C'était un lépreux. Je lui ai donné de l'eau. Il a bu, m'a recommandé de jeter le verre, m'a remercié et est parti. J'ai regardé le verre. Dommage de le jeter. Un verre en cristal. Du service que les beaux-parents nous avaient offert en cadeau de mariage. Je me suis dit qu'en le lavant bien ça devrait aller. Au fond, que pouvait-il arriver ? Surtout si je le faisais bouillir. Ça tue les microbes… J'ai posé le verre sur la table et je suis revenu à la fenêtre regarder les cerisiers. Ensuite je me suis aperçu que le temps avait passé, il était tard. J'ai essayé de réparer l'aspirateur mais le moteur était grillé, je ne pouvais rien faire… Je ne connais rien aux moteurs… J'ai complètement oublié le verre. Le lendemain, Ema l'a trouvé sur la table et l'a mis dans l'évier… Faut croire qu'elle ne l'a pas bien lavé…
(extrait de Embrasse-moi, traduit du roumain par Paola Bentz-Fauci)
Bien que les premiers textes de théâtre connus sur le territoire de la Roumanie remontent au dix-huitième siècle, la dramaturgie roumaine est pratiquement née avec les quatre comédies de Ion Luca Caragiale (1852–1912), écrites dans les années 1879–1885. Ce sont des pièces réalistes, généralement désignées comme satires de mœurs et ayant pour objet une société en transition, entre une féodalité prolongée de manière anachronique, et un capitalisme encore hésitant.
(Alice Georgescu, p. 3)
Cependant qu'on l'écorche vif à volonté, survit, je crois, une dernière chose : la nostalgie de la quête d'un sens. C'est ce qui resterait du domaine de l'indéfini.
[Însă oricâte piei ai jupui de pe el, supraviețuiește, cred, un ultim lucru: nostalgia după un sens. Asta ar fi tot ce mai rămâne din domeniul nedefinit.]
(p. 59)
Et quand tu te réveilles, tu entends tout un tas d’énormités. Sans le vouloir. Elles s’accrochent à toi jusqu’à rentrer dans ta tête. Et comment on fait pour se les sortir de la tête ? Avec le fouet. (Elle rit.) Do, hier, m’a tenu la jambe pendant une heure pour me raconter au téléphone l’histoire d’un russe. La nuit. Il était tard. Moi je voulais aller me coucher, lui, il avait envie de parler. Cas authentique qu’il disait. D’ennui, je n’ai pas raccroché. Ce russe croyait que sa femme le trompait. Il en était convaincu. Il ne lui a rien dit. Il a souffert en silence. (Elle rit.) Et après 18 ans d’agonie, il se décide enfin à lui demander. La grande question ! (Elle rit.) Avec une sincérité désarmante, elle lui répond : elle ne l’a jamais trompé. Il va alors dans la chambre d’à côté et se fait exploser la tête. Il ne pouvait pas croire qu’il avait souffert aussi longtemps pour rien. (Elle rit.) A d’autres ! Do invente. Ensuite, il a essayé de me convaincre - c’est sûr, cas authentique, il l’a appris de… (Geste de dégoût.) Il aime bien inventer. Il pourrait écrire. Tout le monde écrit.
(extrait de « L'Amérique et l'acoustique », traduit du roumain par Fanny Chartres)
Le dictionnaire, sire. Notre ouvrage de chevet. La quintessence de la science universelle !
[Dicționarul, sire. Lucrarea noastră de căpătâi. Chintesența științei universale!]
p. 43
À l’asile, Zeus !
(Œdipe, p. 55)
Décor unique pour les trois actes. Plan de fond, gauche, une structure métallique ; en haut, à droite, un tissu blanc comme toile de fond. Statues, trépieds, vases grecs, une amphore. Un miroir. Des sièges. À l’entrée du public le chœur est en scène. D’un mouvement très lent et chaotique les choreutes semblent chercher quelque chose. Ce mouvement va s’accentuant à mesure que le public s’installe. Les répliques du chœur sont dites par les choreutes individuellement (sauf mention explicite : « en chœur »). À cette première apparition du chœur, on croirait assister à la répétition avec des improvisations d’une troupe de théâtre.
(p. 15)
Moi, je n’ai aucune histoire à inventer. C’est pour ça que je parle autant. Vova savait se taire. Personne ne savait aussi bien se taire que lui. (Pause.) Si j’avais plus d’imagination… C’est comme ça, maintenant ça sert à rien… Est-elle enceinte ou n’est-elle pas enceinte ? (Pause.) Moi, je ne peux pas inventer ni quand je m’anesthésie ni quand je me réveille. Mais je le regrette… Tout le monde invente. Surtout quand on se réveille. Manu aussi, je crois qu’il invente. Rose, c’est sûr, elle invente. Il suffit de la regarder. Toutes les femmes enceintes inventent un enfant ou même plusieurs. C’est douloureux, mais peut être que c’est mieux d’inventer.
(traduit du roumain par Fanny Chartres)
(Elle tourne brusquement la tête. Elle suit un point qui se déplace, dans toutes les directions) :
Première mouche de l’année. Et on n’est pas encore en avril…
(extrait de « L'Amérique et l'acoustique », traduit du roumain par Fanny Chartres)
OTILIA: Ce ne sera pas nécessaire, monsieur le commissaire. C'est moi qui lui ai donné le couteau pour tuer Calistrat Hogaș.
OTILIA: Nu-i nevoie, domnule comisar. Eu i-am dat cuțitul ca să-l omoare pe Calistrat Hogaș.
p. 159
(Extrait de la pièce ”Crima din strada Uranus, Delir polițist” [Le Crime de la rue Uranus, délire policier])