Vincent Raynaud

Il reconnaît des passages, des suites d’accords, des bouts de phrase, un long solo qui monte comme une vague et se termine en apothéose bruitiste, les deux guitaristes se répondent, un duel sans rage, une virtuosité tranquille, une élégance aérienne, tout paraît facile, il ne voit qu’eux, ces deux mecs qui se ressemblent

Puis rien ne se passe comme prévu, la réalité est toujours mieux et pire qu'on ne l'a imaginée, plus exaltante et plus triviale, constate Tristan, le sordide, le décourageant, se mêlant allègrement au sublime et au grandiose, par la suite il ne cessera de se le répéter et c'est le souvenir qu'il gardera quand il n'en sera plus, mais dans l'immédiat il en est, vient juste de s'installer à la batterie, nous sommes en 1981, le début d'une nouvelle décennie, les années soixante étaient affreuses, les années soixante-dix aussi, une ère s'ouvre, le changement, et pour commencer la musique change, le punk n'est plus...

Ils avaient dû faire cinq ou six prises et je n'écoutais plus vraiment. Je commençais à me dire que j'avais besoin de clopes, j'en profiterais pour faire quelques pas, quand une chose a attiré mon attention. On s'est regardés, Ryan et moi, et on a su qu'on se posait la même question: qu'est ce que c'est que ça? C'était le même morceau, les mêmes paroles, et dans son casque Tristan devait entendre la même musique, pourtant il chantait d'une tout autre façon. Il y mettait une noirceur qui n'était pas dans les autres prises, chantait comme s'il devait convaincre quelqu'un et n'avait qu'une seule chance de le faire, maintenant ou jamais. Il chantait magnifiquement et ne le savait pas. Nous si. "La vache", a fait Ryan. J'ai hoché la tête: "C'est la bonne."