à de la nourriture).
À un certain moment, vous atteignez une hauteur dépassant le faîte des plus hauts arbres et se détachant sur un ciel clair ; alors votre esprit chancelant s’agite : « Voilà, nous y sommes ! », mais ce n’est qu’une misérable déception. Ce sommet illusoire s’éloigne continuellement, peu importe la distance que vous franchissez, de sorte que chaque fois que la voûte du feuillage s’ouvre pour vous permettre de voir au loin, vous vous apercevez que les cimes des arbres sont aussi éloignées et inaccessibles qu’auparavant. Vous continuez encore en titubant. Que pouvez-vous faire d’autre ?
Nous vivons dans un pays qui est le paradis de la bouffe artificielle, un pays qui a donné à l'humanité, entre autres merveilles, le fromage en bombe aérosol, mais mon épouse s'obstine à acheter des trucs naturels et sains comme des brocolis frais et des petits pains suédois. C'est parce qu'elle est anglaise bien sûr.
Elle n'a pas encore saisi toute la richesse et les perspectives infinies qu'offre le régime alimentaire américain dans la gamme du graillon et du gluant.
La notion de distance change totalement lorsque vous traversez le monde à pied : 1 km devient une grande distance, 2 km une distance considérable, 20 km une aventure, 100 km une distance hors de toute perception. Vous réalisez que le monde est gigantesque dans une perspective que seul vous, et une petite communauté d’amis randonneurs, connaissez. L’échelle planétaire est votre petit secret. La vie prend aussi un air de grande simplicité. Le temps cesse d’avoir toute signification.

On pourrait situer les débuts de la boxe moderne à différentes dates, mais il semble pertinent de la faire commencer avec Jess Willard. Ce géant du Kansas était laboureur, et il le serait resté toute sa vie si un organisateur de matchs, après l'avoir vu manipuler des balles de foin de 200 kilos comme si c'étaient des coussins de plume, ne l'avait pas encouragé à monter sur un ring. Cela se passait aux alentours de 1910. Avec 1.98 mètre pour 102 kilos, Willard avait assurément le bon gabarit, et sa puissance de frappa se révéla colossale. A son cinquième combat, il cogna si fort le pauvre garçon que le coup fit pénétrer une partie de sa mâchoire dans son cerveau et le tua. Willard pulvérisa un certain nombre d'adversaires, puis devient champion du monde des poids lourds à La Havane en battant par K.-O. en vingt-six reprises le grand Jack Johnson, un boxeur formidable mais ostensiblement noir et imprudemment provocateur.
La victoire de Willard marqua un tournant crucial, quoique condamnable, dans l'évolution de la boxe : le champion des poids lourds était à présent un Blanc, ce qui était malheureusement une condition sine qua non pour qu'elle devienne un grand sport populaire. Avant cela, c'était la seule discipline sportive - voir la seule activité - où un Noir pouvait se mesure d'égal à égal avec un Blanc. D'un point de vue moderne cela semble paradoxal, mais si avant 1920 la boxe était considérée comme malsaine et insupportablement vulgaire, c'était en partie parce qu'elle n'était pas raciste. Et la convertir en divertissement respectable consistait surtout à s'arranger pour que, comme tous les autres sports majeurs, elle soit dominée par les Blancs. Aucun boxeur noir n'allait avoir la moindre chance de remporter le titre chez les poids lourds pendant une génération.